United Soccer Association 1967 Partie II « Non Sire, c’est une révolution… »

Petit voyage en Amérique du Nord sur les traces de la furtive United Soccer Association et de ses entraîneurs.

Detroit, June 14th

Detroit ne nage pas dans les vapeurs insouciantes et psychédéliques de la côte ouest en cet été 1967. The « Long, hot summer. » 150 émeutes répertoriées en l’espace de deux mois, comme une coulée de lave. D’Atlanta à Tampa. De Newark à Milwaukee. 150 barricades et 85 morts, dont 43 rien qu’à Detroit entre le 23 et 28 juillet. La United Soccer Association attribue Glentoran de Belfast à Motor City. Choix judicieux… Noirs pauvres face au pouvoir blanc. Catholiques contre protestants. Villes jumelles sous la haine et le sang.

Et John Colrain est clairement le plus sanguin de tous les techniciens. L’ancien espoir déchu du Celtic porte désormais la double casquette d’entraîneur-joueur. A mi-temps, pour 16 $ par semaine. Le Washington Post se plaît à souligner que le niveau de Glentoran « est extrêmement faible. Car tous les talentueux ont déjà fui en Angleterre ou en Ecosse. »
Les Cougars de Detroit, du nom d’un bolide de la firme Ford, portent en eux la flamme incandescente de leur coach. Le débat est houleux avec Boston. Boston, grimé sous les traits du Shamrock dublinois. Clin d’œil farceur du destin… Tensions, médiocrité arbitrale. Colrain balance une droite dans la tronche de l’arbitre de touche ! Deux matchs de suspension. Colrain, acte 1…

Colrain est l’attraction. L’ami fidèle des tabloïds. Ne se privant pas de moquer l’inculture sportive du public. « Mes garçons jouent avec leurs tripes et les gens dans les gradins crient ‘Pourquoi jouez-vous le nul?’ On joue pour gagner. C’est de cela dont il s’agit. » Rancunier, il envoie une carte postale amicale au commissaire de la ligue à la suite de la visite de la Bay Area. « Salutations d’Alcatraz. J’aimerais que tu sois ici. » Noceur, il fait la tournée des grands ducs aux côtés d’un Sinatra rencontré dans un restaurant new-yorkais !
Mais son Glentoran ne fait pas de la figuration. Ni dans la dentelle. Les prolos donnent tout et reçoivent parfois. Le match face à Bangu à Houston part en bagarre générale. Joueurs, staff et Texans avinés dans un incontrôlable désir d’union corporelle. Le match est arrêté. « C’est malheureux pour l’image de la ligue tout de même… » déclare William Clay Ford, témoin du chaos. William Clay Ford, visiblement pas au courant de l’ambiance de guérilla régnant dans son propre pays…

Boston, June 19th

Union ou République, Maureen O’Hara ne s’en préoccupe guère à ce instant précis. Celle que l’imaginaire collectif pensait casée avec John Wayne, trépigne d’impatience à l’aéroport. Vêtue d’une chemise verte et blanche, elle attend l’arrivée des artistes. Ceux qui faisaient battre son cœur de midinette. Les Shamrock Rovers débarquent à Boston.
Liam Tuohy prend la pause. Pas tous les jours qu’un mécanicien se retrouve nez à nez avec le sex-symbol national. Car comme son homologue d’Ulster, Tuohy est semi-pro. Et comme Colrain, il connut la pression des stades bondés, à Newcastle.
Tuohy comprend vite que jouer pour l’épicentre celtique des Etats-Unis demanderait une disponibilité sans faille. Parade, invitation à monter sur le podium d’un défilé de mode ou celui de l’université de Harvard. Accepter les pintes à la gloire de l’île perdue ou fantasmée. Dis moi mon beau miroir qui est le plus Irlandais de nous deux ?

Tuohy a quelques hits à son actif. Un but à Mestalla, un autre à la Romareda. L’odeur d’une proie bavaroise inerte jusqu’au sursaut du Bombër Müller. L’ancien assembleur de poussettes n’est pas le perdreau de l’année.
Shamrock se noie pourtant, empêtré dans un jeu violent et vide de création. Sans public également, à peine 4 000 de moyenne au Manning Bowl. Entre les Celtics, les Bruins et les Red Sox, les Bostoniens n’ont plus de place dans leur agenda. Et peu de regrets puisque les Rovers finissent derniers.
Tuohy sait-il que ses joueurs ont improvisé un concert sauvage avec un jeune talent nommé Stevie Wonder ? Mystère. S’imagine-t-il dirigeant une Irlande unie six ans plus tard ? Pour la première fois depuis 1950. Et la dernière jusqu’à nos jours, dans un Lansdowne Road comble face au Brésil de Rivelino et Dirceu ? Évidemment que non. Quelques mois après le Bloody Sunday. Quelle folie…

