Personnages de la Coupe du monde 1978 – César Luis Menotti. « Et maintenant, César ? » (6/6)

Buenos Aires, 25 juin 1978. Il est bientôt 18 heures, le pays est en liesse. L’Argentine vient de triompher et son sélectionneur sent déjà le poids du vide.

« Et maintenant, César ? » Ce sont les mots prononcés par Jorge Olguín le 25 juin 1978 dans les entrailles du Monumental après que le général Videla, luisant de gomina, ait remis le trophée doré à Daniel Passarella. Dans une interview datant de 2015 pour El Gráfico, César Luis Menotti se remémore cet instant, cette question que lui pose son soldat le plus dévoué, défenseur central exilé sur le flanc droit pour les besoins de la patrie, et dont un des fils se prénomme César tant Menotti est important dans sa vie.

Après la victoire, toute la tendresse de Menotti pour Olguín.

César, que peux-tu répondre à Olguín ? Tu n’as pas 40 ans et tu dois te demander ce que tu peux faire de plus. Au fond de toi, tu sais déjà que ce moment marque l’apogée d’une carrière, la tienne et celle de tes joueurs, rien de tout ce qu’il vous reste à vivre ne sera aussi fort mais comment leur dire ? Sans doute allumes-tu une nouvelle cigarette dans le vestiaire devenu grave, les regards d’Olguín et des autres braqués sur toi, attendant que tu adoptes comme toujours le ton juste. Mais ce soir-là, les mots ne viennent pas, tu es déjà un homme du passé et rien par la suite ne le démentira, aussi cruel cela soit-il.

Tu te souviens sans doute d’octobre 1974, quand l’Asociación del Fútbol Argentino te choisit pour mener l’Albiceleste au sommet après des années de frustration. Tu viens de triompher avec Huracán, révélant aux yeux du grand public Carrascosa, Brindisi, Houseman, Babington, Larrosa, cornaqués par Coco Basile, à peine plus jeune que toi. Parmi tes pensées, ces deux semaines à Toulon pour le Tournoi Espoirs en mai 1975. Qui sait, peut-être revois tu le visage d’une jolie femme croisée au bar de l’hôtel. Il faut reconnaître que tu as de l’allure, so seventies avec tes pantalons pattes d’éléphant qui te grandissent plus encore, tes cheveux mi-longs et tes rouflaquettes à la Jackie Stewart. Une parenthèse enchantée et fondatrice sur la Côte d’Azur au cours de laquelle Passarella et Gallego deviennent des frères sous tes yeux. Avec quelques autres, ils sont là ce soir, leurs maillots pleins de sueur et de sang, épuisés après cette finale belle et sauvage contre les Bataves.

Les vainqueurs du Tournoi de Toulon 1975. Gallego et Passarella (tête baissée) côte à côte.

Et puis il y a cette rencontre barbare face au Venezuela, chez les tiens, dans el Gigante de Arroyito, le stade de Rosario Central. 11-0 sous la pluie et dans la boue. Aussi modeste l’adversaire soit-il, tu comprends alors que tes joueurs seront sans pitié et te suivront à la vie, à la mort, le Menottisme est en marche. Bien sûr, tu te rappelles des moments de doute, le coup d’état de 1976 durant la tournée en Europe, la peur de l’arrestation et de l’interventionnisme des militaires, le renoncement de Carrascosa, la sélection de Kempes, coup de canif à la promesse de ne choisir que des joueurs évoluant en Argentine.

Tout cela semble déjà loin, tu paierais cher pour remonter le temps, pour ne pas avoir entendu cette question d’Olguín. Ta cigarette finit de se consumer pendant que tu te raccroches à l’image du Pibe, étoile phosphorescente, don de Dieu s’extrayant de l’obscurité dans laquelle le pays est plongé, celui à qui tu as promis le titre mondial 1979 avec la Juvenil.

« Et maintenant, César ? » Il est temps de laisser les joueurs entre eux, alors tu pars dans la nuit communier avec le peuple Plaza de la República, la réponse attendra.

Scènes de liesse après la victoire argentine.

44 réflexions sur « Personnages de la Coupe du monde 1978 – César Luis Menotti. « Et maintenant, César ? » (6/6) »

    1. Il y a un faisceau de conjonctions en ce sens, oui.

      Et cependant : ce n’est alors pas la seule (d’ailleurs ça m’amuse toujours de voir cette WC78 être systématiquement harassée en ce sens sur des forums..anglais, lol), et ce fut même pour ma part l’une des plus belles. Ombre et lumière.

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  1. Gracias amigo.
    Tes mots sont une multitude de petits pas qui se déplaceraient, sautilleraient comme des notes sur les touches d’un piano… Des phrases autant tendres que rythmées, tout aussi précises qu’endiablées et nous proposant ainsi, ici surtout… un beau tango !
    Merci encore Verano pour cette belle série consacrée à la Coupe du Monde 78

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  2. Je n’ai plus de question à poser, anticipée dans un autre volet de la série.

