Carlos Bianchi, il y a 50 ans

7 août 1973, le championnat de France de Division 1 débute. Un mardi soir, en catimini, comme si les instances du football français cherchaient à dissimuler une médiocrité que l’on pense sans fond. Pour ceux qui n’auraient pas eu vent de l’imminence des premières escarmouches, L’Equipe titre « C’est le départ : tous contre Nantes », à côté d’une photo de Marie-Christine Wartel et son record de France du saut en hauteur (1,86 m). Un entrefilet présente les nouveautés de la saison et en particulier « le bonus »[1]. Le règlement précise qu’un point supplémentaire est désormais attribué à chaque équipe marquant au moins trois buts durant un match. Un peu plus loin, une liste de noms nous informe des recrues les plus onéreuses : Marc Molitor (OGC Nice), Jean-Pierre Adams (OGC Nice), Fanfan Félix (Paris FC), Ilija Petković (Troyes AB), Raymond Kéruzoré (OM) et Carlos Bianchi, le successeur de Delio Onnis au Stade de Reims, ce dernier étant parti chercher la gloire et le soleil à l’AS Monaco après avoir inscrit une quarantaine de buts en deux saisons en Champagne.

De Vélez à Reims en passant par Mexico

L’influence argentine à Reims, c’est l’œuvre de Robert Marion, propriétaire d’un magasin de vêtements de travail, A l’Ouvrier Bleu, et dirigeant du Stade de Reims aux côtés de l’historique président Henri Germain, revenu aux commandes pour tenter de faire revivre le « football champagne » des années 50. En juin 1973, quand Marion se rend à Buenos Aires, il veut poursuivre l’exploitation d’un filon ayant déjà permis l’importation de César Laraignée (ex-River Plate), Roberto Zywica et Delio Onnis (ex-Gimnasia y Esgrima). Séduit par le recruteur rémois, Carlos Bianchi, goleador de Vélez Sarsfield et de l’Albiceleste, donne sa parole et rien ne le détourne de sa promesse, pas même les surenchères des clubs espagnols. Soucieux d’optimiser ses frais de déplacement, Marion en profite pour faire signer l’ailier d’Estudiantes Ignacio Peña.

Bianchi aurait-il découvert la France si l’Asociación del Fútbol Argentino, sous l’action de son président Raúl D’Onofrio, n’avait pas modifié les règles régissant les transferts à l’étranger ? C’est peu probable. En janvier 1972, Vélez Sarsfield cède Bianchi à Cruz Azul. Le goleador joue un match amical et inscrit son premier but avec le club mexicain avant d’être obligé de revenir à Vélez : D’Onofrio a fait voter une résolution rétroactive interdisant le départ à l’étranger des joueurs de moins de 23 ans dans le but de protéger l’Albiceleste alors dans le creux de la vague. Grands seigneurs, les dirigeants mexicains invitent malgré tout Marga et Carlos à Acapulco pour leur lune de miel avant qu’ils ne reviennent à Buenos Aires et y prolongent leur bail pour 18 mois.

Avec Marga.

Les débuts à Monaco

Avec Bianchi et Peña, Reims dispose de quatre Argentins, Laraignée ayant obtenu sa naturalisation en attestant de grands-parents français. C’est trop, seuls deux joueurs étrangers sont autorisés sur les feuilles de match[2]. Alors Onnis fait ses valises en direction de Monaco, libérant la voie pour Bianchi. Celui-ci impressionne d’emblée en signant deux doublés face à Bâle et au Servette en Coupe des Alpes, quelques jours seulement après son arrivée en France[3].

Pour l’ouverture du championnat, hasard du calendrier, le Stade de Reims est l’hôte de l’ASM à l’occasion du retour des Monégasques dans l’élite. L’Argentine est également en vogue sur le Rocher car, outre Delio Onnis, le coach Rubén Bravo (ex-Rosario Central, Racing Club et OGC Nice) peut compter sur les anciens d’Independiente José Omar Pastoriza (en semi-retraite et pilier des casinos de la côte) et Aníbal Tarabini.

