Personnages de la Coupe du monde 1986 – Alessandro Altobelli, le patient italien (2/6)

Dans La Repubblica du 11 juin 1986, le très incisif Mario Sconcerti exprime le sentiment général animant la presse italienne à l’issue du premier tour des champions du monde en titre. Alors que tout reste possible, Sconcerti résume les prestations sans étincelle de la Nazionale aux performances de son gardien, Giovanni Galli, et de son avant-centre, Alessandro Altobelli . « De manière absurde, on a l’impression d’assister à un grand match entre Altobelli et Galli, le premier engagé dans son propre championnat du monde, avec une ponctualité et une efficacité monstrueuses[1], le second dans une très lente recherche de lui-même qui risque à chaque fois de compromettre ce que l’autre construit. » L’analyse de Sconcerti s’appuie sur d’incontestables faits : les mains tremblantes de Giovanni Galli font regretter que Dino Zoff se soit incliné sous le poids des ans alors qu’en inscrivant quatre des cinq buts italiens, Alessandro Altobelli éclipse Paolo Rossi qui découvre à son tour la frustration du cireur de banc.

Le buteur à la gueule d’ange

Formé à Latina dans son Latium natal, révélé en compagnie du feu-follet Evaristo Beccalossi à Brescia, Alessandro Altobelli intègre les rangs de l’Inter en 1977 dans un effectif en transition guidé par le vétéran Giancinto Facchetti. Echalas introverti à la gueule d’ange, son physique pourrait lui ouvrir les portes des castings des nanars des années 1970, ces productions gentiment érotisées, nullissimes, supposées émoustiller l’uomo italiano. On l’imagine déniaisé par les plantureuses et expertes Edwige Fenech ou Gloria Guida, sur une séquence délavée de Malizia Erotica paresseusement composée par Ubaldo Continiello.

Filiforme, peu puissant, il semble trop malingre pour affronter les défenses de Serie A et beaucoup doutent de sa capacité à s’imposer tant il est différent de Boninsegna par exemple, le bomber de l’Inter des seventies, ou d’Anastasi, son coéquipier. Et puis, pour tout dire, quand il confirme une certaine fragilité, « je suis tombé et je me suis enflé une côte », il ne semble pas très malin.

Malgré le scepticisme, Spillo (l’Aiguille) s’impose sans délai avec les Nerazzurri dans un style singulier, presqu’inédit en Italie. Anastasi, l’ouvrier obstiné du calcio, s’éclipse devant le fuoriclasse qu’est évidemment Altobelli. Il compense son absence de puissance par une adresse exceptionnelle des deux pieds et de la tête, et une gestuelle merveilleuse faite de feintes de corps et de dribbles courts. L’Italie de la fin des années 70 et du début des années 80 est pourtant riche de jeunes attaquants, de purs numéros 9 comme Paolo Rossi et Roberto Pruzzo, ou des joueurs plus complets tels Bruno Giordano ou Ciccio Graziani mais aucun n’a l’élégance d’Altobelli qui porte si bien son nom, grand et beau, incontestablement.

Buteur fiable, à défaut d’être prolifique, dans des équipes Interistes souvent frustrantes, hormis en 1980, l’année de son unique scudetto, il est l’idole des tifosi qui n’ont que faire de son image de simplet associé à ses formules maladroites ou bizarres nées dans son cerveau[2].

Au duel avec Mark Hateley dans un derby.

Le patient

En 1986, Sandro Altobelli a déjà 30 ans, plus que Paolo Rossi, et les chroniques passées semblent indiquer qu’il ne peut être qu’un éternel second choix. Pour l’Euro 1980, Enzo Bearzot ne le sélectionne qu’en raison des suspensions de Rossi et Giordano, tombés dans l’affaire du totonero[3] (le quotidien L’Unità titre « A Bearzot, ne parlez pas d’Altobelli »). Durant la Coupe du monde 1982, il le cantonne obstinément et contre toute logique au banc de touche malgré la supplique de Spillo dans La Stampa : « Je ne veux pas faire le touriste. » L’histoire donne raison au vieux technicien et Altobelli entre malgré tout au panthéon du football italien en étant sacré champion du monde. Suprême récompense pour son infinie patience et son sens de l’intérêt général, la blessure précoce de Ciccio Graziani lui donne l’opportunité d’inscrire le troisième but italien dans le stade Bernabéu, dont il écorche le nom et qu’il rebaptise « Barnabau ». L’échec de l’Italie lors des éliminatoires de l’Euro 1984 et l’évident déclin de Rossi le font peu à peu changer de statut aux yeux de Bearzot au moment où se profile la Coupe du monde au Mexique.

