Le but de Fio face au Benfica à l'honneur dans la presse

Un but d’ange

Le football, c’est avant tout des émotions. Son histoire est forgée d’immenses joies et d’inconsolables tristesses. Au Brésil, un but a touché tout un peuple, pourtant presque personne ne l’a vu.

En ce 15 janvier 1972, le Maracanã était loin d’être plein pour le match d’ouverture du Tournoi International de Rio de Janeiro. Mais les 44 000 spectateurs présents pour une affiche entre le Benfica d’Eusebio et le Flamengo de Paulo Cézar assistèrent à l’un des buts les plus mythiques de l’histoire du football brésilien. Un but béatifié. Un but marqué à l’issue d’une action pleine de grâce, signée de l’un des joueurs les plus chéris des supporters flamenguistas. Le fou. L’imprévisible. Autant adoré des supporters que mal-aimé par ses entraîneurs pour sa capacité à alterner le génial et le médiocre. Mais à l’origine d’un moment de magie gravé pour l’éternité.

Comment un but marqué dans un tournoi d’avant-saison a-t-il pu passer l’épreuve du temps  et marquer la mémoire collective de tout un pays pour l’éternité ? Serait-ce par le biais de multiples diffusions télévisuelles ? Pas du tout. Au premier rang du mythique stade carioca, parmi la foule en extase se trouvait un homme ébloui par la beauté céleste des entrechats qu’il venait d’admirer. Cet homme, c’est Jorge Ben Jor.

Monstre sacré de la musique brésilienne, Jorge Ben fut tant frappé par cette action qu’il décida de la mettre en musique. Oui, ce but est rentré dans l’histoire par le prisme d’une chanson. Une chanson qui fut un succès national après avoir gagné le concours international de la chanson populaire à Rio la même année, portée par la voix grave de Maria Alcina. Une chanson qui connut le même succès en France, adaptée par Nicoletta, bien que cette dernière l’amputa malheureusement de toute référence au football. Une chanson au nom du magicien à l’origine de ce moment de grâce : le fantasque, le déroutant, Fio Maravilha.

Fio, comme il était appelé avant que Jorge Ben le sacralise, était pourtant, une fois encore, sur le banc. Mário Zagallo, son entraîneur d’alors, goûtant peu de l’inconstance des performances de son joueur. Mais à force d’entendre les cris d’une foule réclamant son protégé dévaler les gradins jusqu’à ses oreilles, O Velho Lobo céda. Et Fio entra, pour le bonheur de tous, en seconde mi-temps. Ce qui se passa cette nuit là, à la 78e minute du match, c’est la chanson qui le raconte le mieux :

Il est venu à nouveau avec inspiration
Plein d’amour et d’émotion, avec un but détonant
Qui secoua les supporters à la 33e minute de la seconde mi-temps
Après avoir fait naître un but d’une action céleste

Fit un une-deux, puis dribbla deux défenseurs
En une touche, élimina le gardien
Il n’est pas rentré avec la balle dans le but
Seulement parce qu’il est humble

Ce fut un but de classe, où il montra sa malice et son pédigrée

Ce fut un but d’ange, un vrai but légendaire
Qui fit s’enchanter le public reconnaissant
Ce fut un but d’ange, un vrai but légendaire
Qui fit s’enchanter le public reconnaissant

Fio Maravilha, nous te portons dans notre cœur
Ih-ih-ih-ih-ih-ih-ih
Fio Maravilha, marques-en un autre pour nous montrer
Ih-ih-ih-ih-ih-ih-ih

Fio Maravilha par Jorge Ben Jor

Merci à Rui Costa pour sa participation

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52 réflexions sur « Un but d’ange »

  1. En scrollant, je me suis dit « ah, il est malgré tout parvenu à en dégoter une vidéo »..

    Mais la déception n’a pas duré, chouette morceau! Et il reste l’imagination, ce n’est parfois pas plus mal.

    J’apprécie l’idée que cette action ait changé de peau, de nature : à temps T ce fut une action de football, rien de plus..et désormais il n’en subsiste « plus rien qu’  » une chanson (mais pour l’éternité).

