Youri Sevidov, le second Streltsov

La vie d’Edouard Streltsov est connue : un talent rare dont la carrière fut brisée par une accusation de viol, qui reste entourée de mystères, et qui passa plusieurs années dans des camps de travail. Mais moins connue est celle de Youri Sevidov, qui passa également par la case prison, quelques années seulement après celui que l’histoire aura retenu sous le nom du “Pelé russe”.

Né le 24 août 1942 à Moscou, à l’époque où son père Alexandre joue au Krylia Sovetov, Youri Sevidov commence sa vie dans la capitale. Quand Sevidov père devient le coach du Trud Stoupino en 1954, Sevidov fils commence à tâter du ballon, alternant entre le Trud et l’École de la Jeunesse du Football à Moscou.

Le talent du gamin est une évidence pour tous et le Torpedo fait une offre en 1959. Mais, un an après la retentissante affaire Streltsov, le Torpedo n’a pas bonne presse et l’équipe est généralement considérée comme une bande d’alcooliques talentueux. Youri reste donc sous la tutelle de son paternel, qui s’apprête à le faire entrer dans le grand bain.

Le Torpedo de 1958

La carrière de Youri Sevidov débute formellement le 16 octobre 1959, à 17 ans, sous les couleurs du Moldova Kichinev, aujourd’hui Zimbru Chisinau, dans une rencontre face au CSK MO, qui redeviendra le CSKA Moscou en fin d’année.

Après dix matchs seulement, Youri quitte la Moldavie dans la controverse. En effet, le Spartak Moscou le recrute en dehors des périodes de transferts, voyant vite que le jeune homme possède un très gros potentiel. Devant la grogne populaire, le public ne comprenant pas pourquoi ce transfert à été autorisé, un membre du præsidium de la fédération de football de l’URSS justifiera ce transfert dans la presse :

“La Fédération de football de l’URSS a considéré qu’il était possible, à titre exceptionnel, d’autoriser Y. Sevidov à jouer pour le Spartak au cours de la même saison en raison des circonstances suivantes. L’un des entraîneurs du Moldova est A.Sevidov, le père de Youri. Cela a conduit à une situation quelque peu anormale dans l’équipe. Youri Sevidov a été expulsé de l’équipe et est parti vivre à Moscou.”

Autant dire que l’explication ne convainc personne, mais Youri Sevidov est maintenant un joueur du Spartak Moscou, débutant avec son nouveau club le 26 mai 1960, contre le Shakhtar Stalino, deux semaines après son ultime match avec le Moldova.

Si ses deux premières saisons avec le Spartak sont celles d’un jeune homme devant s’adapter au très haut niveau, sa troisième, 1962, est celle de l’éclosion.

A gauche, face à un joueur du Torpedo

Marquant 16 buts, Sevidov termine deuxième meilleur buteur du championnat et remporte le titre avec le Spartak. Nommé dans la liste des 33 meilleurs joueurs de l’année 1962, il finit troisième meilleur attaquant du championnat, derrière Valentin Ivanov du Torpedo, qui inscrira quatre buts et terminera comeilleur buteur de la Coupe du monde au Chili, et Viktor Serebryanikov du Dynamo Kiev.

Après ça, les bonnes saisons s’enchaînent. 15 buts, une Coupe d’URSS et une deuxième place en championnat l’année suivante et des capes avec l’équipe nationale olympique en 1964, pour la qualification aux Jeux olympiques de Tokyo cette même année. Son but à la 88ème minute face à la RDA au Zentralstadion de Leipzig est le seul qu’il marque avec la Sbornaïa, une véritable anomalie.

