Japon, Coupe d’Asie 2004 : Les Samurais immortels (3/4)

Troisième épisode de notre série sur le parcours du Japon lors de la Coupe d’Asie 2004 disputée en Chine. Après s’être miraculeusement sorti du piège jordanien, au terme d’un match épique au scénario incroyable, il est temps d’évoquer la demi-finale, tout aussi épique.

Pour les hommes de Zico, pas le temps de se remettre de l’incroyable bataille qui les a opposés à la Jordanie. Alors qu’il ne reste que deux jours avant le match, il faut maintenant quitter la si hostile Chongqing et traverser la moitié de l’immense territoire chinois pour rejoindre Jinan afin d’y disputer une place en finale. Evidemment, comme on pouvait s’y attendre, il n’y a aucune différence quant à l’accueil du public. Qu’importe, les Samurai Blue sont maintenant habitués. Sur le terrain, le Japon rencontre un adversaire surprise, que pas grand monde n’attentait à ce stade de la compétition. Un adversaire en fin de compte assez similaire à la Jordanie : le Bahreïn.

La surprise bahreïnie

La sélection de ce petit royaume insulaire situé dans le Golfe persique n’a de base rien d’un cador du continent : il s’agit seulement de sa deuxième participation à la Coupe d’Asie, et bien sûr de sa première présence en demi-finale. Néanmoins, on note depuis deux ans des résultats significativement encourageants, permettant aux Bahreïnis de passer de la 105e place au classement FIFA à la 51e avant la compétition. Des progrès confirmés par un surprenant 2-2 obtenu contre la Chine, pays organisateur, lors du match d’ouverture. Un nouveau match nul contre le voisin qatarien et une victoire 3-1 contre l’Indonésie ont permis à Bahreïn d’arracher la deuxième place du groupe. Pas favoris à l’occasion du quart de finale contre l’Ouzbékistan, les Guerriers du Dilmoun ont réussi à se qualifier aux tirs aux but après un nouveau 2-2. C’est donc une équipe à l’état d’esprit libéré et capable d’exploits que le Japon s’apprête à affronter.

Bien que plus clairsemé que celui de Chongqing, le stade de Jinan a bien évidemment pris fait et cause pour le Bahreïn. Encore une fois donc, le Japon évoluera devant un public assez hostile. Le coup d’envoi est donné. Et le petit poucet du Golfe persique se montre d’entrée de jeu capable de regarder le favori nippon droit dans les yeux grâce à un pressing haut dans le camp adverse. Après seulement cinq minutes de jeu, A’ala Hubail est trouvé dans la surface de réparation dos au but. Il résiste à un Makoto Tanaka trop doux au duel et parvient à frapper en pivot au premier poteau. Kawaguchi ne va pas au sol assez vite et le Bahreïn ouvre déjà le score ! Comme face à la Jordanie, le Japon est cueilli à froid et doit réagir rapidement. Tanaka justement tente de sonner la révolte en tentant une percée jusque dans la surface de réparation. Stoppé par un défenseur, le ballon revient sur Yasuhito Endô qui d’une subtile talonnade parvient à transmettre le ballon à Keiji Tamada, lequel tente un tir de l’extérieur du pied gauche qui termine sa course sur le poteau. Deux minutes plus tard, Shunsuke Nakamura dépose un coup franc sur la tête de Nakazawa. De peu à côté.

Cette demi-finale part donc sur un rythme très élevé. Mais Bahreïn n’a nullement l’intention de recroqueviller en défense et attendre la fin du match. Au contraire, les Rouges n’hésitent pas à sortir jouer les coups à fond, et Kawaguchi est à plusieurs reprises obligé de se détendre pour empêcher le break. Tout comme Tanaka qui sort le grand jeu en défense, empêchant à la 18e minute Hubail d’inscrire un doublé contrant sa reprise de volée au dernier moment. Très actif, Nakamura assume pleinement son rôle de meneur de jeu et envoie un caviar sur Santos Alessandro dans la surface de réparation. Le latéral nippo-brésilien tente de servir Takayuki Suzuki, mais l’attaquant manque grossièrement le but vide à cinq mètres… Le Japon ne manque pas d’occasions, mais ne peut se permettre de louper des balles d’égalisations aussi simple…