New York, June 23rd

La faim ayant poussé des millions d’Irlandais à traverser l’océan, Ondino Viera la connaîtra en partie. De manière sporadique et moins dramatique. Intentionnelle surtout. A 70 ans, il entame une grève de la faim ! Pour protester contre la tournée européenne abracadabrantesque que lui impose la direction du Liverpool de Montevideo. Sous la neige…
Mais c’est lire les dernières pages d’un roman. Ondino hante le ring depuis plus de quatre décennies. Un Jack Démpsey défiant désormais George Foreman. L’Uruguayen qui flâne dans les rues new-yorkaises, admirant les gratte-ciel, est un homme du ciment. Un bâtisseur. Passerelle entre les années folles et le napalm sur les crânes du Việt Cộng.
El Manco Castro, Expresso da Vitória, Domingos da Guia… Des noms défilant telles des stations de Subway, que les rides effacent des mémoires comme on jette un ticket dans la poubelle la plus proche. Qui sait du côté du Bronx que Viera fut un des pionniers de la préparation mentale dans le foot ? Que le Brésil de Didi lui doit certainement son 4-2-4 libérateur ? Lui qui fut accusé d’avoir en partie causé le Maracanazo.

Le Club Atletico Cerro est l’un des deux clubs non européens de la compétition. Et pas le plus fringant. Le locataire du Yankee Stadium enchaîne déroute sur déroute. Leur football est diablement lent. Et déplaît fortement à la pomme boulimique. Ni dieu céleste ni paillette… Le strass new-yorkais, le défenseur Masnik tentera de le dérober un instant des yeux de Sylvia Hitchcock, future Miss Univers, lors d’une séance de photos pour le New York Times.
Ondino regarde la structure du Yankee Stadium. Bel édifice. Manque l’universalisme du Centenario peut-être… Ondino se remémore le stress de l’ingénieur. L’attente que le béton armé durcisse. L’arrivée de la meute des adorateurs de Cea. A jamais, les premiers…
Gordon Banks de Cleveland vient de se trouer et Riberto Ribeiro amuse la galerie avec ses dribbles éblouissants. « A man who seems to be playing with sense of humour. » Mais Ondino est las. Quel électrochoc utiliser ? Les contraindre à s’époumoner sous le déluge à Central Park ? Déjà vu… En 1966, en plein fog anglais, Sasia, Mazurkiewicz et même son fils grande gueule Milton buvaient ses paroles. Scrutaient chaque mouvement de salière quand il décrivait, sur la nappe rayée d’une table de restaurant, comment arrêter le chauve Charlton. Des caractères peut-être mais des gens éduqués et vifs, ça oui !
Mais cette bouillie infame… Où sont le panache et les coups de Bangu ? Viera regarde sa montre et sourit enfin. Au souvenir de son Fluminense, « sûr comme un chronomètre ! » Machado, Tim, Hércules, héros figés.
Non, le spectacle n’est clairement pas au Yankee Stadium en cet été 1967. Il sera du côté du Madison Square Garden où Smokin Joe débranchera George Chuvalo à la quatrième reprise. Chuvalo, le « tough guy » par excellence selon Ali.

El Cerro de Nueva York
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34 réflexions sur « United Soccer Association 1967 Partie II « Non Sire, c’est une révolution… » »

  1. Toujours aussi foisonnants, les textes du Kia.
    Faut être bien accroché au moment de grimper dans le grand 8 !
    Les petites phrases explosent et pétaradent, comme des hana-bi ou des jabs… (suis plus sûr de mon anglais que de mon japonais !)

    Bref, c’est assez dingue. Et, au milieu de tout ça, y a Maureen O’Hara… Moi, Maureen O’Hara, elle me fait un peu ni chaud ni froid, mais quand je pense à elle, c’est ni à Suzon ni à Suzette que je pense, mais à John Ford… « How green was my valley », « Rio Grande », « The quiet man »… 20 dieux !

    Au vrai, cette compétition dont tu nous parles, c’était un truc bien typiquement étasunien si j’ai bien compris ? Les mecs ont fait venir des équipes européennes et sud-américaines et les ont installées dans leurs villes pour jouer un mini-championnat ? Un peu comme ils ont fait avec les manoirs et les châteaux européens qu’ils ont démontés, pierre par pierre, transportés chez eux et remontés, pierre par pierre ? Bon, fallait quand même faire gaffe qu’il n’y ait pas un fantôme à l’intérieur du château, comme dans la lamentable comédie romantico-fantastique de René Clair, « The ghost goes West ».

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    1. Alors oui, les américains ont fait venir 12 équipes de l’extérieur. Divisées en 2 conférences. Elles s’affrontaient toutes et les vainqueurs de chaque conférence allaient en finale. J’en parlerai dans la dernière partie.

      Quant à O’Hara, c’etait une véritable fan des Shamrock Shamrock Rovers. J’avais trouvé une photo d’elle avec l’équipe mais la photo etait moche. Sinon, on peut trouver d’autres photos où on la voit plus vieille avec les couleurs du club. C’etait pas du chiqué.

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      1. Acteurs célèbres d’origine irlandaise: John Wayne, James Cagney, Tyrone Power, Bing Crosby et Gene Kelly. Les interprétations de ballades irlandaises par Bing sont restées légendaires.