Si 1965 est une année moins fructueuse en championnat, le Spartak ne terminant que huitième, Sevidov retourne quand même en finale de Coupe, après avoir sorti le Lokomotiv d’un doublé en huitième de finale et avoir ouvert le score en demi face au Krylia Sovetov. Opposé au Dinamo Minsk, entraîné par son père, Youri remporte une seconde Coupe d’URSS, le Spartak l’emportant 2-1 grâce à un doublé de Galimzian Khoussaïnov. Il joue finalement son ultime match sous les couleurs du Spartak le 13 septembre 1965, une victoire 1-0 face au Lokomotiv dans le cadre de la 23ème journée du championnat.

Vainqueurs de la Coupe d’URSS 1965, le dernier trophée majeur de la carrière de Youri Sevidov

Cinq jours plus tard, le destin de Youri Sevidov bascule pour toujours.

Alors que le Spartak revient de Briansk, Sevidov et deux de ses coéquipiers font le choix de s’arrêter aux Bains Sandounovskie de Moscou. Après ce moment de confort, le trio s’arrête dans un restaurant où sont vendus des chachliks et boivent un peu de cognac. Rentré chez lui dans l’après-midi, il ressort dans la soirée après une dispute avec sa femme. Partant vers la berge Kotelnitcheskaïa à Moscou, il n’est qu’à 50 mètres de sa destination quand il percute un piéton.

Quand il sort de sa voiture quelques minutes plus tard et retourne sur la scène de l’accident, plus personne. Une ambulance qui passait par là a récupéré le piéton et l’a conduit à l’hôpital le plus proche. Sevidov patiente et quand la police arrive, il les informe qu’il a bu un verre de cognac sept heures plus tôt. Si Sevidov n’est pas examiné par les forces de l’ordre, l’enquête mentionne “qu’un faible degré d’ivresse est sous-entendu”. Cela ne semble pas jouer en la défaveur du joueur, le piéton étant un homme âgé, qui a traversé au mauvais endroit. Sevidov est autorisé à rentrer chez lui et prend le train le lendemain matin pour aller à l’entraînement.

Mais au même moment, à l’hôpital, rien ne se passe comme prévu. Souffrant d’une jambe cassée, le piéton doit être opéré, même si son pronostic vital n’est pas engagé. Le chirurgien est en pause, et seul son assistant est disponible. Ce dernier prend l’initiative et décide de réaliser l’opération lui-même. Une erreur dans l’anesthésie provoque une crise cardiaque et le blessé décède à 60 ans.

Le patient en question ? Dmitri Riabtchikov, membre de l’Académie des Sciences de l’URSS et prix Staline 1949.

La renommée et l’importance de la victime font de cette affaire un cas important pour les autorités. Les collègues de Riabtchikov sont très remontés et demandent une sentence extraordinaire, parmi eux, des gens très influents tel que Youri Gagarine. Le comité central du PCUS condamne Youri Sevidov à dix années de prison, le maximum autorisé par la loi, alors que son titre de Maître des Sports lui est retiré. Au Spartak, la direction démissionne, Nikolai Starostine et Nikita Simonian ne reviendront que deux ans plus tard.

La décision du juge semble ne pas prendre en compte certaines circonstances exceptionnelles. Riabtchikov roulait toujours dans sa voiture, avec des gardes du corps, mais ne le fit pas ce soir-là après avoir vu sa jeune femme le cocufier avec un autre homme, décidant de rentrer chez lui à pied. L’un des amis de la victime mentionnera également qu’ils avaient consommé de l’alcool plus tôt. Aucune analyse toxicologique de Riabtchikov n’a eu lieu, le rôle du jeune médecin est occulté et globalement, les dés semblaient pipés. Pour les politiques, il faut faire de Sevidov un exemple, le sportif “gâté” roulant en Ford totalement ivre faisant un meilleur coupable qu’un étudiant en médecine ayant raté une anesthésie.

Plusieurs juges, comprenant bien vite que cette affaire ne respecte aucunement les principes de justice de l’URSS, décident de ne pas s’impliquer dans cette histoire, un jeune juge légalisant la décision prise en haut lieu.

