La première séparation des Gemelli del gol

Gianluca Vialli est parti le premier. Comme en 1992, quand il quitte la Sampdoria pour la Juventus, laissant seul Roberto Mancini.

Au tournant des années 1990, nous pensions que Gianluca Vialli et Roberto Mancini étaient inséparables, qu’ils ne quitteraient jamais la Sampdoria, enfants gâtés de Paolo Mantovani, gemelli del gol blucerchiati pour l’éternité. Avec Pietro Vierchowod pour témoin, ils avaient d’ailleurs scellé un pacte comme en font les frères de sang, s’interdisant de quitter Gênes avant d’avoir gagné un scudetto. Il leur avait fallu sept années d’efforts en commun pour y parvenir[1], pour que le rêve devienne réalité, sans trahison en dépit des sollicitations et des tentations[2].

Qu’il est déjà loin le Vialli de la Cremonese, physique de Vincent Lacoste dans Les Beaux gosses, tignasse frisée, ayant à peine mué, gamin aux goûts incertains et au style douteux. Il s’est affirmé peu à peu jusqu’à devenir une idole italienne. Une star ambitieuse. L’échec des Blucerchiati en finale de Coupe des clubs champions 1992 contre le Barça, ses occasions manquées face à Zubizarreta, sont des traumatismes dont il peine à se remettre.

Pour grandir encore, il lui faut s’émanciper, prouver qu’il peut exister sans son « jumeau ». Alors quand l’argent est venu à manquer chez les Mantovani, peut-être lassé de ne pas être le fils préféré, il se laisse séduire par une nouvelle famille au nom prestigieux, les Agnelli.

Avec Paolo Mantovani après la victoire en finale de la Coupe des vainqueurs de coupe 1990.

A Turin, Vialli déchante, l’ambiance de la grande maison est froide, les entrainements sont durs, Trapattoni le paralyse avec ses sifflements stridents. Et puis tous les Roberto ne ressemblent pas à Mancini, le jeu cristallin de Baggio demeure un mystère, la connexion entre eux ne s’établit pas. Alors il se réfugie dans la compagnie d’Emiliano Mondonico, entraineur du Torino et père spirituel à ses débuts avec la Cremonese.

En janvier 1993, le retour au Stadio Luigi-Ferraris avec le maillot de la Juventus est un moment d’anxiété, il craint l’hostilité de ceux qui l’ont tant aimé. L’inverse se produit, les tifosi l’acclament et Il Mancio, le frère abandonné, ne lui adresse aucun reproche. C’est finalement pire que tout, la nostalgie l’envahit, les siens lui manquent. Etre hué aurait sans doute été moins douloureux.

À l’été, Gianluca Vialli veut revenir à la Samp. Incapable d’affronter le regard de Paolo Mantovani, il en parle à quelques amis génois chargés de faire passer l’information. Tourmenté par la maladie, le président ne fait pas de sentiments, Vujadin Boškov n’est plus là pour l’attendrir et s’il a sacrifié un de ses fils, c’est pour reconstruire sa maison autour de Mancini, le plus jeune, celui dont il dit « quand il ne joue pas, je ne viens pas au stade, je m’ennuie. »

Le décès de Mantovani à l’automne 1993 scelle la fin des illusions, Vialli comprend que ce qu’il a connu et adoré n’existe plus, la quête des émotions de ses jeunes années est vaine : la Sampdoria appartient définitivement au passé, il n’a pas d’autre choix que de conquérir Turin, ce qu’il va faire, l’histoire est connue[3].

La Coupe de l’UEFA 1993 avec Giovanni Trapattoni.

[1] Mancini arrive de Bologna en 1982, Vierchowod de la Roma en 1983, Vialli de la Cremonese en 1984.

[2] A l’été 1987, les présidents Mantovani et Ferlaino sont près d’un accord pour le transfert de Vialli au Napoli. Alors qu’ils négocient sur le yacht de Ferlaino au large de Capri, des paparazzi révèlent les tractations et font échouer la transaction.

[3] Son palmarès avec la Juve : un Championnat, une Coupe de l’UEFA, une Ligue des Champions.

