Top 10 – Nîmes Olympique (2e partie)

A quel rang se situe Eric Cantona ? Et Mickaël Pagis ? Et bien, mettons fin au suspense : ils sont moins bien classés que José Luis Cuciuffo, champion du monde avec Maradona en 1986.

5- Jean-Pierre Adams, le Roc

Jean-Pierre Adams, Louis Landi (gardien du NO) et Kader Firoud sur le tournage de « C’est arrivé près de chez vous ».

Successeur de l’avisé Jean-Baptiste Chiariny, le président Paul Calabro se lance dans un ambitieux recrutement durant l’été 1970 afin de satisfaire aux exigences de Kader Firoud, revenu à la tête des Crocos l’année précédente. Sur les conseils de Jean Bousquet, nouveau membre de l’exécutif et sponsor du club avec Cacharel, il attire les internationaux roumains Florea Voinea et Ion Pîrcălab, alias la Flèche des Carpates[1], ainsi que le très prometteur buteur héraultais Jacky Vergnes. S’il n’était sa carrure impressionnante, la venue de Jean-Pierre Adams serait passée inaperçue, le jeune défenseur d’origine sénégalaise ayant été déniché par Firoud alors qu’il évolue avec le Bataillon de Joinville en compagnie de Michel Mézy puis à Fontainebleau, en Championnat de France amateur.

Adams ne pouvait que plaire à Firoud, à commencer par cette vie cabossée, commencée à Dakar, suivie d’un exil forcé en France, d’une enfance loin des siens dans un institut catholique et de la mort accidentelle de son meilleur ami… Profitant d’un stage du NO en région parisienne, l’entraîneur lui propose un test de trois jours à l’issue desquels il lui fait signer son premier contrat professionnel. Talent brut, physiquement impressionnant, Kader Firoud le modèle sur le plan technique et tactique sans relâche. Les progrès d’Adams sont tels qu’il ne s’éternise pas avec l’équipe réserve, Firoud l’imposant d’abord au milieu pour densifier et protéger la défense puis, plus tard, dans une position de pur stoppeur.

Ce sont les prémices du second âge d’or du Nîmes Olympique, quatrième du championnat en 1971, second en 1972, septième en 1973. Durant la saison 1971-1972, Jean-Bouin est une citadelle imprenable où l’attaque rivalise de talent avec la défense, qualité éternelle des Crocos. Avec 76 réalisations, le NO de Firoud prouve qu’il n’est pas qu’une équipe de tueurs et balaye à domicile Bastia (6 -2), Monaco (5-1), PSG (4-1), Nantes (4-0), Lille (5-2), Saint-Etienne (4-0), Jacky Vergnes inscrivant 27 buts au cours de l’année.

Dès juin 1972, Georges Boulogne convoque Jean-Pierre Adams en équipe nationale pour disputer la Coupe de l’Indépendance organisée au Brésil. Face à une sélection de joueurs africains, Adams entre en jeu à la place de Marius Trésor (victoire de la France 2-0). Ils débutent ensemble contre la Colombie (victoire 3-2) mais Adams évolue au milieu de terrain. C’est contre l’Argentine d’Osvaldo Piazza et Carlos Bianchi (0-0) que leur association en défense centrale est testée pour la première fois. Ștefan Kovacs, successeur de Boulogne, s’en inspire et installe durablement Trésor en libero, Adams en stoppeur. Le Roumain appelle la paire de centraux sa « garde noire », une expression et un duo entrés dans la grande histoire des Bleus en dépit de résultats sportifs insipides. A propos de son coéquipier, le réservé Marius Trésor affirme : « de tous les partenaires que j’ai eus, c’est celui avec lequel je me suis le mieux senti. On n’a jamais joué dans le même club mais on pouvait jouer les yeux fermés. »

Une scène de Marius, de Marcel Pagnol.

Désireux de grandir, l’OGC Nice l’attire en 1973, puis c’est au tour du PSG en chantier de la fin de la décennie de s’offrir le grand défenseur. Sa carrière s’achève en pente douce quand il est victime de cet accident opératoire qui le plonge dans un grand sommeil. Jean-Pierre Adams meurt en 2021, après 39 années passées dans un état végétatif, veillé par son épouse dans la maison qu’ils avaient fait construire à Caissargues en 1972, dans la périphérie de Nîmes.