Envoyé dans une prison dans la région de Kirov dans un premier temps, sa peine est finalement allégée et il est envoyé en Biélorussie, où il est même autorisé à jouer en troisième division avec le Neman Grodno. Fin 1969, il est amnistié et peut reprendre sa carrière.

Son voisin à Moscou, son ex-coéquipier Khoussaïnov, lui propose de revenir au Spartak, mais le club refuse de faire signer un contrat à l’ancien prisonnier. C’est finalement au Kazakhstan que la carrière de Youri Sevidov va reprendre. Son père Alexandre entraîne alors le Kairat, en deuxième division, et lui propose un contrat. Dix ans après leur séparation, le père et le fils Sevidov sont de nouveau réunis.

1970 voit la résurrection de Youri Sevidov. Auteur de 19 buts, il termine second meilleur buteur de deuxième division, et permet au Kairat Alma-Ata de remonter dans l’élite du football soviétique. Sans son père, parti entraîner le Dynamo Kiev, Sevidov joue une dernière saison avec le Kairat, ne marquant que trois buts, mais aidant néanmoins son club à se maintenir confortablement en première division, tout en remportant la Coupe européenne des chemins de fer.

Vainqueurs du Rapid Bucarest en finale 1-0, Sevidov est passeur décisif sur l’unique but du match

Suivent des passages au Karpaty Lviv, Shakhtar Donetsk et Spartak Riazan, sans grand succès. Physiquement dépassé, Youri Sevidov fait le choix de devenir entraîneur à partir de 1975, mais se fait surtout remarquer par ses passages en tant que commentateur à la télévision à partir des années 2000. Journaliste durant ses dernières années, il nous quitte à Marbella le 11 février 2010, alors qu’il couvre le camp d’entraînement du Lokomotiv Moscou, d’une crise cardiaque, à l’âge de 67 ans.

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14 réflexions sur « Youri Sevidov, le second Streltsov »

  1. Toujours compliquées ces histoires de footballeurs martyrs dans les régimes totalitaires honnis : Sindelar et les nazis, Streltsov et les communistes…
    Edelman, je crois, avait montré que l’histoire des Starostin était exagérée. Il faudrait que je retrouve l’article.

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      1. Je peux pas te dire ça mais étant donné la censure sous Brejnev (qui fut l’un des artisans majeurs de la réhabilitation de Streltsov), je pense qu’on mettait volontairement cette période sous le tapis, même si personne n’était dupe.

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  2. Avec cet article, j’ai terminé la trilogie Sevidov, en dehors de ma friandise chiraquienne de la semaine prochaine, je pense que mes prochains papiers vont quitter l’URSS pour d’autres nations de la cause socialiste, car je commence à saturer.

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  3. Je viens de relire, pour la troisième fois, cet article tant cette histoire est WTF.

    Le cocufiage préalable.. L’identité de la victime.. Les circonstances de sa mort……….. ==> C’est digne de la chauve-souris enragée de Bigard, quelle scoumoune..

    « Vainqueurs du Rapid Bucarest en finale », Cf. ta légende d’une photo……………..et tilt! : j’ai fini par faire le lien avec cette très prolétarienne (sinon la France en 51,voire « l’Allemagne (..de l’Ouest??) » : je ne vois que des nations/clubs du Bloc Est) « Coupe européenne des chemins de fer », que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam.

    Je me demandais comment il avait pu se retrouver à Marbella, pour y mourir..mais je lis que ce fut dans le cadre d’un voyage d’affaires ==> Le cas échéant, sais-tu quel genre d’affaires?

    Sa tombe est pas mal, ce n’était d’évidence pas n’importe qui..

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  4. Mourir à Marbella en février, c’et vraiment une faute de goût !

    À Moscou, j’ai visité le cimetière de Novodiévitchi (l’équivalent du Père Lachaise) avec un coin pour les artistes, un coin pour les scientifiques, etc. Me rappelle pas avoir vu sa tombe dans le coin des sportifs, s’il est enterré à Moscou.

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