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34 réflexions sur « La première séparation des Gemelli del gol »

  1. Un kéké, Vialli?

    Dans mes souvenirs des 80’s, il dégageait un je ne sais quoi de sympathique mais peut-être aussi brin con-con Italien exhibant son torse velu dans un cabriolet, avec l’une ou l’autre chaînes en or.. C’est tout ce que l’individu m’inspirait, bien plus exhibitionniste et moins subtil que son compère Mancini..mais quand bien même, c’est lui qui avait raison : les femmes ne juraient que par lui, c’était leur chouchou avec ses poils et ses boucles!

    Est-il déjà revenu sur sa performance chaotique en finale de C1 92? Déjà dit mais, pour moi : les rumeurs de transfert tous azimuts lui avaient retourné le cerveau.

    Je n’ai aucun souvenir sportif de lui à la Juve…….. Je le visualise bien un peu avec le maillot bianconeri, mais à part ça.. Alors qu’avec la Samp et à l’Euro88, ça oui.

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    1. Il est d’ailleurs amusant de remarquer à quel point Mancini et Vialli étaient différents. De bonnes familles (surtout Vialli), l’un choisit l’exubérance et l’autre la discrétion. Les tendances grunge du moment pour l’un, le luxe discret pour l’autre (pas le mauvais goût ou le quasi prêt à porter Armani ou Versace, non non, Bogliali ou ses équivalents). L’un feignant son intérêt pour l’argent, l’autre l’assumant via un chantage permanent vis à vis de Mantovani père puis fils après 93. L’un affichant une bonne humeur permanente, l’autre un caractère taciturne. Et pourtant, quel duo !

      A propos de la finale 92 et des deux occasions manquées, j’ai le souvenir d’avoir lu Vialli il y a quelques temps qui en parlait avec humour. En résumé, il disait que le Barça lui devait beaucoup, sans lui, il n’aurait pas gagné sa première C1.

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      1. Je n’aurais jamais soupçonné qu’il fût de bonne famille, merci!

        Au final des tempéraments complètement raccords avec leur jeu respectif. Et un binôme effectivement formidable, qui me rappelle spontanément et à tous égards celui d’entre Nilis (taciturne, sophistiqué, plus cérébral aussi) et Ronaldo (plus explosif et spontané) au PSV, c’était du même acabit.

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    2. Quel duo magnifique. A l’Euro 88, on pensait voir le duo au long cours de la Nazionale. Finalement c’est Vialli qui centre pour le tube de l’ete Schillaci et la gloire s’envole. Vialli marquait souvent des buts spectaculaires.
      Ça marque également les premiers départs d’Italiens de renom à l’étranger. Comme pour Zola. Quelque chose d’inhabituel.

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      1. Schillaci, c’est plutôt la CM 90. En 1988, je me souviens avoir vu l’Italie se faire complètement éteindre en demie par l’URSS de Dasaev et Zavarov, une des meilleures équipes à ne pas avoir gagné la Coupe du Monde.

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      2. G.g.g
        Je parlais évidemment du mondial 90 pour le centre de Vialli pour la tête de Schillaci face à l’Autriche! Mais j’ai perdu un bout de ma phrase en route! Hehe

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      3. Oui, le duo Vialli-Mancini débute bien l’Euro 1988 puis s’éteint. C’est d’ailleurs à cette occasion que Mancini dispute son dernier match de phase finale avec l’Italie, à 23 ans. Il ne joue aucune minute en 1990, l’Italie n’est pas qualifiée en 1992 et il refuse d’aller aux EU dans un rôle de remplaçant en 1994. Sachant qu’en 1986, au contraire de Vialli, Bearzot ne le retient pas après une sortie nocturne lors d’une tournée à New-York. Bref, un fiasco en sélection.

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  2. 58 ans seulement… J’ai vu que sa carrière avec la Squadra s’est arrêtée en 1992 alors qu’il n’avait que 28 ans. Il ne marque pas lors du mondial 1990, il rate la qualif pour l’Euro 92. Son histoire avec la sélection italienne n’a pas semblé à la hauteur de celle en club, c’est l’impression que ça donne vu de l’extérieur.

    Au revoir, Gianluca ✝️

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      1. Hé bien on est 2. Je l’apprends par ce commentaire 🙁
        Je sais qu’il n’était pas au mieux mais ça « surprend ». Mihajlović, lui…

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  3. Ce gars a quand même gagné toutes les coupes européennes : Ligue des Champions avec la Juve, Coupe des Coupes avec la Sampdoria et Chelsea, et Coupe UEFA avec la Juve. Il les a aussi toutes perdues en finale.

