Lettonie 2004 : d’une sortie des méandres baltes à l’oubli

Printemps 2023, la Lettonie est coincée à la 132e place du classement FIFA, entre les Comores et Antigua-et-Barbuda. Ses derniers résultats sont plutôt corrects, avec une montée en Ligue C de la Ligue des Nations pour la saison 2024-2025.

Pourtant, il s’agit d’une maigre consolation surtout si l’on repense que durant l’été 2004, les Lettons ont réussi l’exploit de faire partie des 16 meilleures nations européennes. Portés par un sélectionneur devenu emblématique et un groupe constitué de joueurs évoluant au pays et en Europe de l’Est, retour sur une incroyable épopée menant de Riga à Lisbonne.

L’arrivée du géant Starkovs

Juin 2001, la Fédération Lettonne de Football (LFF) nomme Aleksandrs Starkovs à la tête de la sélection de Lettonie. Si ce nom n’évoque rien en France, il demeure incontournable au pays : entraîneur de 1993 à 2001 du club phare, le Skonto Riga, il remporte neuf fois d’affilée le titre de champion de Lettonie !

Il est alors logique qu’il soit appelé au chevet de sa sélection nationale, en plein marasme lors des qualifications au Mondial 2002 ; déjà larguée au classement, elle commet l’affront suprême de concéder le nul 1-1 à domicile face à Saint-Marin, de très loin la plus faible équipe européenne. Résultat qui coûtera d’ailleurs sa place au sélectionneur d’alors, l’Anglais Gary Johnson.

Dans un groupe relevé, avec entre autre la Belgique, la Croatie et l’Écosse, Aleksandrs Starkovs ne peut réaliser d’exploit et les Baltes terminent bons avant-derniers.

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Le poil à gratter letton

Le sélectionneur letton n’a que quelques mois pour mettre en place une sélection tenant la route avant de se lancer dans les éliminatoires pour l’Euro 2004 qui débutent en automne 2002. Versée dans le groupe 4, la concurrence est âpre pour la Lettonie ; ils retrouvent le petit poucet Saint-Marin ainsi que la Suède, la Pologne et la Hongrie. La mission semble impossible d’autant plus que seul le premier est directement qualifié, le second devant disputer un barrage aller-retour. En résumé, à Riga, on ne suggère pas grand-chose, si ce n’est faire meilleure figure qu’auparavant.

Mais, portés par un groupe extrêmement solidaire, capable de faire le dos rond et de piquer en contre-attaque face à un adversaire supérieur, les Rouges et Blancs capitalisent 10 points après quatre matchs, grâce à notamment un nul vierge face aux Suédois et une victoire ô combien importante en Pologne 1-0.

Cependant, deux défaites d’affilée en Hongrie et à domicile contre les Polonais vont refroidir les ardeurs des hommes de Starkovs. Ceux-ci accusent d’autant plus un calendrier compliqué pour terminer leur campagne : recevoir la Hongrie et surtout se déplacer chez le leader suédois, déjà qualifié avant la dernière journée.

Et, c’est lors de ces derniers matchs que va se révéler un jeune attaquant letton de 24 ans, pratiquement inconnu en Occident et évoluant en Ukraine, Maris Verpakovskis.

La révélation Saint-Maris

Dans le petit Skonto Stadium, quasiment plein, la Lettonie terrasse les Magyars 3-1, grâce à un doublé du jeune Verpakovskis. Ce dernier résume à merveille le jeu simple mais efficace pratiqué par les hommes de Starkovs : un bloc bas, agressif qui récupère la balle et lance dans la profondeur le buteur letton, possédant une accélération et une pointe de vitesse dévastateurs lui permettant de semer les défenses adverses.

Menée par des joueurs expérimentés comme le milieu Vitalijs Astafjevs, le portier Aleksandrs Kolinko et la star Marians Pahars évoluant à Southampton, cette sélection improbable où une majorité évolue dans le championnat local crée une nouvelle surprise en allant s’imposer 1-0 en Suède, grâce à un nouveau but de… Verpakovskis, évidemment !

Deuxième derrière les Scandinaves, l’exploit letton est là : accéder pour la première fois aux barrages d’une compétition internationale !

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Pour les barrages, la Lettonie hérite d’un gros morceau : la Turquie d’Hakan Sükür, troisième du mondial 2002. Mais la confiance engrangée par leur incroyable parcours couplée à la qualité intrinsèque de l’effectif leur permet de renverser des montagnes : après une victoire 1-0 à Riga sur un but de Verpakovskis, la sélection balte doit se rendre à Istanbul dans une ambiance extrêmement hostile.