Très en vue, Santos livre une excellente prestation sur son côté gauche, aussi bien en distribuant de très bons centres qu’en se lançant dans des rushs effrénés impossibles à arrêter pour la défense bahreïnie. Mais les opportunités sont pour le moment systématiquement gâches par le manque d’habilité des deux buteurs japonais, Suzuki et Tamada. Le Japon continue de maintenir la pression. Mais à la 40e minute, arrive le premier tournant de la rencontre : alors qu’il poursuit sa course après avoir transmis le ballon, Yasuhito Endô heurte Mohamed Salmeen. Ce dernier s’effondre au sol en se tenant au visage. L’arbitre arrête le jeu et n’hésite pas une seconde : sous les hourras de des spectateurs chinois, il brandit le carton rouge à Endô ! Ce dernier semble ne pas comprendre… Au ralenti, il semble vouloir écarter son vis-à-vis qui vient le charger, et le touche plus à l’épaule qu’au visage. Du moins, si coup au visage il y a, cela semble plus involontaire qu’autre chose et ce carton rouge semble à priori très sévère.

Malgré sa présence surprise en demi-finale, le Bahreïn prouve se révèle être un adversaire valeureux.

Miyamoto le Shôgun

La mi-temps est sifflée et c’est donc menés, réduits à 10 et un peu sonnés par la tournure des événements que les Japonais rentrent au vestiaire. Kôji Nakata entre en jeu suite à un réajustement tactique de Zico après l’expulsion de Endô. Un choix payant pour l’entraîneur brésilien puisque dès la reprise, le futur joueur de Marseille reprend victorieusement de la tête un corner de Nakamura. C’est l’égalisation ! Le soulagement et un regain de détermination se lisent sur les visages nippons, qui sentent que c’est le moment d’enfoncer le clou face à un adversaire clairement dans les cordes. Quelques minutes plus tard, Keiji Tamada est lancé sur l’aile gauche, fixe son défenseur avant de déclencher une frappe puissante au premier poteau qui surprend le gardien Ali Saqr. Peu en réussite jusque là, Tamada inscrit son premier but dans la compétition et donne l’avantage à son équipe alors qu’il reste 35 minutes à jouer. Le Japon a totalement reversé la situation et doit maintenant tenir.

Keiji Tamada portant le score à 2-1 pour le Japon.

Bahreïn tente de reprendre la maitrise du jeu, mais semble réduit à l’impuissance, n’arrivant que très peu à s’approcher du but de Kawaguchi, et ne pouvant que tenter des frappes de loin. Mais alors que les Japonais semblaient tranquilles et peu inquiétés, à la 70e minute, Kôji Nakata perd bêtement le ballon. Les Bahreïni ne se font pas prier pour exploiter l’offrande : Hubail réalise le doublé pour égaliser. Le rythme retombe quelque peu et Japonais comme Bahreïnis cherchent désormais avant tout à ne pas s’exposer au danger. Il reste cinq minutes à jouer. En position pour pouvoir centrer, Santos perd le ballon. Hubail récupère, remonte sa moitié de terrain et parvient à lancer la contre-attaque. Al-Dosari est trouvé aux 30 mètres dans l’axe, la défense japonaise est désorganisée. Il voit Nasser Duaij esseulé sur la gauche et lui transmet le ballon. Malgré un contrôle du pied gauche un peu raté, il réussit à déclencher un tir fusant à ras de terre au premier poteau sur lequel Kawaguchi ne peut rien faire. 3 à 2 à cinq minutes du cou de sifflet final. Le stade de Jinan exulte ! Bahreïn est en passe de réaliser l’exploit et d’éliminer le Japon aux portes de la finale !

Sous le regard impuissant de Kawaguchi et de Nakazawa, A’ala Hubail égalise à 2-2 pour le Bahreïn.

