L’étreinte

16 juillet 1950, la Celeste vient de conquérir le titre mondial face au Brésil.

Publiée en juillet 1950 dans la revue O Cruzeiro, la photo sur laquelle le portier uruguayen Roque Máspoli enlace le capitaine brésilien Augusto fait le tour du monde et sert d’illustration au drame du Maracanaço. La prise de vue, de bas en haut, suggère la grandeur des personnages et confère à la scène un caractère quasi religieux. Le visage des deux hommes se détache dans le ciel immaculé de Rio alors que la haute stature et la tenue noire du gardien figurent la compassion du prêtre. Comment ne pas voir dans l’attitude de Máspoli caressant le visage d’Augusto l’expression de la miséricorde en application des préceptes de Dieu ? Accroché au bras de Máspoli comme à une bouée, Augusto endosse le rôle du martyr. Ce qui ressemble à une scénographie grandiloquente n’en est pas une. José Medeiro, l’auteur de la photo, parvient dans l’instant à saisir la sincère générosité du vainqueur pour le vaincu.

La cérémonie

Máspoli et Augusto captent toute la lumière, impudiques malgré la présence de 200 000 anonymes en détresse encore agglutinés dans l’ovale parfait qu’est le Maracanã. La pelouse est envahie par une nuée d’officiels, musiciens, policiers, radioreporters, photographes, cameramen traquant les nouveaux champions du monde et ceux qui auraient dû l’être. Pepe Schiaffino, plus émacié que jamais, son beau visage christique couvert de larmes, erre sans but, enlaçant Oscar Míguez dans un tableau pasolinien. Schubert Gambetta détourne le regard de l’objectif qui le poursuit, trop macho pour afficher une sensibilité de pianiste. Obdulio Varela, El Negro Jefe, soulève Alcides Ghiggia, l’extincteur du Maracanã, et en compagnie de Rubén Morán, ils se dirigent sans trop savoir pourquoi vers un attroupement au bord du terrain. Puis vient Roque Máspoli, enfin délivré de sa fonction sacerdotale auprès d’Augusto, immense et placide, comme s’il ne pouvait exprimer une joie sans réserve par respect pour l’ensemble du peuple brésilien.

Les responsables du comité d’organisation sont désemparés de devoir gérer un tel scénario. Descendu de la tribune d’honneur, Jules Rimet se trouve avec ses acolytes de la FIFA et de la CBF parmi les joueurs de la Seleção en pleurs. Il ne sait que faire de sa statuette dorée pendant que le Maracanã se vide comme une baudruche. Quand enfin il remarque Varela près de lui, il lui serre la main et lui remet le trophée d’un geste furtif dont on jurerait qu’il n’a jamais existé si un photographe n’était pas parvenu à figer la scène. Le vieux président de la FIFA est déjà reparti sans prononcer le discours qu’il devait, dans un suprême effort, déclamer en portugais. Et puisque la fanfare ne se sent pas le courage de jouer l’hymne uruguayen, la cérémonie est terminée.

Jules Rimet et Obdulio Varela.

L’après Coupe du monde 1950

Les retrouvailles entre Máspoli et Augusto ont lieu l’année suivante, en avril 1951. Au Centenario, Peñarol et ses champions du monde accueillent Vasco da Gama, O Expresso da Vitória, une des plus séduisantes formations brésiliennes de l’histoire, composée pour moitié des victimes du Maracanaço. Augusto commande une défense infranchissable alors que Máspoli, dont la silhouette obstruait le but un an plus tôt, semble avoir rapetissé face à Friaça, Chico ou Ademir. Vasco s’impose 3-0 à l’aller puis 2-0 au Maracanã. Cette revanche est avant tout celle de Barbosa, le portier brésilien ayant le tort d’être Noir, cloué au pilori pour avoir capitulé sur la frappe au premier poteau de Ghiggia. A l’issue de ces succès, le grand reporter Mário Filho s’enflamme : « Vasco est le Brésil et essuie un peu des larmes de la Coupe du monde. »

Máspoli et Augusto se croisent-ils par la suite ? Jamais en match officiel, peut-être à l’occasion de commémorations. Entraîneur sans envergure ayant assisté Martím Francisco à Vasco et Helenio Herrera à Belenenses, Augusto se mue en censeur incorruptible au sein de la police fédérale. Défenseur des bonnes mœurs, officier zélé au service de la dictature, Augusto interdit les paroles de la chanson Tanto Mar de Chico Buarque, célébration de la Révolution des Œillets portugaise, tournant le dos à son image de martyr au profit de celle de l’inquisiteur dénué de cœur. De son côté, Roque Máspoli entraîne Peñarol avec qui il conquiert la Copa Libertadores et la Copa Intercontinental 1966 à l’issue d’une démonstration face au Real Madrid des yéyés. A la tête de la Celeste, il redonne un peu de fierté à son peuple le temps du Mundialito début 1981 quand l’Uruguay s’impose en finale face au Brésil, encore une fois. A la mort de celui qui est une légende, les hommages affluent de toute part et témoignent de sa grandeur d’âme. En lisant celui de l’ancien défenseur de Peñarol, Juan Lezcano, « il vous parlait comme un père, il vous faisait sentir son amour », on ne peut s’empêcher de penser avec émotion à la photo de José Medeiro sur laquelle Máspoli offre son affection sans retenue et n’est définitivement qu’amour.