4- Pires Constantino, la touche brésilienne

Né à Marseille, Eugène Saccomano passe son adolescence à Nîmes où sa vocation de journaliste prend sa source. A sa mort, en 2019, L’Equipe publie les extraits d’une interview réalisée quelques années plus tôt au cours de laquelle il se souvient des matchs qu’il commentait en classe dans les années 1950 en imitant le radioreporter Georges Briquet : « Le Nîmes Olympique reçoit Le Havre aujourd’hui avec ses vedettes Kader Firoud et Joseph Ujlaki, le formidable Brésilien Pires Constantino, le Hollandais Théo Timmermans, son avant-centre Marcel Rouvière, un pur Gardois, et son gardien international Stéphane Dakowski. »

Le formidable Pires Constantino (son nom officiel serait Costantino Pirès selon certaines sources) ! Il faut être amoureux des Crocodiles pour citer spontanément son nom parmi les grands joueurs nîmois alors qu’il s’agit d’un des meilleurs techniciens vus par le public de Jean-Bouin. Son arrivée à Nîmes durant l’été 1951 relève du mystère mais on sait cependant qu’il séduit Pierre Pibarot à l’occasion d’une mise à l’essai. Dans un premier temps, la Confédération brésilienne des sports refuse d’autoriser le transfert, le joueur étant lié contractuellement avec le modeste Comercial FC, dans l’état de São Paulo (et non Vasco da Gama comme mentionné sur Wikipedia). La précieuse lettre de sortie parvient aux dirigeants nîmois mi-septembre 1951 et dès lors, Pires Constantino s’attribue le poste d’inter gauche, offrant une alternative au soliste Ujlaki à droite.

Constantino porte les couleurs du NO de 1951 à 1955 puis de 1959 à 1963 (entre-temps, il évolue à l’OM et à l’OL). Dans l’intervalle, les Crocos ont changé de style, passant d’un jeu léché tel que prôné par Pibarot à un football plus direct selon le vœu de Kader Firoud, basé sur une défense de fer où règne Mustapha Bettache, un milieu à l’influence réduite et des attaquants rapides. Mais quels que soient les schémas et les techniciens, Constantino demeure un titulaire inamovible, apportant une touche de balle et un sens du collectif remarquables dont bénéficient les buteurs successifs de Nîmes, Marcel Rouvière, Henri Skiba ou Hassan Akesbi.

Parmi les grands faits d’armes de Constantino figure la demi-finale de Coupe de France 1961 entre le Nîmes Olympique et le Stade Olympique Montpelliérain, premier grand derby de football entre les deux villes voisines. Plus de 40 000 spectateurs envahissent les travées du Vélodrome de Marseille pour assister à la victoire des Crocodiles, 2-1, le Brésilien ouvrant le score. Il est également buteur en finale contre les Sangliers de Sedan mais ne peut empêcher un nouvel échec nîmois, le second après celui de 1958.

Sedan Nîmes 3-1 Constantino réduit le score

Il mène encore l’attaque des Crocos lors de la dernière journée du championnat 1961-1962, quand ils s’inclinent contre le Stade Français sur un but de l’ancien Nîmois Skiba et laissent échapper un titre qui leur semblait promis, la plus grande opportunité gâchée par les hommes de Firoud.

Constantino quitte le NO en 1963 mais s’installe définitivement dans la région. Disparu en 2002, son nom reste dans l’actualité grâce à son fils José Pirès, artiste reconnu et régulièrement choisi pour illustrer des événements locaux[2].


3- René Girard, l’écorché vif

Le zan a des vertus adoucissantes.

A l’automne 1972, sans doute Kader Firoud estime-t-il nécessaire de rajeunir son effectif et y ajouter une dose de virilisme pour éviter que ses hommes ne s’endorment sur leurs lauriers après la seconde place obtenue en championnat au printemps précédent. Un mois avant de lancer le fougueux Bernard Boissier, il fait confiance à un jeune milieu défensif de 18 ans se destinant au métier de carreleur, René Girard. Peut-être l’entraîneur retrouve-t-il en Girard un peu du joueur qu’il fut, un récupérateur teigneux pouvant se muer en relayeur grâce à de remarquables dispositions techniques. 

