Japon, Coupe d’Asie 2004 : Dans l’antre du dragon (1/4)

P2F vous propose de revenir, dans une série de quatre épisodes, sur le parcours et la victoire finale de la sélection japonaise en Coupe d’Asie 2004. Dans ce premier épisode, nous reviendrons sur le contexte général autour de l’équipe du Japon et le climat d’hostilité accrue du public chinois à l’égard des Samurai Blue.

La 18e édition de la Coupe d’Asie de football aurait dû s’ouvrir aujourd’hui en Chine. Mais en raison de sa politique zéro covid, la République populaire a choisi de renoncer à l’organisation du tournoi. Déplacée au Qatar pour l’hiver 2024, cela aurait été la deuxième fois, 19 ans après, que la Chine aurait accueilli la compétition. Se tenant du 17 juillet au 7 août 2004, l’Empire du Milieu espère capitaliser sur la première participation deux ans plus tôt de sa sélection à une Coupe du Monde pour continuer à progresser et s’affirmer comme une nation émergente du football. Naturellement, si cette compétition de 2023 s’était tenue comme prévue en Chine, cela aurait était tout aussi fort en symbolique pour la sélection du Japon : 19 ans auparavant, celle-ci vivait l’un de ses succès les plus épiques de son histoire.

Assumer le nouveau statut

Le football nippon a dû attendre jusqu’en 1988 pour participer une première fois au tournoi. Mais cette année marque le point de départ d’une ascension fulgurante puisque quatre ans plus tard, en 1992, « King Kazu » Miura soulève à domicile le premier trophée continental de l’histoire du football japonais. Six ans plus tard, le Japon participait enfin à sa première Coupe du monde en 1998.

Bien que repartant de France avec trois défaites en autant de matches, la fédération japonaise ne compte pas s’arrêter dans sa progression alors qu’elle doit organiser le Mondial en 2002. Elle choisit alors de s’en remettre aux compétences du technicien français Philippe Troussier. S’appuyant sur une génération dorée comptant dans ses rangs Hidetoshi Nakata, Shinji Ono ou encore Jun’ichi Inamoto, Troussier va mener le Japon à une deuxième victoire en Coupe d’Asie en 2000. Puis à une finale de Coupe des Confédérations 2001 perdue avec les honneurs contre les invincibles Français. Et l’apothéose, les Samurai franchiront le premier tour de leur mondial. Bien qu’éliminé en huitième de finale par la Turquie, le Japon sort avec le sentiment du travail accompli.

Troussier quitte la sélection après ce Mondial réussi. Conscient d’être devenu en quelques années seulement un poids lourd du continent asiatique, le football japonais cherche désormais à maintenir sa position puis à capitaliser sur ces résultats flamboyant. La fédération choisit alors la légende brésilienne Zico pour le poste de sélectionneur. Les résultats peinent cependant à venir, et il faut attendre plus d’un an pour voir enfin une série positive s’enclencher (seulement trois victoires sur les 12 premiers matches sous Zico). Les choses finissent par se mettre en place et le Japon obtient entre 2003 et l’été 2004 plusieurs résultats intéressants, dont un 1-1 en Angleterre, ou des victoires 1-0 en Tchéquie ou contre la Serbie Monténégro.

Le capitaine Ryûzô Morioka célébrant avec ses partenaires le titre de Champion d’Asie 2000.

Ainsi, pour l’édition 2004 de la Coupe d’Asie, le Japon se présente à priori comme un favori naturel à sa propre succession. Mais Zico ne se voit pas les choses facilitées pour la composition de sa sélection. On note en effet plusieurs absent de marque dans le groupe des 22 Japonais : sélectionnés participer aux Jeux olympiques d’Athènes (devant commencer une semaine après la Coupe d’Asie), Shinji Ono et Naohiro Takahara sont logiquement laissés de côté. Tout juste transféré dans le club italien de Messina, l’attaquant Atsushi Yanagisawa n’est pas libéré par son nouvel employeur. Enfin, des cadres comme Hidetoshi Nakata, Jun’ichi Inamoto, ou Keisuke Tsuboi doivent déclarer forfait pour blessure.

