Pautas & Táticas, chaîne d'analyses tactiques brésiliennes nous parle de la Seleção

Pautas & Táticas : « La Suisse est l’adversaire le plus fort de notre groupe »

Nícholas Franco, vidéaste animant Pautas & Táticas, chaîne Youtube brésilienne spécialisée dans les analyses tactiques, revient sur ce premier match de Coupe du monde 2022 de la Seleção contre la Serbie et nous en dit plus sur l’équipe de Tite.

Le Brésil a gagné son premier match de la compétition contre la Serbie. Qu’est-ce que tu attendais de la Seleção pour cette entrée en matière ?

Je m’attendais à un match difficile, mais contrairement à la majorité des observateurs, je ne pensais pas que la Serbie est l’adversaire le plus fort du groupe. Pour moi c’est plutôt la Suisse que nous affrontons aujourd’hui. C’est une équipe qui défend mieux, et qui a des joueurs plus expérimentés comme Xhaka ou Shaqiri.
La Serbie a de bons attaquants, il y a par exemple Mitrović, mais c’est un joueur qui dépend beaucoup du collectif. Avec lui Milinković-Savić est plutôt un joueur de construction que de finition, et Vlahović était sur le banc.
J’espérais que le Brésil montrerait une plus grande domination. La Serbie est une équipe qui aime attaquer, et qui laisse donc plus d’espaces. C’est d’ailleurs pour ça que Tite a voulu renforcer son système offensif en mettant Fred sur le banc, et en replaçant Lucas Paquetá au cœur du jeu plutôt que sur l’aile gauche où il a fait rentrer Vinícius Jr. Ce fut une excellente adaptation de sa part car les principales zones pour avancer ont été les ailes avec Raphinha et Vinícius, et c’est par ces circuits que l’on s’est créé les meilleures occasions. Le premier but de Richarlison vient suite à une frappe de Vinícius, et c’est lui qui centre pour le second but.

Cette blessure de Neymar doit bouleverser les plans du sélectionneur Tite, comment penses-tu qu’il va faire évoluer l’équipe ? Est-ce que tu l’imagines faire un changement poste pour poste et demander à un autre joueur d’assumer le rôle de meneur de jeu ?

On ne sait pas encore quels vont être les choix de Tite pour remplacer Neymar, ni même Danilo qui s’est aussi blessé durant ce premier match. Les nouvelles semblent dire qu’à la place de Neymar, on pourrait retrouver Paquetá dont c’était le poste originel, même s’il ne l’a presque jamais fait avec l’équipe nationale. Et Fred réintégrerait le onze, aux côtés de Casemiro.
Le 4-1-4-1 en phase défensive que l’on a pu observer durant ce match est une option inédite que l’on n’avait pas vu avec cette sélection avant ce match contre la Serbie. Normalement, l’équipe défend en 4-4-2 avec Neymar qui reste sur la ligne d’attaque avec Richarlison. Sauf que comme durant ce match Neymar avait Paquetá à ses côtés dans ce rôle de second central sur une ligne de quatre, il a opté pour que Casemiro s’intercale entre la ligne du milieu et celle de défense.
Si jamais Tite souhaite maintenir ce système avec un joueur pour reprendre le rôle de Neymar, le joueur idoine serait Rodrygo. Mais je doute que ce soit ce qu’il fasse, d’autant plus que voir Fred commencer sur le banc fut une surprise car il était depuis longtemps un titulaire de l’équipe. Donc je crois aussi que Paquetá jouera meneur de jeu, et que Fred reprendra sa place de milieu défensif.

Quant au poste de latéral droit, il se dit que ça pourrait être Militão. Pour jouer un rôle d’arrière latéral classique, je pense que ce serait une bonne option. Mais ce n’est pas ce que l’on a vu durant le premier match. Si l’on a vu Alex Sandro à gauche jouer ce rôle habituel, Danilo rentrait plus à l’intérieur pour aider Casemiro à la construction. Et pour jouer ce rôle plus technique, le joueur qui a le meilleur profil est Dani Alves, qui est le second latéral droit que Tite a choisi d’emmener dans le groupe malgré les polémiques.
Et au-delà des considérations tactiques, ne pas choisir Dani Alves serait montrer un manque de confiance en lui, qui est un vétéran expérimenté, un compétiteur, et un joueur important dans le groupe.