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      2. Tu conseillerais lequel Fred? j’en ai pas vu tant que ça des films de Ford.

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    1. Sur la photo de garde, on voit Frazier battre Chuvalo le Canadien. Un dur de chez dur. Il eut 2 combats face à Ali, allant chaque fois à la limite. Après leur premier combat, Ali pourtant vainqueur, passa la nuit à l’hôpital tandis que Chuvalo amenait sa femme au dancing comme dirait Fred!

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  2. « Tu conseillerais lequel Fred? j’en ai pas vu tant que ça des films de Ford. »

    Bobby et moi te répondraient tous ou presque tous. De « The Iron Horse » de 1927 à « Seven women » de 1966, beaucoup de chefs d’oeuvres, quelques oeuvres mineures, très très peu de fims quelconques.
    Mes goûts personnels:

    The Hurricane
    Stagecoach
    The grapes of wrath
    The long voyage home
    They were expendable
    My Darling Clementine
    Fort Apache
    Rio Grande
    The quiet man
    The searchers
    The man who shot Liberty Valance
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      1. Des 11 que j’ai cités il y en a quand même 8 avec Wayne. Et je n’ai pas cité les 5 autres Ford avec lui.

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      2. C’est possible, ça, de ne pas aimer John Wayne ? Nan mais !
        J’ai vu moins de Ford que Fred (qui les a sans doute tous vus…), mais je peux quand même te conseiller ceux-ci :

        1) Sans John Wayne (à peu près par ordre de préférence) :
        – « My darling Clementine » / « La poursuite infernale » (avec Henry Fonda notamment, probablement mon Ford préféré)
        – « The grapes of wrath » / « Les raisins de la colère » (avec Henry Fonda et Jane Darwell)
        – « Young Mr. Lincoln » / « Vers sa destinée » (avec Henry Fonda)
        – « Wagon master » / « Le convoi des braves » (avec Ben Johnson, Ward Bond…)
        – « How green was my valley » / « Qu’elle était verte ma vallée » (avec Maureen O’Hara)
        – « Drums along the Mohawk » / « Sur la piste des Mohawks » (avec Henry Fonda et Claudette Colbert)
        – « The informer » / « Le mouchard » (avec Victor McLaglen)

        2) Avec John Wayne :
        – « La charge héroïque » / « She wore a yellow ribbon » (au coude-à-coude avec « My darling Clementine » dans mon autel dédié à John Ford…)
        – « The man who Liberty Valance » / « L’homme qui tua Liberty Valance » (avec aussi James Stewart)
        – « The searchers » / « La prisonnière du désert » (le premier quart d’heure est le plus réussi de l’histoire du cinéma, et je pèse mes mots !)
        – « Fort Apache » / « Le massacre de Fort Apache » (avec aussi Henry Fonda)
        – « The quiet man » / « L’homme tranquille » (avec aussi Maureen O’Hara)
        – « Rio Grande » (avec aussi Maureen O’Hara)

        Franchement, tous ces films me paraissent indispensables. Et je t’ai évidemment épargné quelques daubes fordiennes…
        – « Stagecoach » / « La chevauchée fantastique »

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      3. Flûte ! J’ai mal relu : « Stagecoach » est mal placé. Il est en queue de liste des bons films de Ford avec Wayne. Là, on dirait que c’est une daube, genre « Mogambo » ou « Dieu est mort ». Non, pas du tout.

        Et la liste des films avec Wayne est aussi, à peu près, par ordre de préférence.

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      1. Certains témoignages prétendent qu’il exerçait une fonction d’ingénieur. Son témoignage en fait plutôt un superviseur des travaux.

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    1. @bobby oui tu as raison « la prisonnière du désert » est juste incroyable et malgré le fait que j’ai lu le livre avant d’avoir vu le film « les raisins de la colère » est un sacré film! me rend compte que dans ta liste j’ai presque tout vu à part « l’homme tranquille » et « vers sa destinée »
      comme Khiadia (homme de goût s’il en est^^) je suis absolument pas fan de Wayne si si et pourtant j’en ai vu un paquet de ses films

      en tous cas merci pour cette série d’article bien surprenant merci les historiens^^

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      1. Faut pas trop regarder les Wayne dirigés par des tâcherons tels que Andrew McLaglen (le fils indigne de l’immense et truculent Victor) ni son second film comme réal « Les bérêts verts ». Il faut regarder ses serials et séries B des années 30 au second degré et on trouve ça kitschissime !

        Qu’est-ce que Khia y connaît en cinoche américain ?🤣

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      2. Fred
        Hehe. Certainement moins que toi, c’est une évidence. Mais c’est la personnalité et le jeu de Wayne qui me rebute un peu. Il ne me procure pas d’émotions ou peu…
        Je pense que c’est dans le Grand détournement que je l’ai préféré! Là oui!

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      3. Dans « She wore a yellow ribbon », il a réussi à m’arracher une larmiche, le père Wayne. Film d’une éblouissante beauté, et si émouvant…

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