Contraint de jouer le tout pour le tout, le Japon se jette à l’abordage. Sans attendre d’instruction de la part de son entraîneur, le capitaine Miyamoto recommande, à Yûji Nakazawa de monter aux avants postes avec les attaquants pour faire le nombre. Exploitant les espaces d’une défense japonaise dégarnie, Bahreïn manque de peu de tuer définitivement le match : le tir de Talal Yousef passe entre les jambes de Kawaguchi, mais le gardien japonais est suppléé in extremis par Santos qui sauve les meubles. Plus qu’une minute dans le temps réglementaire à tenir pour Bahreïn. Alors que tout semble sous contrôle pour les Rouges, Tamada intercepte un dégagement de Basheer, réussi un grand pont sur ce dernier, avant de chercher Suzuki. Le ballon est un peu trop long. Suzuki se bat pour le récupérer et transmet à Santos. Le latéral gauche déclenche un centre appliqué en direction du point de pénalty. Nakazawa, bien que défenseur, a suivi les consignes de son capitaine et est bien présent dans la surface de réparation. Il parvient à reprendre et expédie le ballon dans le but de Saqr d’une tête décroisée. De façon inespérée, le Japon égalise à la dernière seconde et revient encore une fois d’entre les morts !

L’initiative Miyamoto s’est avérée clairement payante. Le capitaine expliquera aux journalistes qui lui posaient la question à propos de la présence de Nakazawa sur le front offensif : « en 2002, contre la Turquie, nous perdions 1-0, mais aucune consigne ne venait du banc. Je me suis toujours demandé si les choses auraient changé si on avait pu faire monter mon partenaire de défense, Naoki Matsuda, et si j’avais commencé à lui envoyer des longs ballons. C’est le fait d’avoir cette expérience qui m’a fait donner cette consigne à Yûji. Les autres étaient surpris. Mais je me suis dit qu’on ne pouvait pas perdre comme ça, il fallait que l’on fasse quelque chose ! » Comme contre la Jordanie, l’expérience et la lecture du jeu de Tsuneyasu Miyamoto ont changé le destin du Japon.

Leader charismatique et capitaine incontesté en l’absence de Hidetoshi Nakata, Tsuneyasu Miyamoto a encore une fois, à sa manière, été décisif.

Portés par les vents divins

Nouvelle prolongation. On joue depuis seulement trois minutes et un ballon dégagé par la défense japonaise arrive sur Tamada dans le rond central. L’attaquant de Kashiwa parvient à se retourner, résiste au duel Basheer, effectue un nouveau grand pont sur Ghuloom pour réussir à s’échapper. Plus vif que ses deux poursuivants, il résiste à la charge de Abdulaziz venu à la rescousse et se présente seul face au gardien. Sans trembler, Keiji Tamada place tranquillement le ballon au ras du poteau et porte le score à 4 à 3, plongeant une nouvelle fois le stade de Jinan dans le silence. Le plus dur est fait, il faut maintenant tenir.

Les jambes se font toutefois de plus en plus lourdes, et c’est maintenant Bahreïn qui se jette à l’assaut du but de son adversaire. Nakazawa sauve son équipe d’un tacle salvateur contrant le tir d’un d’attaquant, avant que Kawaguchi ne se jette dans les pieds de Jaffer alors que le ballon trainait dans la surface de but. Puis en deuxième mi-temps de la prolongation, Sayed Jalal laisse trainer un peu trop le bras au niveau du visage de Shunsuke Nakamura. Deuxième carton jaune et exclusion pour lui. Cela semble là aussi assez sévère. Mais l’on considérera que si Endô a été exclu pour ce motif, alors il est juste que Jalal le soit aussi.