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    1. Bien commenté Bota. La mutation du stade de « simple but » à celui de « emblème populaire chanté » est ce que j’apprécie aussi tout particulièrement. Selon moi, c’est bien sûr totalement subjectif… toute la beauté est là !

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      1. PS: Quant à l’imagination, forcée ici, c’est ce qui fait toute la poésie de l’histoire, que dis-je l’histoire… la romance, la fable! L’intensité est ainsi stimulée, revue à la hausse et enfin, fait assez rare pour être souligné: ce qui aurait été alors uniforme s’il y avait eu une image commune, un film officiel… devient tout à fait intime sans pour autant perdre de son caractère populaire et la notion de partage dans cette émotion.

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    2. Tu dois certainement connaître le frere de Fio Maravilha. Il s’agit de Germano, l’attaquant qui passa furtivement au Milan AC et chez les copains de Verano, le Genoa.
      Quelques matchs au Standard également.
      Germano etait tombé amoureux d’une comtesse italienne et ils partirent se marier en Belgique! Scandale chez les aristos!

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      1. Oh oui, histoire de fous.. Il en subsiste même certaine présomption de tentative d’assassinat sur sa personne, quoique guère voire pas du tout d’éléments factuels pour en attester.

        Le Standard avait bravé les pressions diplomatiques de l’Italie en accueillant les deux tourtereaux..et pire : le témoin de leur mariage à Liège fut un employé du Standard, quel bazar..

        Germano laissa alors choir sa comtesse (de tête c’était son titre?) milliardaire, héritière de l’Empire industriel Agusta, et disparut de Liège comme il y était apparu.. Un joueur doté d’un pied gauche surpuissant, j’ignorais qu’il était le frère de, merci.

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      2. Et j’oubliais : dans la foulée des affaires étrangères italiennes, c’est alors l’appareil d’Etat belge qui fit pression sur le Standard, vraiment la dernière chose à faire, lol..car c’est précisément ce qui engagea le Standard, par bravade, à organiser le mariage des deux fuyards, et donc même à déléguer l’un des siens comme témoin de Germano.

        Je crois me rappeler (je vérifierai ce soir) que ledit témoin était l’homme qui avait eu l’idée du coup de pub « Puma » de son ami Pelé, juste avant le match face au Pérou en 70, Lucien Levaux..lequel dans mes souvenirs (vérifierai les notes de mon entrevue jadis avec Francis) était d’ailleurs de la partie avec Francis Rion pour boire des bières avec le roi Pelé dans un café de village à Dalhem.

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      3. « Only in Belgium »! Comme disent les expats du plat pays. Merci pour vos anecdotes croustillantes.

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      4. J’ai été expat bon 15 ans..et je n’ai jamais dit ça 🙂

        Par contre mes collègues ou connaissances expats belges (mais très rarement voire jamais liégeois), bruxellois surtout, aimaient dire ça, tu dis vrai : comme s’ils y trouvaient à cultiver une forme d’exceptionnalisme à la belge, surréalisme/absurdité coutumiers qu’on prête à ce pays (et qui n’est pas vraiment faux).

        Je crois toutefois que ce genre de situations est très liégeois, mode « à la bonne franquette » et qu’importe le pedigree du mec en face ; le nombre de fois par exemple où j’ai vu des partenaires commerciaux belges mais non-liégeois écarquiller les yeux en voyant dans quel genre de bouge on les emmenait pour faire affaire, autour évidemment de dizaines de bières servies sans tralalas aucun, avec parfois des mecs bien entamés depuis la matinée à la table juste à côté, lol.. Ca change certes un peu avec le temps, mais..

        Havelange revenait par exemple çà et là sur la terre liégeoise de ses ancêtres, son père était né à Kinkempois, caricature de quartier industriel.. Et, quoique Président de la FIFA : c’était bien souvent pour se retrouver à manger un cornet de frites, il avait (re?)pris goût à cette absence de chichis.