Girard s’installe dans la peau d’un titulaire à partir de 1974 et connaît les heures enivrantes du Nîmes Olympique de Kader Firoud. Pour les joueurs adverses, se déplacer à Jean-Bouin est une source de stress que nourrissent les intimidations physiques ou verbales dans l’étroite coursive séparant les vestiaires exigus de la lumière crue du stade, un peu comme s’il s’agissait du callejón d’une arène duquel ils ne peuvent s’échapper.

La relative mansuétude des observateurs pour le NO et l’insouciance exigeante du jeune Girard se prolongent quelques années, jusqu’à la rupture symbolique de mai 1976, comme si l’élastique sur lequel tiraient les Crocos de Firoud s’était rompu après avoir dépassé les limites de l’engagement à Saint-Etienne, club populaire et fierté française aux portes d’un titre de champion d’Europe. Déjà malaimés, les Nîmois descendent encore dans l’estime du public et on se demande aujourd’hui encore si cette détestation n’est pas à l’origine de la forme de paranoïa qui ne quitte jamais René Girard par la suite.

En 1980, les Girondins de Claude Bez affirment leurs ambitions en s’offrant Marius Trésor et Néné Girard pour solidifier et densifier une équipe talentueuse mais trop tendre mentalement et physiquement. Il évolue huit saisons avec le grand Bordeaux d’Aimé Jacquet ou ses qualités de meneur d’hommes et de ratisseur sont souvent louées sans qu’on ne puisse passer sous silence sa participation aux offensives girondines. Et si Michel Hidalgo le sélectionne pour la Coupe du monde 1982 (qui se souvient de son but face à la Pologne ?), on ne peut que regretter son absence de la feuille de match en demi-finale contre la RFA[3].

A Bilbao, contre l’Angleterre de Trevor Francis en 1982 (défaite 1-3).

Quand René Girard revient à Nîmes, c’est en tant que défenseur central avec l’ambition d’extraire les Crocos de la seconde division. Le temps n’a pas de prise sur son tempérament et lors des barrages d’accession perdus contre Brest en 1989, il s’embrouille avec tout le monde. Auteur d’un but contre son camp à l’aller, chambré par les supporters bretons, il bascule dans l’hystérie et promet l’enfer au Paraguayen Roberto Cabañas au retour à Nîmes. Chose promise, chose due, il multiplie les accrochages et les provocations jusqu’à l’agression de trop, l’arbitre le renvoyant au vestiaire.

Avec son compère Boissier sur le banc, il est le dernier capitaine du NO à fouler la pelouse du stade Jean-Bouin en match officiel. Et quand il raccroche en 1991, aux Costières, c’est avec le sentiment du devoir accompli : le NO accède à la première division, là où il l’avait trouvé en 1972.


2- Michel Mézy, l’enfant chéri ou le traître ?

Michel Mézy regarde un cheval (tournée de l’Equipe de France en Amérique du Sud, janvier 1971).

Enfant du club né à Aigues-Mortes, Michel Mézy n’a que 17 ans quand il débute avec les pros quelques semaines avant de mener le club à un second sacre en Coupe Gambardella. S’il connaît ensuite la relégation de 1967, il est de tous les grands moments des Crocos, de la remontée dans l’élite dès l’année suivante au titre de vice-champion de France en 1972.

Mézy doit son ascension à deux hommes, deux anciens joueurs du Nîmes Olympique de Pierre Pibarot, au tournant des années 1950 : Marcel Rouvière, le buteur devenu formateur, et Kader Firoud, l’artiste de l’entrejeu ayant embrassé le métier d’entraîneur avec le rigorisme d’un missionnaire. Quand Firoud reprend les rênes du club en 1969, il fait de Mézy son éminence grise, certains prétendant même qu’il est son fils spirituel.

La rencontre au sommet entre Nîmes et l’OM en mars 1972 est un des plus grands moments de Mézy avec les Crocos. Numéro 10 dans le dos, il réalise une prestation de haute volée. Sur l’ouverture du score nîmoise, il perce dans l’axe, fixe trois défenseurs, sert Bonnet en pivot dont le centre trouve le Roumain Pîrcălab. Sous la pression de la montagne humaine rassemblée sur la Butte, les rambardes derrière le but marseillais cèdent et c’est un miracle qu’aucun spectateur ne soit sérieusement blessé. Après une longue interruption, le jeu reprend et l’OM douche définitivement les rêves de titre nîmois (1-3).