    Je ne puis donc guère que saluer encore la belle intelligence de ton écriture, atmosphères, vies intérieures.. Les vertus d’un véritable écrivain, la France tient son Galeano (je tiens à le dire, des fois que tu nourrirais des doutes trop envahissants là-dessus).

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      1. Pas du tout mon genre! Je crois simplement que ça vaut le coup, si nécessaire, de t’encourager en ce sens. Surtout que, quand je vois les trucs médiocres qui sont publiés.. Bon 3/4 des bouquins, et je brasse large (DE, NL, BE, FR, DK, UK..), que j’ai collectés sur le football sont très en-deçà de ce que tu proposes!

        Mais je vais essayer d’arrêter mes louanges, ça oui 🙂

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      2. En plus tu as une niche (je déteste raisonner comme ça, mais) : y a pour ainsi dire rien sur les foots latinos dans la sphère francophone – d’où d’ailleurs mes lacunes en la matière.

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  3. on parle de Menottisme alors je salut le Veranonisme!^^ bien joué pour cette série chapeau et tu finis en beauté après avoir commencé par Carrascosa!
    tu es sur que la fête a eu lieu Plaza de la Republica le soir du titre c’est pas plutôt plaza de Mayo en face de casa Rosalda?

    à propos de la non sélection du bel Oswaldo pour la CDM, il y a 2 choses dont il a lui même parlé dans une itw dans la tribune le progrès (le journal régional local) il y a une dizaine d’années en premier lieu l’accident de sa femme il se sentait pas en conditions psychologique de jouer et il a refusé de jouer pour la junte enfin c’est ce qu’il dans cette itw!!
    il continue de venir à sainté régulièrement à plaire aux femmes (une collègue l’a souvent rencontré à une époque et ça se passait bien^^)
    il a fait l’ambassadeur du club en Argentine pour trouver des joueurs mais son œil n’était plus si avisé ça n’a pas trop marché, à part bien sur Javier « el flaco » Pastore mais nos dirigeants déjà ineptes à l’époque l’on refusé il avait 16 ans!!

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  4. une question à Verano et Bota y’a vraiment rien ou pas grand chose dans la sphère francophone sur le foot latino? (autre que sur le Bresil bien sur svp!!) et s’il y’ en a vous avez des références à proposer?
    au cas où vous pouvez donner en Anglais ou en Espagnol (surtout espagnol)

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    1. @sainté, comme le mentionne Lindo, Lucarne Opposée est sur le créneau Amsud en français.
      Tu peux, en espagnol, consulter https://uncanio.com.ar/.
      Revista libero explore le foot espagnol et sud-américain, de l’actualité et de l’historique. Et puis bien sûr El Gráfico puisque les vieux articles sont dispos. Il y a le concept des interviews basés sur 100 questions dont j’ai extrait « Et maintenant César? ».

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    1. Ah, je me focalisais sur les livres! Quoique j’aie vu que Pierre Arrighi par exemple se décidait enfin à publier en français.

      Or, c’est terrible mais le système est tel qu’il n’y a aucune légitimité sans livre.

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      1. Une référence, oui. Qui mangerait tout cru le moindre historien ou journaliste sur les primes années des championnats du monde. Alors qu’il est professeur de dessin..

        En Belgique francophone, le plus grand spécialiste du foot belge (une Bible!) est un médecin à la retraite.

        En Flandre, c’est un jeune retraité du Ministère des Pensions.

        Et je n’ai jamais vu le moindre historien ou journaliste oser leur tenir tête, et pour cause : ils ne tiendraient pas une minute avant d’y perdre toute crédibilité. Ce que, d’ailleurs, un Arrighi a déjà prouvé par le passé face à des auteurs institutionnels.

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    2. oui oui bien sur Lucarne Opposé je connais je fréquente c’est même là que j’ai (re) découvert le magicien de Cadix ce fou de Magico Gonzalez le Georges Best de l’amerique centrale mais je parlais surtout bouquin

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  5. Me suis demandé quel était le dernier titre de Menotti. Une supercoupe avec le Barca en 83. Il a par la suite coaché des équipes prestigieuses mais plus rien. On ne peut mettre de côté 1978 mais c’est un palmarès plutôt maigre pour quelqu’un d’aussi renommé. En tout cas en club.

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    1. Menotti, c’est Huracán, l’Albiceleste et plus rien ou presque. Ce qui est à la fois peu et énorme.
      Énorme car Huracán est considéré par beaucoup comme le plus beau champion de l’histoire argentine, à une époque où le jeu est d’une grande pauvreté. Énorme car il a structuré le football argentin, dès sa nomination. Pour rappel, le dernier fait d’armes argentin remontait à 1959 (Copa), voire 1964 lors de la Coupe des Nations au Brésil.
      Énorme pour ce premier titre mondial sachant que celui de 1986 bénéficie de son travail de fond.
      Après son passage au Barça, il vit sur son image, son aisance à l’oral, sa belle histoire, incapable de s’adapter aux évolutions du jeu.