Donc nous allons voir s’il choisit plutôt Militão ou Dani Alves, et Fred ou Rodrygo.

Nícholas Franco, de Pautas & Táticas

Puisque tu évoques cette sélection de Dani Alves qui fit polémique, que penses-tu de l’autre polémique de cette sélection qui est l’absence de joueurs du championnat brésilien ? Des joueurs tels que Rodinei (Flamengo) ou Marcos Rocha (Palmeiras) auraient pu être à la place de Dani Alves. De même, on a pu lire des critiques se plaindre de l’absence de joueurs comme Gustavo Scarpa (Palmeiras), Renato Augusto (Corinthians) ou Gabigol (Flamengo) ; certains rappelant les nombreux joueurs du championnat dans la dernière campagne victorieuse en 2002 (Kléberson, Vampeta, Juninho Paulista, Gilberto Silva, Edílson, …).

Je pense que cette opinion vient de deux raisons. Déjà, une partie des supporters ne suit pas le foot européen et veut se sentir représentée en sélection par des joueurs de son club ; et certains n’acceptent pas que les meilleurs joueurs brésiliens jouent en Europe. Malheureusement notre championnat n’a pas la puissance économique suffisante pour garder ses principaux talents.
Concernant Dani Alves, ce n’est pas qu’il soit l’un des principaux talents aujourd’hui, mais cela traduit plutôt une carence à ce poste. J’aimerais voir un joueur comme Marcos Rocha, par exemple, être convoqué et testé en équipe nationale. Mais ça n’a jamais été une option pour Tite. Il avait comme troisième choix Emerson Royal de Tottenham, qui évolue à un niveau plus compétitif en Angleterre. Quand il a commencé à ne plus convoquer Emerson Royal, il a cherché une solution interne avec Militão et a préféré sélectionner des joueurs à d’autres postes. Il a aussi cité Fabinho qui avait commencé sa carrière à ce poste.

Quant à d’autres joueurs locaux comme Raphael Veiga, Hulk, Renato Augusto, Gabigol ou Gustavo Scarpa, je ne crois pas qu’il existe de besoins dans l’équipe actuelle. Il y a déjà d’excellents joueurs à ces postes. Donc, c’est plus un désir du peuple brésilien. Il existe une mémoire affective d’une époque où l’équipe brésilienne était entièrement composée de joueurs qui jouaient au pays. Nous ressentons une saudade de cette époque qui pousse certains à critiquer le modèle actuel où les principaux joueurs ne jouent plus ici, et vont à l’étranger. Certains d’entre-eux ont eu une opportunité, particulièrement Gabigol. Mais un problème d’inadaptation tactique l’a fait perdre sa place. Il a été appelé, a eu du temps de jeu, a été titulaire mais il n’a pas réussi à montrer les mêmes qualités qu’en club. Il faut dire qu’en sélection, il ne peut pas être un joueur clé autour duquel l’équipe est tournée comme c’est le cas à Flamengo. Et hors de ce contexte il n’a pas su montrer ses qualités, il a besoin d’un contexte spécifique pour jouer son football, et ce n’est pas de cette manière que joue la sélection.

Et puis il y a un paradoxe à mes yeux. Beaucoup critiquent le fait que le Brésil n’a pas joué d’équipes européennes durant ces derniers temps, et se plaignent que la grande majorité des joueurs de la Seleção évoluent en Europe. Pourtant ces joueurs sont de fait habitués au plus haut niveau de compétitivité, contrairement à nos joueurs évoluant seulement en Amérique du Sud. Nos meilleures équipes n’ont plus le niveau des meilleurs clubs européens, et nos sélections sud-américaines non plus. De nos jours, ce sont les grandes équipes de Ligue des Champions qui jouent au plus haut niveau de compétitivité. Elles sont d’un bien meilleur niveau que la plupart des équipes de cette Coupe du monde.
Donc pour moi, ces critiques n’existent que pour des raisons sentimentales, mais ne sont pas logiques sportivement puisque la plupart des brésiliens d’Europe sont habitués à affronter ce qu’il se fait de mieux, contrairement aux joueurs de notre championnat.

Revenons à la compétition actuelle. Aujourd’hui le Brésil affronte la Suisse, que tu considères comme ladversaire le plus compliqué de cette phase de groupe. Quelles difficultés penses-tu que cette équipe suisse puisse poser au Brésil ?