Au début des années 70, avec Henri Michel et Jean-Michel Larqué, ses équipiers et concurrents au milieu, Michel Mézy porte les espoirs de renouveau du football français. En vain. Ses 17 sélections entre 1970 et 1973 ne rendent pas totalement justice au talent et au formidable pied gauche du Gardois. Convoité par les plus grands clubs français et, dit-on, par le Barça et l’Atlético, il poursuit sa carrière au cœur du jeu des Crocos. On le croit marié à vie au NO quand il accepte l’offre du LOSC en 1975, pour de pures raisons financières. La relégation des Dogues en 1977 l’incite à revenir à Nîmes, comme s’il devait impérativement être là pour assister au retrait de Kader Firoud. Repositionné libero par Henri Noël, il réalise une formidable saison quand est révélé son transfert à la Paillade de Montpellier en mai 1979. La déflagration est telle que le club, bafoué par cette décision, le prive des rencontres de fin de championnat.

A Montpellier, il retrouve son coach Firoud en 1980 et d’autres Nîmois séduits par la rivale régionale et la passion de Louis Nicollin. Quand sa carrière de joueur s’achève, en 1981, il entre dans le staff d’un club qu’il mène à la victoire en Coupe de France en 1990. Puis il surprend tout le monde en annonçant son retour à Nîmes, provoquant cette réaction de Loulou Nicollin : « je considère ce départ comme une trahison. Finalement quand on est Gardois, on le reste dans l’âme tout le temps. »

Michel Mézy (et Jacky Novi) sur un lama.

Cet épisode nîmois, dans un rôle de président, directeur sportif, entraîneur, est un fiasco qui s’achève en 1994 avec le retour de Mézy à Montpellier malgré une phrase que certains lui rappellent parfois, « je suis né Nîmois, je vis Nîmois, je crèverai Nîmois. » Et en dépit de son amour pour le club des Nicollin, sans doute dit-il vrai. A l’occasion d’une cérémonie honorant les vice-champions de France 1972, Michel Mézy prononce de sa voix rocailleuse d’Occitan un discours qui rappelle à quel point il est attaché aux Crocodiles : « Deux créateurs de génie ont fait Nîmes Olympique : Marcel Rouvière pour la formation et Kader Firoud pour la partie professionnelle. A cette époque, les dirigeants de jeunes avaient autant d’importance que les pros. A cette époque, les gens qui avaient porté cette tunique étaient connus et reconnus. A cette époque, le public était un public de corrida, exigeant, survolté, connaisseur et reboussier[4] (…) Quels que soient nos chemins, nous sommes tous frères ou cousins germains car dans nos veines coule le sang du Nîmes Olympique de Jean-Bouin. »


1-Hassan Akesbi, le plus grand

Hassan Akesbi ! Le plus grand joueur du Nîmes Olympique, sans aucun doute. Avec Kader Firoud, autocrate à la tête d’un phalanstère se nourrissant de l’utopie d’un titre de champion, Akesbi symbolise les Crocodiles mordants de la fin des années 50, toujours placés, jamais vainqueurs. Mais peu importe, les Nîmois vivent alors de l’espérance et de la fierté que leur procurent leur équipe de football ainsi que de la notoriété grandissante de la féria et les illustres personnages qu’elle attire, au premier des rangs desquels figure Ernest Hemingway descendu en septembre 1959 à l’Hôtel Imperator pour y soutenir le grand torero Antonio Ordoñez.

Né à Tanger à l’époque où la ville est sous statut international, il fait ses premiers pas avec la Sevillana, un club espagnol créé par des sympathisants du FC Séville installés sur la côte marocaine. Puis il s’installe à la pointe de l’attaque du FUS de Rabat. A 17 ans, Akesbi est déjà appelé au sein d’une sélection du Maroc, encore sous protectorat français. Convoité par des clubs de Liga (le FC Barcelone veut le recruter après l’avoir vu jouer en amical à Cadix), son père s’oppose au départ de son fils. Quand le patriarche décède, grâce à ses contacts, Kader Firoud tisse des liens entre le jeune homme et le Nîmes Olympique. Déjà testé par Pierre Pibarot au printemps précédent à l’occasion d’un match de prestige contre l’Austria de Vienne, Hassan Akesbi réapparaît à Nîmes au cours de l’été 1955 en compagnie de quatre autres joueurs venus d’Afrique du Nord. Les matchs amicaux confirment ses dons et il est le seul à être conservé pour le lancement de la saison officielle, la première de Firoud à la tête des Crocodiles.