On retrouve cela dit plusieurs joueurs important dans l’équipe, comme le capitaine en défense Tsuneyasu Miyamoto, Kôji Nakata, Mitsuo Ogasawara, Takayuki Suzuki à la pointe de l’attaque, le Brésilien naturalisé Santos Alessandro, un tout jeune Yasuhito Endô, et surtout Shunsuke Nakamura. Ce dernier, boudé par Philippe Troussier qui l’estimait ne pas répondre à ses exigences sur le plan athlétique, ne fût pas sélectionné pour la Coupe du monde 2002, au grand désarroi de la presse et des supporters. Dès sa prise de fonction, Zico fit de Nakamura son joueur majeur. Nakamura, qui évolue alors en Italie à la Reggina, sait que les attentes sont grandes et qu’il est enfin venu le temps de se montrer à la hauteur des espoirs placés en lui. Il faudra en effet que les Japonais soient très costauds mentalement, car la Coupe d’Asie 2004 n’a pas lieu dans n’importe quel pays : en République populaire de Chine !

Le « Pelé blanc », Zico, fût nommé sélectionneur en 2002. C’est son premier test dans une grande compétition.

Raviver les cicatrices de l’histoire

L’histoire est assez connue, mais il convient de la rappeler : les relations entre la Chine et le Japon n’ont rien d’un long fleuve tranquille. Les différentes guerres entre les deux nations au début du XXe siècle ont durablement marquées les mémoires. Et les nombreuses exactions commises par l’Armée impériale nippone, dont la plus tristement célèbre reste le massacre de Nankin de 1937 (près de 200 000 morts selon le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient) cristallisent la haine et la rancœur de bon nombres de Chinois à l’encontre de l’ancien envahisseur.

Depuis la fin de la guerre, la chute de l’Empire du Japon et l’avènement de la République populaire de Chine, aucune tentative de réconciliation n’a jamais vraiment été entreprise. Mais si les relations restaient froidement courtoises jusque dans les années 90, la tension remonte d’un cran lorsque Jun’ichi Koizumi devient Premier ministre du Japon en 2001.

Issu d’une famille de politiciens membre du Parlement japonais depuis le début du XXe siècle, Koizumi est un symbole de népotisme de la politique japonaise. Bien que membre du Parti Libéral-Démocrate, au pouvoir quasi sans discontinuer depuis l’après-guerre et que l’on pourrait classer à la droite conservatrice, Koizumi est aussi un farouche nationaliste proche des milieux d’extrême droite nippone. Outre sa volonté assumée de réformer l’Article 9 de la constitution (le fameux qui fait renoncer à la guerre le Japon), Koizumi se démarque par ses visites annuelles au sanctuaire Yasukuni, où sont enterrés des héros de guerre japonais, y compris des criminels de la période 1937-1945, provoquant à chaque fois de vives contestations en Asie de l’Est, notamment en Corée du Sud et en Chine.

Le Premier ministre Koizumi au cours d’une visite polémique au sanctuaire Yasukuni. Ses actions contribueront à renforcer la tension entre le Japon et ses voisins

Rendez-vous en terre hostile

25 mars 2004, des manifestations soutenant les revendications pour les îles Senkaku ont lieu en Chine. Des drapeaux japonais sont brûlés et l’on commence à se poser des questions quant à la sécurité de la sélection japonaise lors de la Coupe d’Asie. Si aucun incident majeur ne sera heureusement à déplorer, joueurs et staff évolueront tout de même dans un climat extrêmement hostile. L’hymne japonais sera conspué à chaque rencontre, et les spectateurs chinois prendront systématiquement le parti des adversaires des Samurai Blue. Par ailleurs, quelques rares supporters japonais oseront tout de même faire le déplacement, mais par mesure de sécurité, la police locale leur demandera de ne pas revêtir les couleurs de leur sélection, de ne pas agiter de drapeau et de ne pas exprimer trop ostensiblement de joie. Les courageux passant outre ces consignes se verront parfois largement insulté par la foule et recevront quelques projectiles, malgré les barrages de protection policière.