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      1. Ok, mais qu’est-ce qu’il a raté comme évolution du jeu?

        Moi, enfant du Nord-ouest européen : j’ignore comment jouait son Huracan (et ce ne sont pas les quelques archives visualisées qui m’en donneront les clés). Par contre l’Argentine 82 était (encore) pas mal du tout ; si différence il y a avec 78 elle est marginale..sinon sans doute dans le chef du corps arbitral (incontestablement favorable en 78 et 86..et pas du tout en 82)..à quoi ça tient?

        Et Menotti semblait-il déjà si snob en 78? S’est-il enfermé dans cette « posture » verbeuse par coquetterie..ou par défaut de résultats? Par nature? Par intérêt? Si ça se trouve, il paie aussi voire surtout son physique de grand beau.. Je ne pige pas espagnol et il n’y a rien de solide ni profond en langue française, on parle du foot rioplatense pourtant, effarant..

        Je ne parviens pas à retomber sur des noms d’autres techniciens dont la carrière n’aura tenu qu’à une dizaine d’années, il y en eu pourtant, mais..?

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      2. Quoique, « effarant ».. C’est pas plus mal qu’il n’y ait rien ou quasi-rien : plus facile de partir d’une page blanche qu’en devant composer avec des évangiles viciés.. Bref, Verano et autres : vous avez un boulevard!

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      3. Je n’ai pas forcément tous les éléments mais quelques tentatives d’explications.

        Tout d’abord, le jeu de Huracán : simple mais très intense et offensif. Une défenseur très dure avec Carrascosa et le duo Basile – Chabay (les centraux du terrible Racing de 1967). Russo en cinco, Brindisi à la manœuvre avec Babington et Houseman en dynamiteurs, Avallay avant-centre. Rien de révolutionnaire mais des joueurs offensifs libres et propices au jeu rapide. Son Argentine ressemblait à ça, très loin du jeu calculateur de Lorenzo ou Zubeldía.

        En 1982 (j’ai prévu d’en parler à l’occasion de la rétro à venir sur la CM en Espagne), ses principes demeurent mais il tâtonne avec Maradona, incapable de statuer vraiment s’il s’agit d’un 10 ou d’un second attaquant, changeant sans cesse d’animation offensive.

        Par la suite, il échoue systématiquement en faisant comme si son système était efficace quels que soient les effectifs. Le temps dont il a disposé à Huracán et à la tête de l’Albi (les résultats 1975 n’ont rien d’extraordinaire), il ne peut plus s’en prévaloir dans de grands clubs et c’est sans doute une raison à ses échecs.

        Par exemple à River. Les Millinarios sont associés au beau jeu mais en 1986, Bambino Viera rompt avec cette tradition pour privilégier un système assis sur le contre (victoire en Libertadores, enfin, et Intercontinental). Carlos Griguol perpétue ce jeu minimaliste. Puis Menotti arrive ses systèmes offensifs dans un vestiaire miné par des caïds, la drogue, l’entrisme des barras bravas et une partie de l’effectif totalement soumise aux principes de jeu de Bilardo. Il exige une transformation profonde de l’effectif, ce qu’il obtient, mais la mayonnaise ne prend pas assez vite pour un tel club. Il lui aurait sans doute fallu plus de temps. Incapable de transiger pour mieux construire.

        D’autres causes liées à son physique ou ses airs de donneur de leçons ? Possible mais je ne crois pas que ce soit la principale raison.

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      4. Voilà : en 4 paragraphes, tu viens de dire plus et mieux que n’importe quel média francophone en 30-40 ans.

        Merci! 😉

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  6. Il a fait un sacrée renouvellement Menotti, seuls trois joueurs de la Coupe du Monde 1974 sont encore dans son effectif en 1978 : Fillol, Houseman et Kempes. Mais sa sélection a l’air un peu bizarre, je ne vois pas quel joueur peut remplacer Luque. Il laisse Bianchi et Onnis à la maison pour emmener une colonie de milieux.

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      1. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de joueur « frais » à faire rentrer en cours de match à ce poste décisif puisque les deux sont en principe sur le terrain. J’ai pas l’impression qu’on revoit ce genre de choix aujourd’hui.

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  7. De mémoire , Menotti avait entraîné à la fin des années 90 la samp
    Mais l’histoire s’est vite arrêtée car il ne faisait que des entraînements avec ballon et sans foncier
    Les joueurs avaient râlés car n’avaient pas de conditions physiques et considéraient que les entraînements n’étaient plus à jour .

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