    Je sais pas s’il y a d’autres joueurs qui l’ont fait.

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      1. Je pense que Cebo fait référence à des joueurs ayant gagné ET perdu en finale des 3 Coupes d’Europe. Si Cabrini, Scirea ou Tardelli ont gagné les 3 Coupes, je pense qu’ils n’ont perdu en finale qu’en C1.
        Donc hors Vialli, je n’en vois pas d’autres mais faudrait vérifier.

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  4. En revoyant ces photos, je me rappelle à qui il me faisait penser : Francis Perrin, dans un nanar dont la chanson était « je suis le roi.. du sex-appeeaal-euh.. et devant moi.. toutes se résignent-euh.. encore encore, quelle cadeeence.. hop là, hop là, et ça recommeeence-euh.. » (de tête, hein..)

    Le « joli coeur »?? Je me demande s’il n’y avait pas l’inévitable Aldo Macione dedans..

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    1. Ouh la, Francis Perrin, il fallait avoir le cœur bien accroché pour regarder ses navets. Jamais pu aller au bout de quoi que ce soit le concernant sauf en une dramatique circonstance : je me suis retrouvé contre ma volonté à le voir dans une pièce de boulevard, impossible de m’échapper. J’ai perdu toute estime pour la Comédie française quand j’ai su qu’il en était membre. Je n’ai jamais vu pire (et j’en ai vu des merdes) sauf en allant voir Cantona sur scène. Je ne voulais pas y aller, on m’a fait lire des critiques plutôt élogieuses, j’ai cédé… Quelle indulgence vis-à-vis de ce type ! Cantona faisait du Cantona, impossible de se mettre en tête qu’il jouait un rôle. Nullissime. A côté de lui Lorant Deutch, c’était Paul Meurisse (j’adore Paul Meurisse).

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      1. Haha, Cantona, Perrin, Maccione, Deutsch, on nage en pleine cinéphilie, là. Quelle bande de guignols, quoique Deutsch ferait presque figure de crack à côté des autres. Je ne peux que souscrire à l’admiration générale pour Paul Meurisse (je viens de revoir « Marie-Octobre film au casting introuvable).

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      2. Putain ! oui, « Marie-Octobre », quel film. Et pas seulement pour la Darrieux sur laquelle toi et l’autre singe avez l’habitude de vous tirer sur l’élastique…

        Une vision de la Résistance d’une rare justesse, montrant encore une fois que le mythe gaullien de la France unanimement résistante n’avait pas cours avant les débuts de la Ve et que, de toute façon, tous les Français n’y adhérèrent sans doute pas.

        Et pis toujours la veine pessimiste de Duvivier.
        Grand film, assurément.

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  5. C’est vrai qu’on parle beaucoup des gemelli d’El gol de cette Sampd’oro mais le rôle d’Attilio Lombardo et celui de Pagliuca est parfois minimisé. Dommage qu’aucun sélectionneur de la Nationale (rigide ou moins rigide) n’ai pu tirer un bénéfice de cette colonne vertébrale exceptionnelle en gagnant un titre majeur que l’Italie aurait mérité.
    Quelle tristesse sinon cette nouvelle. Gros cafard depuis son annonce et beaucoup de nostalgie de cette époque de la série À.

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    1. Salut Nana, c’est vrai, beaucoup de bons joueurs autour des gemelli. Vierchowod, Pagliuca, Cerezo, Katanec, Dossena et ce brave Attilio Lombardo dont on ne savait s’il était terzino ou ailier tant il semblait partout sur le terrain. Je l’aimais beaucoup mais il est malheureusement le symbole des excès médicamenteux de l’époque, ses performances et sa prise de volume musculaire n’avaient rien de normales. C’est ce qui me gêne dans ce calcio des années 90, quand l’Italie avait les meilleurs prescripteurs d’EPO (pour rappel, les Italiens écrasaient tout en cyclisme, en ski de fond etc… avec des médecins comme Conconi, Ferrari ou Cecchini). Pour ma part, je préfère le calcio des années 80, moins spectaculaire, mais plus humain.

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