Le tirage au sort place le Japon dans le Groupe D, dont l’intégralité des matches se joueront à Chongqing. Encore un symbole énorme puisque cette ville située dans l’intérieur des terre fût, après la conquête de Nankin, désignée comme capitale provisoire de la République de Chine. Attaquée sans relâche par l’aviation nippone, Chongqing fût la ville la plus bombardée de toute la Seconde Guerre mondiale et gardera de cette période un traumatisme profond.

Des Chinois brulant des drapeaux japonais.

Une cible à abattre

Tout ce contexte pensant ne semble pourtant pas perturber outre mesure la sélection menée par Zico. Débutant sa compétition contre Oman, la rencontre se débloque sur un éclair de génie de Shunsuke Nakamura : récupérant un centre mal renvoyé par la défense omanaise, le joueur de la Reggina récupère le ballon à l’entrée de la surface de réparation, élimine deux adversaires d’un magnifique double-contact avant de placer le cuir dans le petit filet adverse d’un splendide extérieur du pied gauche. Le geste est magnifique et permet au Japon de bien entamer son tournoi face à un adversaire plus coriace que prévu.

La seconde rencontre contre la Thaïlande s’avère en revanche plus facile : malgré un premier but refusé pour hors-jeu à Suzuki et l’ouverture du score concédé aux Eléphants à la 12e minute, le Japon déroule au fil de la rencontre. Nakamura, encore lui, égalise d’un de ses coups-francs dont la le secret, non sans avoir adressé au public chinois un discret mais révélateur index sur la bouche. Puis en seconde période, Yûji Nakazawa donne l’avantage aux Samurai Blue. Takashi Fukunishi, puis Nakazawa pour un doublé, terminent le travail et le Japon s’impose 4-1, assurant aisément sa qualification pour les quarts de finale.

Le troisième match contre l’Iran se finira sur un 0-0 anecdotique mais suffisant pour assurer la première place du groupe. Sans être fondamentalement brillants dans le jeu, les hommes de Zico poursuivent sans encombre leur petit bonhomme de chemin, et confirment leur statut de favori à leur propre succession. Mais face à un public toujours plus hostile, le chemin promet d’être bien parsemé d’obstacles.

Devenu titulaire indiscutable en sélection, Shunsuke Nakamura est déjà grandement décisif et s’affirme déjà comme un joueur clé dans le parcours japonais.

Xixon

Même un Bordelais peut préférer la bière. Puxa Xixón, puxa Asturies, puta Oviedo ! 俺は日本サッカーサポーター ! (Rien à voir avec le judo) 

Voir tous les articles de Xixon →

13 réflexions sur « Japon, Coupe d’Asie 2004 : Dans l’antre du dragon (1/4) »

    1. Je vais essayer d’apporter des éléments de réponse: le Japon est un pays traditionnel sur le plan civilisationnel et très capitaliste sur le plan économique, c’est donc tout naturellement que le parti Libéral-Démocrate est en place depuis des décennies. Les partis de gauche sont généralement assez mal considérés (jugés trop pacifistes face à la Chine/Corée du nord et trop ouvert aux influences étrangères), quand aux quelques partis d’ultra-gauche, n’en parlons pas. Le parti libéral-démocrate a par ailleurs des accointances avec les Yakuza et les milieux d’affaire.

      2
      0
    2. La gauche japonaise a boucoup souffert en terme d’image du terrorisme pratiqué par l’Armée Rouge Japonaise. Le Parti Communiste n’a jamais disparu (on peut voir pas de ses affiches dans les rues au Japon, ainsi que des camions de propagande électorale circuler). Mais il est aujourd’hui devenu assez marginal.
      Les Socio-démocrates ont déjà été au pouvoir deux fois : au début des années 90 et entre 2009 et 2012.
      La première fois, ils n’ont pas réussi à arranger la situation économique mise à mal par la crise économique. Et la deuxième, ils ont bénéficié du fait que le PLD était emprêtré dans dans des affaires. Mais ils ont été accusés (à tord ou à raison) d’avoir géré les événements de Mars 2011 comme des manches. Couplés à des affaires (eux aussi), ils ont été complétement discrédités.