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    3. Je n’ai pas réussi à trouver de vidéos de l’action complète. On n’en voit que le moment où il marque le but. Mais ce serait comme de ne voir du but de Maradona contre l’Angleterre que la toute fin, à partir du moment où il arrive à 7-8m du but. Ça n’a aucun intérêt. Donc autant partager l’émotion de la chanson qui est bien plus parlante.

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  2. Cebolinha, ton petit récit est un plaisir de lecture. L’un des plus agréables papiers que j’ai eu l’occasion de lire ces derniers temps. Évidemment, ce n’est qu’un avis purement personnel… Tout y est : le vocabulaire, les tournures, le rythme… l’imaginaire, le voyage et les émotions, frustrations comprise mais magnifiquement transformée ici en offrande divine, nous rappelant ce cadeau qu’on les Hommes de pouvoir imaginer ce que leurs yeux ne voient pas…
    Pour finir une simplicité dans les phrases qui pourtant ne perdent pas de leur superbe et de leur profondeur. Doux, tendre, délicat… ton texte est une caresse qui pour conclure, serait quasiment qualifiable de « Veranesque »!

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  3. Voilà ! la force de l’imaginaire. Ils sont toujours à nous faire chier avec leurs images, avec leur soi-disant réel, les images seraient d’ailleurs la preuve de quelque chose (comme si une image, une photo, une vidéo, ne pouvait mentir, n’était pas mise en scène…).
    Non, ce qui compte, c’est ce qu’on imagine, mais c’est plus fatigant d’imaginer, de rêver, de penser, en somme d’être actif, que de regarder et de subir.

    « Gol de placa » ? Je connaissais évidemment celui de Pelé, aussi largement fantasmé. Que signifie l’expression ? Y a-t-il d’autres « gol(es ?) de placa » ?

    Quant à la reprise par Nicoletta de cette bien jolie chanson, cela permet de nous rappeler que le mouvement tropicalia pénétra profondément en France notamment à travers des adaptations dans des chansons françaises. Pensons évidemment à Claude Nougaro, mais aussi à l’excellent Marcel Zanini…

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      1. Il y a en effet pas mal d’exemples d’adaptations de chansons brésiliennes à l’époque. « Fais comme l’oiseau » de Michel Fugain est une adaptation de « Você abusou » (Antônio Carlos et Jocáfi), « Quand tu chantes » de Nana Mouskouri vient de « Canta canta, minha gente » (Martinho da Vila), « Qui c’est celui là » de Pierre Vassiliu adaptée de « Partido Alto » (Chico Buarque), …

        Même des chansons que l’on pourrait croire bien françaises comme « Brigitte Bardot » de Dario Moreno, vient en fait de la chanson « Brigitte Bardot » de Jorge Veiga. Il faut dire que c’est une star iconique au Brésil, il y a même une plage à son nom avec une statue à son effigie. Une autre chanson à son sujet que j’aime est celle de Tom Zé qui évoque avec mélancolie le vieillissement et la solitude : https://www.youtube.com/watch?v=gpZ7y3Q5N0Q

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      1. De nada.
        Et, ouh ! purée, Marcel Zanini me remet en mémoire une histoire un peu étrange. Je n’ai plus tout à fait le contexte, pourtant je suis sûr de ne pas avoir été ivre à ce moment. C’était il y a 5 ou 10 ans. Je me souviens d’une rombière qui nous racontait ses aventures avec Zanini, dans sa jeunesse, à l’époque où le jazzman n’était pas encore très connu. Elle l’avait rencontré par hasard, pris en stop… et je suis sûr qu’elle masquait la partie la plus croustillante de l’affaire !

        Ensuite, elle m’a invité à déjeuner chez elle. Elle devait me présenter le vieil Oloron. J’ai poliment décliné l’invitation.

        Bobby, charmeur pour vieille dame !