Alessandro Altobelli, Antonio Cabrini, Gaetano Scirea, Claudio Gentile et Paolo Rossi.

Pourtant le commissaire technique n’a pas encore renoncé à Rossi. Dans L’Unità du 8 mai 1986, il déclare : « Si Rossi redevient Pablito… », sous-entendant qu’il a toujours sa préférence. Trois jours plus tard, en amical contre la Chine, il titularise Rossi au poste d’avant-centre et positionne Altobelli en faux ailier, un peu comme Riva ou Bettega par le passé. Rebelote contre le Guatemala lors de l’ultime match préparatoire des Azzurri. Pablito est encore transparent, Altobelli marque trois buts et Galderisi, remplaçant de Rossi en seconde période, inscrit le quatrième. La presse sent le vent tourner, comme en 1978, quand Rossi avait pris le pouvoir en profitant de la perte de confiance de Graziani.

Et en effet, pour le match d’ouverture contre la Bulgarie, Rossi cède sa place dans l’axe à Spillo, Galderisi tourne autour de lui alors que Conti n’a plus grand-chose du magnifique ailier droit de 1982. Altobelli pourrait en vouloir au vieux technicien pour cette confiance tardive, ces longues années à patienter dans l’ombre. Mais il n’a pas les armes pour affronter la psychologie d’Il Vecchio, ses talents de rhéteur et ses flatteries habiles. Au contraire, Altobelli vénère Bearzot, louant sa fidélité à ses hommes et ses idées, en fût-il victime durant des années.

En Espagne, en 1982.

Le premier tour de Sandro Altobelli est un modèle[4], l’expression d’un joueur dans la force de l’âge dont le beau visage au regard éteint n’exprime plus la crainte et que le mariage a fait mûrir. Mais il est seul dans une équipe fragmentée… La proposition de synthèse entre les anciens et les nouveaux est un échec, les remplaçants expriment leur frustration, refusant de vivre en silence ce qu’avait accepté Altobelli quatre ans plus tôt. Les efforts du bomber de l’Inter sont réduits à néant dès les huitièmes de finale quand l’Italie se rend sans véritablement combattre face à la France. Accablé par l’élimination dans une compétition qu’il imaginait être la sienne, il déclare avant même le retour au pays qu’il est temps pour lui de se retirer, peinant à masquer son incompréhension de la jeune génération.

Azeglio Vicini le convainc de poursuivre l’aventure jusqu’à l’Euro 1988, l’été où il quitte l’Inter, chassé par sa mésentente avec Giovanni Trapattoni. Nerazzurro égaré au pays des Bianconeri, son parcours à la Juventus est sans relief et il finit en pente douce à Brescia, là où il n’a cessé de vivre depuis 1974. A propos de sa carrière, reconnaissant, il déclare : « je dois remercier mes parents. Surtout ma mère et mon père. » Spillo Altobelli aurait pu être dialoguiste de navets érotico-comiques réalisés par Umberto Lenzi ou Antonio Margheriti. Mais puisqu’il a choisi le calcio, plus que son expression orale, il faut retenir son expression corporelle, peut-être la plus belle de tous les grands bombers italiens vus sous le maillot de la Nazionale.


[1] Nul contre la Bulgarie (1-1, but d’Altobelli), nul contre l’Argentine (pénalty d’Altobelli), victoire contre la Corée du Sud (3-2, doublé d’Altobelli).

[2] Il use de la formule « ho gollato », quelque chose comme « j’ai buté » pour dire « j’ai marqué un but ».

[3] Gigantesque affaire de paris clandestins et de matchs truqués.

[4] Outre ses quatre buts, Altobelli frappe un pénalty sur le montant du but coréen et son placement provoque le but contre sans camp de Cho Kwang-Rae.