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45 réflexions sur « L’étreinte »

    1. Andres Mazali, puisqu’il est double champion du monde 1924 et 1928 (à ceux qui vont me rétorquer à juste titre qui s’agit de Jeux olympiques, Bobby vous expliquera qu’en l’absence de CM, ces épreuves sont considérées comme telles, d’où les 4 étoiles sur le maillot céleste). Et puis, il y a son histoire, sa belle gueule de séducteur et sa passion des femmes qui le prive du titre en 1930 au profit de Ballestrero.

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  1. Déjà lu « par la petite porte », relu..deux fois au bureau, et donc relu encore..

    C’est beau, Verano.. Totalement beau (le sujet, la forme, l’abord..)! Sauf que je vais finir par t’imaginer avec une tête de vieux beau, reste à savoir si c’est plutôt Iglesias ou Bryan Ferry (je te verrais bien en Bryan Ferry).

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    1. Je vais dire à ma femme que je suis son Brian Ferry, pas sûr qu’elle soit convaincue par la comparaison.
      Bon, suis plus jeune que Ferry quand même !
      Pour le reste, tu n’as aucune chance, suis définitivement hétéro eh eh
      PS : immodestement, j’aime bien mon papier aussi !

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      1. « Je n’écris pas pour une petite élite dont je n’ai cure ni pour une entité platonique adulée qu’on surnomme la masse… J’écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps. » (Borges)

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      2. « N’écrire ni pour le peuple ni pour l’élite : pour moi. » (Jules Renard)
        « Et alors, j’ai pris feu dans ma solitude car écrire c’est se consumer… L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamboyer des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres. » (Blaise Cendrars)

        Sinon, j’ai lu le texte de Verano. C’est lyrique.

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      3. J’arrête de parler de Verano, il va vraiment finir par croire que je le drague (dans une autre vie, ça je ne dis pas)

        Tu l’aimes bien Cendrars, hein.

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      4. Ah ah Borges, nous y voilà !
        Aucune velléité de me prendre pour Borges, mais il y a de ça : j’écris pour moi puis je partage ici, en petit comité, où règne un esprit bienveillant. Il y a évidemment quelque chose de vaniteux là-dedans mais ce n’est pas la première motivation. J’imagine que certains rédacteurs sont dans le même schéma, d’autres sont dans la recherche d’une vérité historique mais avant tout, nous écrivons par plaisir.

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      5. Comment ne pas aimer un homme qui écrit ceci : « Le monde est ma représentation. J’ai voulu dans Dan Yack intérioriser cette vue de l’esprit, ce qui est une conception pessimiste ; puis l’extérioriser, ce qui est une action optimiste. D’où la division en deux parties de mon roman : la première, du dehors au dedans, sujet du Plan de l’Aiguille ; du dedans au dehors, objet des Confessions de Dan Yack, la deuxième. Systole, diastole : les deux pôles de l’existence ; outside-in, inside-out : les deux temps du mouvement mécanique ; contraction, dilatation : la respiration de l’univers, le principe de la vie : l’Homme. Dan Yack, avec ses figures. » ?

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      6. Vaniteux, tout de suite les grands mots.. Je crois tout bêtement qu’on fait les choses dont on a (fût-ce absurdement) besoin, pardi.

        Si ce que je propose là n’est pas trop con, ton besoin de raconter bellement de belles histoires n’est pas vraiment la pire chose qui soit, ma foi.

        En plus on a tous besoin de beauté, assurément plus que de vérité.

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    1. En Espagne, tu as le match de barrages face à la Yougoslavie, joué à Francfort. Et le but vainqueur de Katalinski. J’ai mis une photo du but dans mon texte sur Pirri et Asensi. Le dernier mondial raté par la Roja.
      J’imagine que les italiens ont trouvé un nom pour le match face à la Macédoine!

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      1. Pour l’Algérie il doit y avoir cette année face au Cameroun
        Pour l’Angleterre la défaite face aux usa Cm 1950
        L’Italie face à la Corée en 66 je crois
        La Hongrie finale CM 54 ?

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      2. La défaite des Anglais face aux Etats-Unis à Belo Horizonte ne constitua pas un traumatisme. Tout au plus fut-elle considérée comme un accident. Le vrai choc, c’est évidemment la double défaite contre les Hongrois en 53-54. Mais bon, aujourd’hui, tout cela est digéré : d’autant plus que le titre de 66 est passé par là.

        La défaite italienne face à la Corée du Nord fut effectivement ressentie comme une humiliation, au point de pousser les Italiens à interdire le recrutement de nouveaux joueurs étrangers dans leur championnat.

        En revanche, les Hongrois ont trouvé le moyen de transformer la finale de 1954 en défaite glorieuse. Rappelons que, hormis pour les Allemands, ils sont les vainqueurs moraux de la Coupe du monde 1954. Ils sont les victimes d’une énorme injustice. C’est, aujourd’hui, tout sauf un traumatisme. Et, d’ailleurs, le régime en place sait s’en servir. Comme le firent aussi les communistes.

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