A Nîmes, Akesbi évolue dans un environnement familier, aidé par la présence d’autres Marocains comme Abdesselem Ben Mohammed, Belhadj Djilali Mehdi et un peu plus tard, le taulier de la défense, Mustapha Bettache. Six saisons durant, avec la pression permanente et la présence intrusive de Firoud, il martyrise les défenses du championnat de France avec une élégance reconnue de tous aux côtés de ses vigoureux compagnons d’attaque, Henri Skiba et Bernard Rahis. Poids léger, dénué de puissance, il excelle par sa finesse et sa précision, des qualités qui en font le meilleur buteur de l’histoire des Nîmois en première division.

En train d’embrouiller le président Jean-Baptiste Chiariny.

S’il ne gagne aucun titre avec le NO, il s’affirme comme une des grandes stars du championnat, suscitant les convoitises des plus grands clubs. En 1961, il est acquis qu’Akesbi va quitter les Crocodiles. L’AC Milan semble avoir l’affaire en main, puis l’opulent Racing entre dans la danse. Contre une somme record de 45 millions d’anciens francs, soit 735 000 euros, c’est finalement le Stade de Reims du président Germain qui s’offre les services du Marocain pour succéder à Just Fontaine et évoluer aux côtés de Raymond Kopa. Dès 1962, il conquiert le titre tant attendu de champion de France, Nîmes s’étant sabordé en perdant contre le Stade Français lors de la 38e et dernière journée.

De retour au FUS de Rabat en 1965, sa carrière s’achève en 1970 sur une blessure alors qu’il rêve de participer à la Coupe du monde avec le Maroc. Agé de 88 ans, Hassan Akesbi demeure une légende marocaine et nîmoise, la plus éclatante vitrine des Crocodiles de Firoud.


Hors catégorie : Kader Firoud, le guide

Pierre Garonnaire et Kader complotent

Impossible de proposer un top nîmois sans accorder une place particulière à Kader Firoud tant il est hors catégorie. Son passé de joueur et de capitaine durant les années Pibarot suffiraient à faire figurer l’Oranais dans ce classement. Milieu à l’exquise technique, L’Equipe le qualifie de meilleur élément du Nîmes Olympique vice-champion 1951, devant Ujlaki, ce qui donne une idée de ses dons. En y ajoutant 18 années à la tête des Crocos réparties sur deux mandatures, il écrase toute concurrence. Sa toute puissance en fait le démiurge du NO (ne dit-on pas « le Nîmes de Kader Firoud » comme si l’un ne pouvait exister sans l’autre ?) et lui confère un statut qu’aucun mortel ne peut lui contester.

Présent en Suisse pour observer les tendances que révèlent les sélections présentes à la Coupe du monde 1954, un accident de voiture sur le chemin du retour met fin à sa carrière de footballeur. Dès l’année suivante, il succède à Pierre Pibarot et apporte très vite sa propre vision, en rupture avec le football propret que promeuvent les penseurs français. Toutes proportions gardées, le jeu de Nîmes s’apparente à celui pratiqué en Grande-Bretagne, bien plus qu’à celui du Stade de Reims par exemple, son grand rival durant son premier bail, de 1955 à 1964. Aux phases de préparations sophistiquées, Firoud préfère les schémas directs réduisant l’influence du milieu de terrain. Et pour que ce jeu soit efficace, il impose une préparation physique et une discipline de fer qu’il rend supportables en jouant sur des ressorts affectifs et des ficelles apprises durant sa formation d’enseignant en Algérie. Et si cela ne suffit pas, il n’hésite pas à accompagner sa dialectique d’une forme d’intimidation physique, quelques-uns de ses poulains peuvent en témoigner[5].