Dès l’entame, les Turcs étouffent les Baltes qui encaissent un magnifique but d’Ilhan Mansiz avant d’être battus à nouveau par l’immense Sükür. À 2-0 et vu la main mise turque sur le match, on n’imagine pas un autre scénario qu’une qualification des hôtes.

Mais deux minutes après, la Lettonie recolle grâce à un but un peu chanceux de Juris Laizans – un coup-franc excentré que personne ne touche et finit dans les filets d’Ömer Catkiç – avant que l’égalisation ne survienne à 12 minutes de la fin.

Kolinko, dans sa surface, allonge un long ballon aérien qui arrive droit dans la course de… Verpakovskis qui se défait du marquage d’un défenseur turc pour inscrire le but du 2-2.

Exploit sensationnel pour un pays classé à la 32e place dans la zone Europe (sur 51 pays) et au 86e rang mondial et qui, déjouant tous les pronostics, accède à l’Euro 2004, figurant ainsi parmi les 16 meilleures nations du continent.

Et Lilliput regarda trois fois Brobdingnag droit dans les yeux

Le tirage au sort ne fut pas clément pour la sélection balte, qui tomba dans le groupe le plus relevé de la compétition ; elle devra en découdre avec l’Allemagne, les Pays-Bas et la République tchèque, respectivement 9e, 10e et 4e au classement UEFA. La tâche paraît insurmontable pour le débutant letton, mais au vu de leurs exploits passés, ils sont bien décidés à jouer crânement leur chance.

Le premier match est face à l’armada tchèque, considérée comme un possible candidat au titre, avec en son sein l’une des meilleures génération dorée de son histoire : Nedvěd, Koller, Poborský, Rosický, Čech, Baroš, Šmicer…

Malgré une entame en faveur des Tchèques, ce sont bien les Lettons qui ouvrent le score au bout du bout de la première période par, bien évidemment, Verpakovskis.

Mais malgré une belle résistance de leur part, ils finissent par céder dans le dernier quart d’heure, s’inclinant avec les honneurs 2-1. Le portier Kolinko étant par ailleurs fautif sur les buts encaissés, ses sorties hasardeuses ayant été décisives.

Leur performance ne passe pas inaperçue, car beaucoup d’analystes et autres journalistes s’attendaient à une sévère correction de la part de la Reprezentace.

Et ils confirmeront encore plus fort, face aux Allemands, pourtant vice-champion du monde deux ans auparavant !

Rapidement, l’Allemagne a la maîtrise du ballon mais face à une défense lettonne bien en place, elle peine à se créer des occasions franches, se contentant de frappes lointaines. Qui plus est, la vitesse de Verpakovskis, parfaitement exploitée en contre-attaque par Rubins et le capitaine Astajfevs, met à mal la lente défense germanique Wörns-Baumann.

La fébrilité gagne les rangs de la Mannschaft, le bloc équipe se disloque et laisse de plus en plus de boulevards entre ses lignes ; Oliver Kahn sauve tout un pays lorsque seul face à Verpakovskis, il gagne son face-à-face ! Ce dernier, véritable poison, sème constamment la zizanie et aurait du obtenir deux pénaltys sur des fautes assez flagrantes des défenseurs allemands… Pourquoi Mike Riley, l’arbitre anglais, ne les a pas vu ? Allez comprendre…

Le score final, 0-0, peut être perçu comme une relative déception compte-tenu de la physionomie du match et des occasions bien plus franches côté letton.

La Lettonie doit désormais s’imposer lors du dernier match face aux Néerlandais de Van Nistelrooy et Van der Sar, les deux pays étant à égalité de points avant de s’affronter.

La marche était trop haute

Mais comme s’ils avaient tout donné au match précédent, la résistance lettone ne tient même pas une demi-heure, avant que Van Nistelrooy ne tue tout suspens d’un doublé en l’espace de sept minutes.

Les hommes de Starkovs tentent mais n’y arrivent point, même s’ils souhaitent marquer un second but dans ce tournoi, lequel ne viendra jamais. Un dernier but néerlandais scelle le score final, 3-0 et les Oranje se qualifient pour les quarts de finale accompagnés des excellents Tchèques.

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L’exploit n’aura pas eu lieu pour nos vaillants Lettons, qui quittent toutefois la compétition tête haute, sans jamais avoir été ridiculisés. Ils prouvent une dernière fois à l’Europe du football que non, leur place à ce tournoi n’était pas usurpée.