      J’ajouterais également plusieurs élements sur le PLD :
      – c’est une grosse machine, semblable aux deux gris partis américains. Ils y a plusieurs courants (Koizumi était à fond dans le Néo-libéralisme, Kishida, le PM actuel, est beaucoup plus interventioniste).

      – le système électoral, le découpage des circonscriptions en particulier, favorise le PLD, très populaire en zones rurales

      – car sans rentrer dans les détails, le PLD a des pratiques très clientélistes en faveur des des classes rurales, ce qui maintien sa popularité à l’échelle locale

      – la démocratie japonaise souffre de la apathie générale de la population. Les jeunes ne vont pas voter. Et globalement, ceux qui votent vont voter PLD car ils ont toujours voté PLD et que leurs parents ont toujours voté PLD

      2
      0
  1. Xixon, pourrais-tu nous en dire plus sur les gaijin naturalisés japonais dans le football ? Je sais qu’on compte de très forte communautés d’ascendance japonaise en Amérique du Sud (notamment à Sao Paulo au Brésil) mais qu’en est-il de ceux qui n’ont aucune attache particulière ? La nationalité japonaise est très difficile à obtenir, et à sens unique (il faut renoncer à la bi-nationalité et/ou à sa nationalité d’origine).

    1
    0
    1. Ça mériterait un article complet je pense ^^ »
      (Un jour peut être)

      En tout cas, moi, je ferai plusieurs distinctions
      – entre les naturalisés comme Alex Santos, Wágner Lopes ou Ruy Ramos
      – les nippo-brésiliens comme Túlio Tanaka
      – les métis comme Aido Onaiwu
      – et les « non-japonais » nés au Japon comme Daniel Schmidt ou les frères Havenaar

      Après, j’ai quand même l’impression que les naturalisés restent assez rares.
      Je ne sais pas ce qui peut les inciter à passer le cap. Mais pour Ruy Ramos et Alex Santos, ça a l’air de bien se passer : ils ont l’air plutôt bien intégrés, parlent la langue, etc…

      1
      0
      1. Quelle est la ferveur autour de Naomi Osaka et Rui Hachimura au Basket? Deux itinéraires différents. Osaka a vécu la majorité de sa vie aux États-unis. J’ignore si elle parle couramment le japonais.
        Hachimura, né d’un père gabonais, a grandi au Japon.
        D’ailleurs, les deux portent le nom de leur mère.
        Que des personnes de couleurs soient devenus les porte-drapeaux de leur sport respectif, ça a du un peu chambouler cette société, j’imagine.

        0
        0
      2. Les « Hāfu » (les métis) ont longtemps été mal considéré car de sang-mêlée, mais depuis plusieurs années le marketing les a en quelque sorte réhabilité, de part leur côté exotique tout en étant plus similaire aux japonais pour qui il est un peu plus facile de s’identifier par rapport à un étranger total. Je dis surtout ça pour les métis « blanc/japonais », ça doit être plus compliqué pour ceux qui ont un parent noir mais les mentalités évoluent, et par ailleurs la situation ne doit pas être forcément évite pour les métis coréens ou chinois.

        Dans un autre registre, il me semble que le gros des sumotori professionnel est d’origine étrangère (Mongolie notamment).

        2
        0
      3. On a un autre spécialiste du Japon avec Aiaccinu! Merci! C’est l’attrait pour les îles? Hehe
        Oui, j’ai vu que beaucoup de yokozuna étaient mongols désormais.

        0
        0
  2. Article au top et commentaires au top également ! La progression du Japon d’un point de vue régional et international est assez incroyable. À mes yeux, ils ont même dépassé la Corée du Sud. Prochaine étape pour les Japonais : passer les huitièmes de finale de coupe du monde. Et bosser aussi les tirs au but !

    On peut rapprocher ça de la Croatie sur certains points, à une échelle quelque peu différente cependant, mais le parallèle entre les deux sélections est pertinent je trouve.

    3
    0
      1. Je parle de bosser les séances de tirs au but en coupe du monde 😉

        Le Paraguay en 2010 et la Croatie en 2022, ça ne leur a pas porté chance… 😐

        0
        0

Laisser un commentaire