Souvent qualifié d’hérétique au pays du beau jeu, il obtient des résultats inespérés. Ceux qui ne voient que ses échecs dans le money-time omettent la modestie des moyens de Nîmes, dont témoigne la vétusté du stade Jean-Bouin, inauguré en 1931 par l’ancien Président de la République, le Gardois Gaston Doumergue. Sonné par la perte du titre 1962 lors de l’ultime match sur un but de son ancien avant-centre Henri Skiba[6], Firoud est gagné par la lassitude et jette l’éponge en 1964 pour céder aux avances du milliardaire rouge toulousain, Jean-Baptiste Doumeng. Assumant le départ de son entraîneur, Chiariny prend la parole dans la presse : « J’ai toujours eu comme sacro-saint principe de ne jamais hypothéquer l’avenir en me lançant dans des opérations et des transactions mirobolantes qui, regardez autour de vous, se révèlent finalement funestes pour la situation ou le rendement d’une équipe. »

Ses méthodes fonctionnent mal à l’export et Firoud se réinstalle sur le banc nîmois en 1969, quand le nouveau président Paul Calabro, soutenu par l’homme d’affaires Jean Bousquet, lui promet des renforts susceptibles de ramener Nîmes au premier plan. Avec le Tchécoslovaque Scherer (finaliste de la Coupe du monde 1962), les Roumains Pîrcălab et Voinea, le goleador Vergnes et de jeunes pousses issues de la région dont Mézy est le leader, il réinstalle le NO parmi les terreurs du championnat avec un football plus dur encore que durant son premier passage. Aux transitions rapides qui sont sa marque de fabrique depuis 1955, il ajoute un pressing de tous les instants et une intimidation physique dès le tunnel des vestiaires, les années 60 et les équipes aux méthodes mortifères étant passées par là. Les déplacements à Jean-Bouin sont des moments de bravoure, comme s’il s’agissait d’une arène où l’adversaire doit être mis à mort le plus rapidement possible, sans considération excessive pour la liturgie de l’art taurin.

Meneur d’hommes extraordinaire, d’une intransigeance folle, il conduit Nîmes Olympique aux portes du titre en 1972, pour la cinquième fois[7]. Firoud exalte les vertus du collectif, multiplie les rituels destinés à décupler l’énergie, exige de ses hommes qu’ils crient « Charbon » en touchant le ballon et en le regardant dans les yeux avant chaque match, fait jurer à ses défenseurs que leur attaquant ne passera pas… Ce management d’un autre âge fonctionne jusqu’en 1978 et le retrait de Firoud, conscient de ne pas pouvoir obtenir plus d’un effectif limité et usé par sa rigidité.

Avec son fils, Eric.

Son passage à Montpellier en 1980 (où il obtient l’accession en Division 1 de la Paillade avant de clore sa carrière en décembre 1981, démis de ses fonctions) ne peut altérer l’image de Kader Firoud à Nîmes. Ceux qui ont été entraînés par lui en parlent aujourd’hui encore avec émotion, admiration et encore un peu de crainte, 18 ans après sa disparition. Avec Marcel Rouvière, dans un rôle moins médiatisé, il est le seul à avoir connu les âges d’or du Nîmes Olympique. Mieux encore, il en a été le principal artisan.


[1] Un troisième Roumain aurait pu évoluer avec le NO : en 1973, Mircea Lucescu signe un contrat de deux ans mais ne joue jamais à Nîmes sauf pour le match de jubilé de Pîrcălab à Jean-Bouin en 1974.

[2] José Pirès est décédé brutalement l’an passé.

[3] Blessé, Bernard Genghini cède sa place à Patrick Battiston faute de milieu de terrain parmi les remplaçants.

[4] Reboussier : terme utilisé dans les environs de Nîmes signifiant revêche ou râleur.

[5] Mith et Kabile ont témoigné avoir été giflés par Firoud.

[6] Profondément désolé, Skiba aura ces mots : « Kader, que pouvais-je faire d’autre ? »

[7] Le concernant, quatre fois en tant qu’entraîneur (1958, 1959, 1960 et 1972) une fois en tant que joueur (1951).