Le rebond jamais arrivé

Après cette incroyable épopée, le sélectionneur Starkovs quitte la sélection, attiré par les sirènes du Spartak Moscou et remplacé par son adjoint Jurijs Andrejevs. Cependant, les résultats seront décevants, la sélection balte semblant retrouver sa place et étant même, comble de la déroute, battue 1-0 par le minuscule Liechtenstein lors des éliminatoires de l’Euro 2008.

Que reste-il de cette époque dorée ? Rien ou presque. Verpakovskis, la star lettone, a longtemps tenté de tirer son pays vers le haut, devenant au passage le meilleur buteur de l’histoire de son pays (29 buts en 104 sélections) ; accompagné de ses compères de l’Euro 2004, ils tenteront bien de renouer avec leurs succès d’antan mais sans réussite. Comme si la magie qui les avait accompagnés avait décidé de les laisser à leur sort.

En septembre 2017, la Lettonie atteindra même son pire classement mondial en échouant à la 148e place… Et depuis lors, les soirées enfiévrées de Riga, Solna et Porto n’ont jamais parues aussi lointaines.

Pig Benis pour pinte2foot!

20 réflexions sur « Lettonie 2004 : d’une sortie des méandres baltes à l’oubli »

  1. Kolinko, Rubins… Astafev, Pahars de Southampton (comme si bien précisé dans l’article) et bien sûr Verpakovskis… Autant de noms qui me renvoient aux doux souvenirs de PES 4 sur PlayStation 2, la Lettonie étant effectivement mon équipe phare avec laquelle, sans prétention aucune, j’ai terrassé pas mal de terrains virtuels et autres tournois entre amis…

    Dans la version réelle, Verpakovskis avait été un temps annoncé au Milan AC, le parallèle avec Shevchenko était évidemment facilement avancé et le destin du letton alors tout tracé… Toutes proportions gardées, c’est hélas une trajectoire plus semblable à celle de Rebrov qu’aura, selon moi, suivi la carrière de Verpakovskis.

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    1. Et Jānis Krūmiņš qui est le premier pivot dominant en Europe dans la fin des années 50. Jānis Krūmiņš et Aleksandr Gomelski, qui mènera l’URSS et Sabonis à l’or lors des J.O de Séoul, ont remporté les 3 premières Coupe d’Europe de Basket avec l »ASK Riga. Krūmiņš était une équation insoluble pour ses adversaires.

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      1. Mikhail Tal, dit « le magicien de Riga ». Indétrônable roi des échecs (ou plutôt Tsar ici (sa Lettonie natale appartenant alors au grand échiquier URSS))… Icône incontournable de cet élégant sport de combat et incomparable romantique complètement sorti des cases! Pour terminer un tacticien hors-pair ayant tout autant révolutionné de son génie que marqué de ses traits le visage de ce jeu.

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      2. Joueur d’echec Calcio? Je n’y connais rien. Je crois que je suis resté à la lutte Karpov-Kasparov!

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      3. C’était le roi du chaos, Khiadia. Il engageait ses adversaires dans des parties incroyablement complexifiées, hors-codes…….et parfois voire souvent fumeuses, dit-on (je suis plutôt bon joueur..mais pas assez pour en juger!, je relaie des points de vue solides), douteux qu’il en maîtrisât toujours tout. Nerveux et chaotique.

        T’es même allé dans les pays baltes?? Lol, t’es allé partout.. Tallinn au-dessus du lot pour bibi, limite trop carte postale. Et quoique très riche patrimonialement, Riga dégage en effet un je ne sais quoi d’interlope et froid, expérience kif-kif (..y a 22 ans me concernant.. à te lire, ça n’a guère dû changer?).

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      4. A Tallinn, on avait été accosté par un agent de foot italien qui était présent pour un championnat d’Europe U 16. Il devait s’emmerder et avait commencé la discussion en français. Très correct d’ailleurs. Il m’expliquait qu’il avait joué à Parme à l’époque Thuram mais quand il m a dit son nom, inconnu au bataillon pour moi. Il a un peu tiqué, surtout que je m’étais présenté comme un fan de foot. Hehe
        Très sympa au demeurant. Par contre, j’ai pas imprimé son nom sur le moment et des recherches ultérieures me font pense qu’il s’agissait de Tarcisio Catanese mais j’en suis pas certain…

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      5. Me suis trompé… C’était pas U16 mais U19 en 2012 en Estonie. De beaux joueurs à Tallinn. Joao Mario, Cancelo, Saul, Kane, Pogba, Mitrovic…

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      6. Un nom qui ne me dit absolument rien du tout……. Je checke fissa, entraîneur de Parme en 2004? J’aurais dû le voir car j’ai vu Parme à l’époque, un match de C3 assez rigolo..mais leur entraîneur avait une autre tête, et à dire vrai un autre nom – Baldini, lisé-je ailleurs?