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    1. Placa est dans ce cas une plaque commémorative. Donc gol de placa, c’est une expression, maintenant désuète, pour qualifier un but de mémorable, de légendaire, de mythique. Ça vient de ce fameux but de Pelé dont un journaliste demanda à ce que l’on réalise une plaque commémorative pour lui rendre honneur. Ainsi naquit l’expression. Et quelques années plus tard, la plaque fut créée.

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  4. Excellent !
    Jorge Ben est supporter de Flamengo après y avoir joué avec les équipes de jeunes. Quelques années après le but de Fio, lors d’un festival de Zico contre le grand Fluminense (Doval, Gil, Carlos Alberto, Rivelino…), il compose durant le match une chansonnette en hommage d’O Galinho qu’il vient ensuite chanter dans les vestiaires.
    Et puis Jorge Ben, c’est celui que plagie Rod Stewart pour son tube Do you think I’m sexy. Je crois même que l’Ecossais a dû renoncer à tous ses gains sur cette chanson.

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    1. « Do you think I’m sexy »
      Putain ! quelle merde. Et cette chevelure à la Bonnie Tyler…
      De toute façon, cet abruti de Rod Stewart je lui en voudrais éternellement pour son abominable reprise de « Downtown train ». Sur ce coup-ci, il avait reçu l’autorisation de Dieu pour lui emprunter sa chanson. Mais quel massacre !
      L’original : https://www.youtube.com/watch?v=rLtZKkCIVmI
      Je vous épargne la reprise, vous n’êtes pas prêts…

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      1. Eh eh. Downtown train, Tom Waits, donc Jim Jarmusch, donc Mystery Train. Je l’ai revu il y a une dizaine de jours. Quelle déception. J’avais idéalisé ce film, je l’avais vu deux fois au cinéma à sa sortie et trente ans plus tard, je n’ai plus rien ressenti, aucune poésie ne m’a touchée. Ah si, je réécoute Screamin’ Jay Hawkins depuis….

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      2. Quel grand film Down By Law… pff
        Je m’étais enfilé tout ce que je pouvais de Jim Jarmush après ça!

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  5. Chouette article qui sollicite notre imagination !

    Très sympa la version originale de « Brigitte Bardot ». Mais en général je n’aime pas les chanteurs et les musiques brésiliennes, sauf si ça sonne « Old fashioned, Vintage » style années 30 comme « Aquarela do Brasil » de 1939 par Ary Barroso. Cette chanson deviendra « Brazil » et en France « Brésil » chantée par l’ineffable Jean Sablon que Bobby doit kiffer. « Brésil », phonétiquement et euphoniquement c’est très moche, ça colle pas, ça swingue pas, alors qu’il fallait garder le mot « Brasil ». Nuls les paroliers français quand il s’agissait d’adapter des tubes étrangers.

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  6. Eh ben !
    J’ai pris pas mal de retard sur les articles depuis la finale de la Libertadores (que je vais rattraper pendant ce WE de trois jours). Et ben quelle reprise ! Le Brésil… C’est avec ce genre d’anecdote que tu te rends compte que c’est pas un pays comme les autres !

    Je suis absolument ravi ! C’est le genre d’article qui me donne le sentiment d’enrichir ma culture football comme rarement ! Et je suis fier de participer à cette aventue P2F qui existe depuis maintenant plus d’un mois !

    Obrgado Cebo !

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    1. Qu’importe la catégorie, Moukoko a toujours affolé les stats. A l’âge de 14 ans, il est surclassé en U19 et inscrit 47 buts en 25 match
      deux ans plus tot, à 12 ans. Son talent et ses stats sont tels qu’il est engagé dans le championnat des U17. Son bilan : 90 buts en 56 matchs.

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  7. Depuis ses débuts en pro, il affiche des statistiques affolantes, puisque, avec un but en moyenne toutes les 118 minutes en Bundesliga, il est le troisième Allemand le plus efficace de l’histoire du championnat. Seuls Gerd Müller (un but toutes les 105 minutes) et Rüdiger Mielke (un but toutes les 90 minutes) font mieux
    Et la il est sélectionné pour le mondial alors qu’il est même pas majeur .

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