31 réflexions sur « Top 10 – Nîmes Olympique (2e partie) »

  1. La fameuse dernière journée du championnat, le dimanche 20 mai 1962, où trois équipes peuvent encore remporter le titre, ça pourrait faire un article génial. Mais qui aura le courage de s’y coller ?
    Surtout que cet évènement a déjà été relaté dans un article définitif:
    https://www.planetenimesolympique.fr/20-mai-1962-le-jour-o%C3%B9-tout-s-est-effondr%C3%A9/
    Le truc original serait peut-être d’interviewer un grand témoin de ce funeste jour pour les Nîmois. Reste à le trouver et de le persuader de participer.
    J’ai peut-être notre homme à condition de le sortir de sa réserve dont il est coutumier.

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  2. C’est quoi le début d’existence d’Adams au Senegal? Il a été abandonné et envoyé dans un orphelinat en France?
    D’ailleurs, je me demande quelle est l’origine de son nom de famille. Pas commun pour un Sénégalais d’avoir un nom anglo-saxon.

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    1. Je ne connais pas toute l’histoire mais il me semble que c’est sa grand-mère qui décide de le déraciner dans le but de lui offrir un avenir en France. Elle le place dans un collège catholique du côté de Montargis je crois, choc qui a dû lui forger un mental de fer.

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  3. Les Girondins de Bez avaient quelques joueurs durs. Girard, Domenech…
    Me souviens pas du barrage entre Brest et Nimes. Par contre, j’étais fan de Cabañas. Son départ rocambolesque de Colombie. Un coup franc fantastique dans la lucarne de Huard. Le feu à Brest.

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  4. Mezy, pisté par des cadors espagnols? Pas mal! Personne ne symbolise mieux la rivalité entre Nimes et Montpellier que Mezy.
    J’ai bien en mémoire Nicollin arrachant littéralement les cheveux de Mezy après la victoire en Coupe en 1990.

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  5. Salut Khidia

    Concernant Girard il fait parti de ces joueurs qui étaient des « méchants » sur les terrains mais qui sont adorables en dehors .
    Je le croise souvent dans les arènes (fan de courses camarguaises) et j’ai déjà échangé avec lui , je peux te dire qu’il est d’une gentillesse et d’une simplicité extrême .
    J’ai discuté avec Di Méco après un de ses concerts il a été génial lui aussi.
    J’ai également lu plusieurs fois que Cyril Rool était un mec très sympa également….
    A contrario certains mecs qui passent bien dans les médias sont parfois assez méprisants…L’image, l’image

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    1. C’est vrai Hincha. L’image sur le terrain et l’attitude en dehors peut être très différente. En Espagne, Goya Benito, un joueur du Real des 70′, était considéré comme un tueur mais avait une attitude toute autre dans le quotidien. Asensi du Barça, qui eut à affronter à des multiples occasions les tacles de Benito, disait que tu ne savais jamais comment te comporter avec Benito. Fallait-il le frapper également ou le prendre dans ses bras?

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      1. Resalut Khidia

        Quand tu parles d’Asensi ça me rappelle mes premiers albums Panini (je suis de 1970) , je trouvais que lui et Pirri avaient des têtes de vieillards…
        Et je sais que Verano et toi l’avez déjà évoqué mais le mythe du beau jeu Espagnol et du Barça dans les années 80 on en était très loin …les Migueli, Alessanco Zuiviria et compagnie c’était pas des poètes…
        Tout ça nous rapproche des matchs de Nimes , à cette époque ou il y avait 2 groupes de deuxième division on pouvait trouver jusqu’à 5 clubs de l’ex Languedoc Roussillon : Nimes, Montpellier, Alès, Béziers ,Sète et en poussant juste un peu plus loin Avignon ou Martigues , je peux t’assurer que ça envoyait du bois sur le terrain, par contre et tant mieux pratiquement pas d’incidents entre supporters…J’allais au stade avec mon père et je me souviens d’un Montpellier-La Paillade contre Avignon ou César Laraignée un Argentin s’était fait rossé sévèrement après avoir bien provoqué , le match s’étant fini en bagarre générale avec Loulou Nicollin ayant tombé la veste…Une autre fois une bagarre titanesque entre Jean Pierre Kern de La Paillade et Borgoni de Béziers(lui aussi un poète) …A Sète un certain Laurent Ferrara était également très chaud ….

