Les huit d’Ashton Gate : une fresque de courage et d’injustice

Lorsque l’on pense au football anglais, le nom de Bristol n’est pas le premier à nous venir en tête, et c’est bien normal. En effet, les clubs de Bristol City et Bristol Rovers végètent depuis de nombreuses années dans les divisions inférieures, et ont un palmarès aussi fourni que celui de Dimitri Payet. Mais votre serviteur, en plus d’aimer l’Angleterre et son football, est tombé fou amoureux de cette ville il y a quelques années. Et c’est en flânant dans les couloirs d’Ashton Gate, une pinte de cider à la main, que j’ai découvert cette histoire.

En 1982, le club de Bristol City va mal. Après être passé de la première à la troisième division, la fréquentation du stade a complètement chuté. Les dettes du club s’accroissent, et celui-ci est au bord de la faillite. La seule solution pour sauver cette situation désespérée ? Que les joueurs les mieux payés du club, et qui avaient signé des contrats sur le long terme, acceptent de rompre leur engagement. C’est ce que feront huit d’entre eux, à quelques minutes seulement de la signature de la banqueroute, permettant au club de perdurer, et d’être toujours dans le monde professionnel 40 ans plus tard. Ces huit héros désintéressés sont célébrés aujourd’hui dans les travées d’Ashton Gate, en mémoire de leur inoubliable sacrifice. Une bien belle histoire en théorie. Mais en se replongeant dans les coulisses de l’époque, la réalité est tout de suite beaucoup moins jolie.

A la suite de résultats sportifs calamiteux, le club de Bristol City est en effet dans une très mauvaise situation financière. Le coach de l’époque, un certain Roy Hodgson, est chargé après un match de remettre un petit bout de papier à son milieu de terrain Jimmy Mann avec huit noms dessus : Geoff Merrick, Gerry Sweeney, Dave Rodgers, Peter Aitken, Chris Garland, Trevor Tainton, Jimmy Mann et Julian Marshall. Il leur explique que ces joueurs sont invités à se rendre dès le lundi matin dans la salle du conseil d’administration. Le rendez-vous prend des airs d’ultimatum. On leur explique que le club va couler, et que la seule solution est de rompre leur contrat, et ce immédiatement. Les concernés n’acceptent pas tout de suite, et c’est compréhensible. A l’époque, en troisième division anglaise, les joueurs sont bien loin de gagner l’équivalent de leurs homologues actuels. Certains ont des familles, des crédits immobiliers…

Pendant une semaine, ils vont discuter avec la Fédération anglaise et l’association des joueurs professionnels. Pendant ce temps, la presse s’empare de l’affaire, discrètement aidée par la direction du club. On connaît la bienveillance des tabloïds anglais… Les joueurs sont traités comme des parias, vivant dans l’opulence, et responsables de la situation financière du club. Certains reçoivent même des tentatives d’intimidation et des menaces de mort. Finalement, n’ayant guère le choix, ils acceptent le deal moyennant une légère compensation financière. Certains continueront à jouer au football, d’autres seront contraints de se reconvertir, mais tous continueront leur vie dans une injuste indifférence.

Ce n’est que 40 ans plus tard que le club finira par leur rendre hommage, en organisant une cérémonie avant un match et en inaugurant une fresque et une plaque commémorative à Ashton Gate. Mais tous ne seront pas présents. Si la plupart ont tourné la page, et sont heureux que la direction du club, différente de celle de l’époque, leurs exprime enfin leur reconnaissance, pour d’autres, la cicatrice reste encore douloureuse, à l’image de Jimmy Mann, justement. Le traitement injuste dont ils ont fait l’objet et les périodes difficiles qui ont suivi, affectant notamment son état de santé, ne peuvent être effacés par un simple tour d’honneur, un discours et une jolie peinture.

Gianni pour pinte2foot !

5 réflexions sur « Les huit d’Ashton Gate : une fresque de courage et d’injustice »

  1. Un article que j’aurais pu écrire, car moi aussi j’aime bien Bristol 🙂

    Par contre je n’aurais pu l’écrire car je ne savais rien de cette histoire – et merci donc.

    On ne répétera jamais assez que les joueurs ont, partout et plus qu’à leur tour, été traités comme la portion congrue du foot, malmenés en tous sens, instrumentalisés, menacés..alors que, s’il y a précisément bien un et un seul acteur indispensable à cette comédie humaine..

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  2. Merci pour cet article, très intéressant.
    Et comme souvent outre manche, les portails ont une importance fondamentale. Historique, affective, symbolique, architecturale, sentimentale.
    Souvent, les anciens sont honorés, non pas par une statue ou une stèle, mais par un portail. les fameux « gates ».

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