27 réflexions sur « Personnages de la Coupe du monde 1986 – Alessandro Altobelli, le patient italien (2/6) »

  1. Et beeeeh
    Le combo « bon café bien chaud-Sandro Altobelli » un dimanche matin, à l’aube du mois de décembre et accompagné de cette belle photo de couverture nous rappelant à la douceur et à l’élégance du numéro 18 italien (numéro particulier que, pour l’anecdote, Roberto Baggio portera également, aussi bien sous les couleurs de la Squadra qu’avec le Milan AC)… tout ça dégagerait presque une odeur de cannelle, alors ici facilement de cannelloni et même carrément de « cannoli », ces derniers quittant alors curieusement leur statut de célèbre dessert pour venir, aussi soudainement qu’audacieusement, s’inviter à notre « colazione » improvisée ! « Caramel, bonbons et chocolat » c’est ça ? Exactement ! Et pourquoi pas quelques clémentine pour fignoler le tableau, compléter la scène et embaumer cette ambiance pour le coup quasi apostolique ! C’est sucré, c’est épicurien… c’est un cadeau bien sûr et enfin c’est Noël avant l’heure: c’est Verano !

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    1. Énorme. La France avait dicté un rythme lent ponctué d’accélérations mortelles. Et les Italiens s’étaient empêtrés dans une défense de fer, Bossis étouffant complètement Altobelli. Je n’ai jamais revu les Bleus contre une grosse nation avec une telle maîtrise.

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    2. Dans mes souvenirs c’est le match de 1/8ème le plus disproportionné. Bien plus que les 3-0 et 4-0 des EN-PA ou BR-PL, au terme desquels les vaincus avaient été plus mal payés qu’ils ne le méritaient.

      En Belgique on n’attendait vraiment pas grand-chose de l’Italie après son premier tour. Les medias avaient beau en faire des tonnes, genre « l’affrontement des tenants du titre » : l’affaire semblait pliée..mais qu’elle le soit à ce point?? Le gap était vraiment accablant.

      L’Italie se serait-elle qualifiée pour le Mexique, si elle ne l’avait été d’office? Je crois que la question mérite d’être posée.

      @Verano : tu m’apprends que Rossi était plus jeune qu’Altobelli, ça fait bizarre!

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      1. L’Italie avait raté la qualification pour l’Euro 84, au profit de la Roumanie, après des prestations calamiteuses. Donc oui, on peut se poser la question de sa présence au Mexique sans son statut de tenant.

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  2. Ça donnait quoi la doublette Rummenigge-Altobelli? Je sais que la passage milanais de Rummenigge est décevant mais je me pose des questions sur la pertinence du duo. Rummenigge était plus rapide qu’Altobelli…

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    1. Bof bof. Rummenigge était souvent blessé, le vestiaire était fragmenté et l’Inter a connu quelques unes de ses pires saisons durant cette période. Rummennigge était parti au profit de Scifo, un flop tant le Belge était alors un « petit con » prétentieux. L’année suivante, le Trap avait fait le ménage, Scifo, Altobelli et Passarella avaient été transférés au profit de Brehme, Matthäus et Díaz. Avec Serena en 9 impitoyable, ils avaient mené l’Inter à l’extraordinaire scudetto 1989.

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  3. « On l’imagine déniaisé par les plantureuses et expertes Edwige Fenech ou Gloria Guida, sur une séquence délavée de Malizia Erotica paresseusement composée par Ubaldo Continiello. »

    Du veranesque en plein. Ca me rappelle un passage poisseux de ton article consacré à Dzajic, tiens.

    Concernant ce genre de productions, je ne vois aucun équivalent belge à cette sous-culture surtout italo-..espagnole, si je dis pas de conneries?? Mais ses stars étaient-elles si plantureuses côté espagnol? Des mamas/matrones en Ibérie aussi?

    Et j’y connais rien mais l’impression qu’il n’y avait rien non plus d’équivalent en France (laquelle était plus trash?), peut-être parce que la religion y était moins encombrante, aucune idée. En Italie et Espagne, poids du franquisme, de la démocratie chrétienne.. : ça ne devait pas être rien.

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    1. En Espagne on appelait ça « el destape » (de destaparse, se découvrir) et ça a commencé un peu avant la mort de Franco (1973-74) dans la presse puis le cinéma. Il y avait des actrices espagnoles (María José Cantudo étant la plus connue), mais pas mal d’italiennes (Maria Rosaria Omaggio entre autres), même si la plus connue était une allemande qui se faisait appeler « Nadiuska » (qui après son heure de gloire a mené une existence très tristre, pauvrété, hôpitaux psychiatriques…).

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      1. Première fois que j’entends parler de cette Nadiuska, merci!