        Ce match-là, ce fut le premier où j’ai dû lancer un rouleau de papier-cul, « à l’argentine » on va dire..sauf qu’il y a un minimum de technique requise derrière, bref il a atterri 20 mètres plus bas comme une grosse merde, bravo champion.

        L’épilogue avait été sympa : https://www.youtube.com/watch?v=uM9ZwjFU3n0 , le club retrouvait (chaotiquement – match suivant perdu.. 1-7 face à Bilbao) le goût de l’Europe, avec une équipe de bric et de broc que s’efforçait de tirer vers le haut le revenant Conceicao.

        Souvenir aussi que Parme avait aligné une équipe A’ voire B, de solides joueurs sur le banc tels Bonera, Gilardino, qui sais-je encore.. Leur priorité était en Italie, aucun doute.

        Mais Catanese, euh..??

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      7. Alex. Suis vraiment pas certain de moi… mais en matant les effectifs de Parme à l’époque Thuram, y a que lui qui semblait faire l’affaire. A moins que c’était un affabulateur ou un figurant à Parme. Ce qui est certain, c’est qu’il y avait bien un championnat d’Europe en Estonie au même moment. Et c’est lui qui me l’a appris.

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      8. Il y a plus de chances que tu aies raison que moi! Quand tu as croisé ce gentleman en 2012, j’avais tout lâché de l’eurofoot, à fond sur l’africain, bref..??

        Catanese, j’en vois ailleurs qu’il aurait été entraîneur..des jeunes de Parme en fait, en 2004 (ben voilà). Et en cette année 2012 qui est la tienne : des équipes (..jeunes?) dites de Palerme et Nissa??

        Affabulateur? Ah mais moi je le (et te) crois volontiers! C’est en fêtant le nouvel-an au bord du fleuve Congo, dans un coin pourtant déjà assez bien paumé, qu’un..Italien qui disait être en RDC pour le foot me parla le premier de Paul Pogba, « el nuovo fenomeno dello italiano calcio, blablabla » (mon italien de merde, hein), mais est-ce qu’il était agent, ça?? Des agents ou, plus modestement, des scouts : il y en a partout à dire vrai.

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      1. Ah si tu vas sur le terrain du cyclisme, on a Piotr Ugrumov qui avait fini derrière Indurain au Tour. Miguel, on peut dire qu’il a eu du nez d’arrêter juste avant les révélations sur le dopage de l’époque…

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      2. Oui Ugrumov, 2e du Giro toujours derrière Indurain aussi.
        Ah bah, Vainsteins parfait exemple de ce que fut l’une des plus beaux escrocs de cette période: arrivée tardivement en pro (zone d’ombre avant), puis deux saisons où il vole (champion du monde et plusieurs podium sur des classiques comme à Roubaix), puis il redescend dans l’anonymat du peloton avant de ranger le vélo. Tout ça en 5 ou 6 ans de carrière pro.

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  2. Dans la foulée des articles consacrés à la Géorgie, je m’étais dit : « si la Lettonie l’a fait (se qualifier pour un tournoi majeur) »…… Merci donc pour cet article.

    Je me souviens aussi de Rubins et, surtout, de Stepanovs : défenseur d’Arsenal, prêté alors au Beveren de Guillou..et dont il était le seul blanc, impossible de passer à côté de cette perche de plus d’1m90.

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    1. Je me rappelle de lui, il n’a quasiment pas joué à Arsenal il me semble durant 3 ou 4 ans chez les Gunners. La concurrence était un peu trop élevée pour lui, bien qu’il ait eu une honnête carrière.

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  3. J’avais trouvé Riga moins jolie que Tallinn ou Vilnius. Ambiance plus tendue également. Pas mal de mecs raides bourrés qui sentaient pas la joie de vivre. Par contre, sur une des places principales, y a un musée sur l’histoire du pays consacré à la seconde guerre mondiale qui est génial. Le fait de se retrouver coincé entre les ogres Allemands et soviétiques…

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  4. Les Turcs ont échoué à confirmer leurs bonnes performances. Que ce soit après 2002 ou 2008. Avec un certain nombre de déconvenues en barrages, comme face à Lettonie. Je pense à celle face à la Suisse pour le Mondial 2006.

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