A 10 contre 10, les Bahreïnis jettent leurs dernières forces dans la bataille. Des forces, peut-être est-ce qu’il manque à Mohammed Salmeen ? Suite à un coup-franc assez mal tiré, le ballon cafouille un peu dans la surface de réparation japonaise, et arrive sur un Salmeen esseulé à cinq mètres du but devant une cage totalement déserte. Il n’a plus qu’à pousser le ballon pour égaliser, mais il le manque totalement et n’arrive qu’à l’effleurer, l’envoyant largement à côté du but. Sous les cris de désespoirs de leurs supporters d’un soir, les joueurs bahreïnis s’effondrent tous au sol les mains sur la tête, conscient qu’ils viennent de laisser passer une chance inespérée. Ce sera la dernière grosse occasion de la rencontre. L’arbitre siffle la fin de cette incroyable demi-finale sur le score ahurissant de 4-3 pour le Japon. Les Samurai Blue qui disputeront donc une nouvelle finale continentale, la troisième en quatre tournois. Mais les forces laissées ont encore une fois été grandes. Et les joueurs de Zico ont encore une fois fait preuve d’une extraordinaire force mentale, il faudra sûrement encore plus que ça pour aller chercher le titre en terres chinoises.

Keiji Tamada s’en allant inscrire le but décisif en prolongations.

Xixon

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11 réflexions sur « Japon, Coupe d’Asie 2004 : Les Samurais immortels (3/4) »

  1. Toujours aussi bien écrit et palpitant. Merci…
    J’ai toujours bien aimé Yasuhito Endô. Comment se fait-il qu’il n’ait jamais joué à l’étranger? C’est quand même un cadre de la sélection pendant des années…

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    1. Aucune idée. Je suppose qu’aucune offre sérieuse ne lui a jamais été faite.

      Aujourd’hui, tout le monde fait ses emplettes en J. League. Car les clubs ont fini par comprendre que y’avait moyen d’avoir plein de bons joueurs pour pas cher. Mais lorsque Endô est à son prime (donc dans les années 2000), recruter du Japonais n’est pas encore à la mode. D’autant que la JFA n’incitait les joueurs à aller vers l’Europe à tout prix, comme maintenant.

      Et lorsque les Allemands commenceront à s’y mettre, au début des années 2010, Endô a déjà la trentaine. Donc peu susceptible d’intéresser les clubs européens.

      Dommage… il aurait sûrement rendu de bons services. Et ses qualités sur coup-francs auraient probablement été reconnues à l’image de celles de Nakamura.
      M’enfin, ça ne l’a pas empêché d’avoir une belle carrière avec le Gamba et de devenir une icône de la J. League

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  2. Cardiaques s’abstenir pour ce match, j’imagine même pas les montagnes russes émotionnelles pour les supporteurs japonais !

    2002 et 2004 ont été des tournants importants dans le football nippon, entre les 8èmes de finale à domicile et cette victoire 2 ans plus tard en terres ennemies.

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  3. J’ai « découvert » la sélection japonaise au Mondial 2010, contre le Danemark, avec notamment les 2 coup-francs somptueux de Honda et Endô. Plus tard, le match contre la Belgique en 2018 m’avait mis le moral dans les chaussettes, mais vraiment, j’étais abasourdi. Le Japon est donc devenu tout naturellement ma sélection d’Asie préférée (surtout que j’ai eu la chance de visiter ce pays 2 fois).

    Tout ça pour dire merci à Xixon pour la qualité de ses articles, comme d’hab, et aussi pour dire dommage que le foot extra-européen n’était pas aussi accessible y’a 20 ans car j’aurai sûrement eu un sacré ascenseur émotionnel.

    Cher Xixon, quel est ta relation avec ce pays ?

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    1. En parlant du Japon, j’ai revu récemment Japon Argentine de 98 que j’avais vu au Stadium. Et surprise, je vois le Tolo Gallego sur la banc! M’étais jamais demandé qui étaient les adjoints lors de cette coupe du Monde. Les joueurs et les sélectionneurs, oui. Les autres, pas du tout…
      Donc s’en m’en rendre compte, j’ai vu Gallego, Ray Clemence, le coach des gardiens anglais et Rijkaard, Koeman et Neeskens en assistant d’Hiddink! J’etais agréablement surpris!

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      1. Gallego et Passarella, c’est plus qu’une amitié, ce sont deux frères depuis 1975. El Tolo était déjà l’adjoint de Passarella sur le banc de River. Et plus tard, en tant que président, le Kaiser avait appelé Gallego pour être coach principal. Ça s’était mal terminé et ils s’étaient brouillés quelques temps.

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