Par une douce soirée d’été, un peu plus de 5000 spectateurs garnissent l’ancien Louis-II dont la tribune principale offre une incomparable vue sur mer. A l’époque, l’ambiance feutrée du lieu est encore troublée par les barrissements de Bouna, l’éléphante du jardin animalier surplombant le stade, encombrant présent de l’empereur du Vietnam Bảo Đại au Prince Rainier, peu de temps avant sa destitution. Blessé, Onnis est absent (il ne débute le championnat qu’à la septième journée, mi-septembre) mais Bianchi, lui, est bien là. Le cadre enchanteur doit le conforter dans son choix, il ne connaît pas encore les bourbiers automnaux, ni les surfaces pelées et gelées de janvier ou février au vélodrome d’Auguste-Delaune.

Le Stade de Reims, entraîné par Lucien Leduc en qui Henri Germain espère retrouver un peu d’Albert Batteux, propose un onze de qualité avec le gardien Marcel Aubour, le jeune défenseur international Jean-Francois Jodar, les frères Lech et les trois Argentins, Laraignée, Zywica, Bianchi. Les Rémois ouvrent la marque à la 30e minute grâce à Georges Lech mais El Pato Pastoriza et l’ailier Jean-Louis Massé inversent le rapport de force en faveur des Monégasques.

Après la pause, Didier Simon égalise puis Carlos Bianchi inscrit le but du 3-2 pour les Rémois. Aucune image ne semble disponible et on ne peut qu’imaginer El Goleador trompant Christian Delachet sur un service d’un des frères Lech. Cette première réalisation aurait pu offrir la victoire aux Champenois si Jodar n’avait pas battu son propre gardien en toute fin de rencontre. 3-3, les deux équipes obtiennent le bonus et débutent le championnat avec deux points.

Ce but de Carlos est le premier d’une longue série : trois jours plus tard à Delaune, il score à deux reprises contre le Paris FC. Le 24 août, contre le FC Nantes, champion en titre, il impressionne encore avec un nouveau doublé. C’est un phénomène, un goleador compulsif, et le 30 août, L’Equipe le choisit pour la une de son magazine. Chasseur mortifère, il assomme les défenseurs les uns après les autres, comme s’il s’agissait de satisfaire des pulsions et cela se perpétue jusqu’au 25 mai 1974, face à Monaco, point final de son premier championnat de France. Ce jour-là, Reims s’impose 8-4, Carlos gagne son duel particulier avec Onnis, cinq buts à quatre. Avec 30 réalisations, il est le meilleur buteur de la saison. L’histoire d’amour entre Carlos et Reims ne fait que commencer.


[1] Destiné à favoriser le spectacle, ce bonus est une réussite sous l’angle du nombre de buts inscrits, 1151 cette saison-là, soit une centaine de plus que l’année précédente. Mais le système donne lieu à suspicion, Nancy relégué, ayant des doutes quant aux résultats de la dernière journée et aux bonus opportunément obtenus par Troyes et Monaco, ses concurrents pour le maintien. Le système prend fin en 1976-77.

[2] A l’époque, plusieurs dirigeants font pression pour que le nombre d’étrangers passent de deux à trois. N’ayant pas gain de cause, ils importent d’Espagne la pratique des joueurs ayant des aïeux français pour contourner la règle comme le Chilien Alberto Fouilloux au LOSC ou Juan Pedro Ascery à Nice.

[3] Épreuve franco-suisse, la finale oppose le Servette à Lausanne, 1-0 pour Genève.