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      2. Hincha. J’ignore si tu nous lisais déjà mais mon premier texte sur ce site concernait l’amitié entre Pirri et Asensi! Mate le si ça t’intéresse…

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  6. Akesbi, pisté par le Milan? Magnifique attaquant qui eût la lourde responsabilité de remplacer Fontaine à Reims. D’ailleurs, Akesbi, Bettache et Abdallah Malaga, dont j’avais parlé il y quelques mois, ont bien fait galéré la Roja en qualifications pour le Mondial 62. Et on parle de la Roja de Di Stefano, Suarez, Puskas, Gento…

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  7. La Sevillana? Connaissais pas, merci! Je viens de trouver un chouette texte qui parle d’un match entre La Sevillana et le Betis, en troisième division! Le début des années 50 est catastrophique pour le Betis qui descend à son niveau le plus bas et affronte donc La Sevillana qui a son pic…
    https://www.eldesmarque.com/futbol/real-betis/20191007/el-otro-derbi-sevillano-que-existio-con-aires-arabes_161175266.html

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  8. Merci Verano. J’ai toujours pensé que je préférais la Paillade au Nimes olympique mais cette lecture de son histoire me fait changer un peu d’avis!
    Par contre, tu intègres des wild cards à tes tops, c’est un scandale!

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  9. Adolf Scherer, dont tu parles dans le paragraphe consacré à Firoud, finaliste du Mondial 62, est décédé l’année dernière à St Gilles dans le Gard. Preuve de son coup de foudre pour la région.

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  10. J’aime bien quand tu fais de l’humour, Verano. Je te jure avoir souri comme un con avec le cheval-lama de Mezy!

    Le reste : très instructif, merci.

    René Girard : j’aime bien le bonhomme mais je ne le reconnaissais pas.

    Vais tout relire, encore un truc toutefois : il avait l’air sympa comme tout, ce stade, sacré cachet.. Une vue « aérienne » mais détaillée à proposer de cette tribune principale? Un point m’intrigue. Si tu as ça sous le coude, ce serai top.

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      1. Ok et merci, ça lève mes doutes : de face, ça faisait vaguement penser à ces tribunes à travées multiples, , sortes de halles connexes construites transversalement à la pelouse. Comme jadis à Charlton, Tranmere..ou désormais à Carlisle, dernière tribune du genre aux Îles : https://www.gofundme.com/f/warwick-road-end-big-flags-fund

        Mais rien à voir, donc.

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  11. Une question d’ordre générique, que de fois ne l’ai-je lu parmi vous : c’était si moche et vicelard que cela, le Nîmes de ce Kader Firoud?

    Jeu négatif en quoi? Brutal ou violent? Jouer pour blesser ou pour intimider? Des contrats? Prise de risques minimale?

    Et, même époque : l’un ou l’autre clubs étaient-ils peu ou prou de cet acabit? Qu’en disait la presse? Etait-elle unanime? Quid du corps arbitral?

    Vous avez 10 minutes!, merci 😉

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    1. Je ne suis pas assez vieux pour avoir vu jouer les équipes de Firoud. C’était incontestablement dur, les défenseurs pouvaient être méchants (Bettache dans les 50es, Boissier plus tard) mais je ne crois pas un instant aux contrats.
      Je l’évoque à 2 reprises dans les articles : le match à Saint-Etienne en 1976 fausse toute perspective objective concernant les Crocos. Dommage car ils ont eu de magnifiques attaques.

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      1. 10 minutes, j’étais pas sérieux, hein 😉 Quel timing/SAV!

        Merci! Oui, je gardais à l’esprit ce point sur lequel tu insistais, le match face à l’intouchable Sainté.

        Mais, au-delà de cet épisode-là : FredAstaire est si souvent catégorique quand est cité Nîmes..?? J’aurais aimé juger par rapport à d’autres confréries bouchères d’Europe, d’autres cynismes (britannique, italien, NL..).

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      2. Bah, quand tu parcours la fabuleuse histoire du foot de Rhétacker et Thibert, ils n’accablent pas Nîmes hormis pour ce match de 1976. C’est un indice sur le caractère acceptable des méthodes nîmoises. Et Fred Astaire, fidèle à son pseudo, préférait les danseuses du Racing eh eh

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