        C’est décidément hyper-poreux les cinémas italien et espagnol à l’époque. Western-spaghetti/chorizo, cinéma d’horreur aussi : ça je connaissais. Mais décidément l’érotique aussi, donc? Je le subodorais plus qu’autre chose, leurs films d’horreur avaient en commun d’être très souvent mâtinés de stupre, seins et fesses à l’air.. Quand même fort les mêmes ficelles. Dans leurs films d’horreur, c’est à se demander parfois si l’épouvante n’est pas au fond qu’un prétexte pour pouvoir mettre encore des femmes à poil.

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    2. https://youtu.be/n0pb3eA29iU?si=zBpLspNW2BAA54_8

      J’adore ce morceau so seventies de Continiello…
      Bah en France, on a eu Max Pecas comme roi des navets avec nos « formidables » Jean Lefebvre, Paul Preboist, Henri Guybet… L’actrice qui accompagnait souvent ces productions était Katia Tchenko. Faudrait faire un tour sur nanarland pour se remémorer les autres « cadors » du genre !
      En Espagne, Jess Franco est inégalable. Me souviens plus du nom de la brunette qu’il faisait tourner à poil et qui me semble-t-il était sa compagne.

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      1. Les Max Pecas, oui. Mais c’est du cinoche de charme, des bouts de seins et de fesses.. Y voit-on jamais le moindre tchitchi-badaboum? Remarque : j’ignore le contenu de ces « Destape », peut-être plus soft que je ne l’imagine?? (registre sous-cultures : leur(s) cinéma d’horreur était quand même fort, euh..émoustillant, on va dire)

        Faire tourner sa compagne, lol.. Ca me fait direct penser audit « Pandore », film porno flamand de 70, dans ces eaux-là.. ==> L’acteur principal en est la star mondiale du cyclisme Rik Van Steenberghen!, à vérifier mais je crois qu’il y « honore » l’épouse du réalisateur, même genre de mélange des genres.

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      2. Lina Romay était l’actrice (et compagne) de Jess Franco.
        Après 40 ans de national-catolicisme, l’Espagne était devenu un pays de frustrés (sexuellement et pas que), tout était donc pretexte à montrer des filles à poil (surtout des filles, bien sûr, machisme oblige). Et quelques années avant ce « destape », les espagnols traversaient en masse la frontière pour aller voir à Perpignan « Le dernier tango à Paris » (et pouvoir raconter la scène du beurre).

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  4. De ce match, j’avais surtout été marqué par l’une ou l’autre frappes à distance des Coréens. Mais en le redécouvrant, c’est surtout le premier but d’Altobelli face à la Corée que j’aime bien, belle décontraction.

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      1. Après, mise à part ce match, les confrontations avec les Coréens ont toujours été compliquées. Me souviens bien avoir veillé avec lon frangin pour voir celui de 94.
        Cañizares qui remplace Zubi et fait des miracles. Une avance de deux buts avant la remontée coréenne.
        Sans parler de 2002 evidemment…

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      2. Michel était un très bon joueur mais qui a souvent eu son lot de détracteurs. Une attitude un peu frimeuse certainement.

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      3. Pareil, un sale genre (juste un genre?) de grande gueule. Mais pour le reste, quel tueur!!

        A l’époque c’était mon chouchou au Real, probablement parce que, jeune, on a tendance à focaliser sur ceux qui prennent le plus de place (coucou les boomers avec Cruyff!)? Puis, quand Scifo et Martin Vazquez se retrouvèrent au Torino : focalisé sur Vazquez qui, quoique pas tout à fait abouti à Turin, me sembla (enfin..) être l’air de rien un joueur plus fin et accompli que Michel..

        Et avec le temps, rétrospectivement c’est fin des fins Butragueno qui emporta sans conteste mes suffrages..alors qu’en live j’accrochais pas totalement, en tout cas moins qu’au plus démonstratif Michel.

        Comme quoi ça évolue, sans doute.

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  5. Heureusement pour Vicini qu’il est resté, c’est lui qui a qualifié la squadra pour l’Allemagne en 88.

    Je me souviens de la une du Guerin titrant « Avec ce but Spillo nous offre l’Europe » après Portugal-Italie

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    1. Gracias Bison. Un article débutant par une référence à Manuel Vázquez Montalbán, je ne peux que le lire avec intérêt. Et quand il y figure le mot sybaritisme, encore plus 🙂
      Je trouve intéressant que la journaliste regarde ces films avec les yeux de l’époque et non ceux d’aujourd’hui. Il serait si facile de s’offusquer de tout ce qui n’est pas conforme à la bien-pensance actuelle en oubliant que ces films heurtaient la bien-pensance de la fin de l’ère franquiste.

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