22 réflexions sur « Carlos Bianchi, il y a 50 ans »

  1. J’ai toujours aimé ce joueur, un vrai 9 avec un sens du but incroyable auquel il ne fallait pas vraiment demander du travail défensif. J’ai aussi un grand respect pour son travail sur le banc à Vélez (son ancien club et celui d’Oswaldo Piazza, comment ne pas avoir un petit faible ?) dans les années 1990. Son transfert du PSG à Strasbourg à l’été 1979 a été une belle erreur de casting, les deux parties se partageant la faute : Gilbert Gress pour tenter de le convertir en « premier défenseur », Bianchi et son entourage pour ne pas avoir compris cela. Je viens de finir un article à paraître dans quelques jours qui évoque cette saison 1979-1980 : que de regrets que le PSG l’ait laissé partir… mais peut-être fallait-il les rentrées de ce transfert pour faire venir João Alves ? Une attaque Boubacar-Bianchi-Dahleb, avec Alves pour les fournir en bons ballons, aurait eu une sacrée gueule. Le PSG a fini septième cette saison-là (dans le top 10 pour la première fois) malgré la blessure d’Alves, et on peut penser que ç’aurait été encore mieux avec El Virrey devant.

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    1. J’ignorais totalement que Joao Alves avait joué au PSG……….. Ca a donné quoi??

      Très loin bien sûr d’un QSG, j’avais par ailleurs l’idée (spontanée) d’un PSG alors plutôt bien doté, certaine aisance financière, ils suivaient de sacrés joueurs à l’époque.. Ce n’était pas si simple?

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    2. Alves au PSG, c’est l’uchronie par excellence. Il arrive à l’été 1979 et se met le Parc dans la poche en 90 minutes avec un match éblouissant contre l’OM à la 2ème journée (on en parlera dans un article à paraître en fin de semaine). Quinze jours plus tard, le PSG joue à Sochaux. Une charge maladroite de Bernard Genghini, crac la jambe. Six mois sans jouer, il ne retrouve pas complètement son niveau (il ne le retrouvera jamais) et repart à Benfica. Dommage, dommage, dommage. Il avait de quoi être Susic avant Susic.

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  2. C’est chouette que Reims ait retrouvé l’elite, après des décennies de galère. Au Cruz Azul, Bianchi serait tombé dans la plus belle génération de ce club. En compagnie du Superman Marin

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    1. Il est arrivé durant l’autonme à Nice en 89 90 pour sauver le club suite à un début de championnat en queu de boudin. Mission accompli en barrage contre Strasbourg. Bon c’est sure qu’après ce qu’il a fait avec Velez et Boca c’est petit on aurait pu attendre autre chose.

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      1. Salut Verano

        Merci pour cet article et pour le lien El grafico que je vais copier et traduire .

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      2. Pas mal, cet article. Question pour les hispanisants (Khia ?) : « Estaban todos los tipos armados hasta los dientes. A ver si veían una sombra y me limpiaban », dit René Houseman en parlant de la sécurité autour du camp de l’équipe nationale. « Me limpiaban », « ils me nettoyaient », c’est bien au sens de « liquider » qu’il faut le comprendre, un peu comme le « Victor, nettoyeur » de Nikita ?

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      3. Oui, je pense qu’il faut le comprendre comme « liquider » compte tenu du sens de la phrase.

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      1. Mes voisins flamands ont inventé les techniques de poldérisation, on étudiait ça à l’école… Ce n’est déjà pas une mince affaire que de gagner de l’espace sur des bancs de sable, à faible profondeur..alors en Méditerranée?? Et Monaco est certes prospère mais, tel chantier pour un micro-Etat.. Costaud.

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  3. J’ai un immense respect pour ce joueur et entraineur.
    Une des questions historique qui me taraude dans le foot est de savoir pourquoi il n’a pas eu l’opportunité d’être à la tête de l’albicelestes ? J’ai comme l’impression que c’est dû à bug dans la matrice Espace temps ou est ce qu’il y a d’autres éléments dont j’ai pas connaissance. Verano si tu as des éléments réponses mon interogation je te remercie de m’en indiquer quelques uns.

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  4. Alberto Fouilloux??.. 🙂 J’imagine un Auvergnat dansant le tango.

    Je ne connaissais pas cette histoire d’éléphant.. Je n’ai vraiment rien contre les pachydermes, mais bon : ça ressemble quand même à un cadeau empoisonné ; j’aurais donné cher pour voir la tête du Prince Rainier quand il a découvert son cadeau.

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