Principalement des difficultés face à leur bloc défensif. C’est une équipe qui se distingue beaucoup par sa défense, et a en Yann Sommer un excellent gardien. Ils ont d’ailleurs éliminé la France en les poussant aux tirs au but au cours du dernier Euro, et ont envoyé l’Italie en barrage pour cette Coupe du monde.
Ils peuvent faire perdre sa patience au Brésil en bloquant les pénétrations, et en réussissant à ne pas être déstabilisés par les mouvements et redoublements de passes des Brésiliens qui ouvrent habituellement beaucoup d’espaces et perturbent les différents blocs. Et il est clair qu’en ayant la capacité à nous attirer sur leur bloc bas, ils ouvriront des espaces qui nous fragiliseront et nous exposeront à leurs contre-attaques. Ainsi, si nous ne marquons par rapidement, notre équipe pourrait devenir anxieuse, perdre sa créativité et s’exposer à un but.

Et au-delà de cette phase de groupe, qu’est-ce que tu imagines ? Y-a-t’il des adversaires que tu redoutes pour la Seleção ?

Je ne dirais pas que j’ai peur d’une autre équipe parce que notre sélection a les ressources pour faire face à tous nos concurrents. Je pense que nous avons la meilleure équipe et le meilleur effectif de cette compétition. On sait d’ailleurs que nos adversaires nous estiment, et pas seulement pour des raisons historiques, mais aussi car en ce moment beaucoup de nos joueurs sont importants dans de très bons clubs européens. Dans une vidéo faite pour la chaîne je nous avais d’ailleurs estimé comme le principal favori de cette compétition, devant la France.
La France me semble être notre principal adversaire. Ce serait une finale de rêve que l’on veut tous voir, contre l’actuel champion du monde, qui est aussi notre bête noire en Coupe du monde, et contre qui il y a donc une rivalité récente. Ce serait aussi la confrontation de deux coéquipiers qui semblent vivre une rivalité personnelle pour être le leader de leur club, le Paris Saint-Germain, avec Neymar et Kylian Mbappé. Malgré toutes les absences dont souffre la France, elle maintient un excellent niveau, et c’est d’ailleurs jusqu’à maintenant la seule équipe à avoir gagné ses deux premiers matchs durant cette édition de la Coupe du monde.
Je n’oublie pas non plus l’Argentine qui a beaucoup de potentiel malgré un mauvais départ et une perte importante (Lo Celso, ndlr) qui a conduit Scaloni à faire évoluer ses plans tactiques. Également l’Allemagne qui a mal commencé mais s’est reprise en faisant un très bon match contre l’Espagne hier. Il y a aussi les Pays-Bas qui étaient sans doute la meilleure équipe européenne avant la Coupe du monde, durant la Ligue des Nations et les qualifications.
Il y a évidemment de grandes attentes autour de l’Espagne qui a bien commencé mais je trouve cette équipe très inexpérimentée. En dehors de Busquets et Alba, la plupart des joueurs ont peu de références. Quant au Portugal et à l’Angleterre, même s’ils ont de grands effectifs, leurs entraineurs ne paraissent pas savoir en tirer le meilleur.

Il y a beaucoup d’attentes envers de nombreuses sélections mais notre principal adversaire reste la France, et je nous vois comme le grand favori pour gagner cette Coupe du monde.

Pautas & Táticas

25 réflexions sur « Pautas & Táticas : « La Suisse est l’adversaire le plus fort de notre groupe » »

  1. Merci à Nicholas pour cette interview. C’est vrai que l’absence de Gabilol pouvait interpeller. J’ai un faible pour Rodrygo et je trouve qu’en dynamiteur, il ose et est excellent.
    Kaka faisait aussi parti du groupe 2002 en tant que joueur de Sao Paulo.
    Merci les gars!

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  2. C’est clair merci pour cette interview d’un brésilien qui est au fait des forces en présence, c’est vrai que ce serait une finale de rêve France Brésil (je sais pas s’ils peuvent se retrouver en finale), espérons donc qu’elle n’aura pas lieu et que le Qatar ne bénéficiera pas de cette aura 😅

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      1. Il était un excellent golfeur (on peut le voir dans un numéro de »Amanda »). Sinon la danse c’est pas du sport ?
        ll possédait plusieurs chevaux de courses également.

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      2. Évidemment que c’est du sport. Si Astaire vivait, il irait chercher une médaille d’or en break danse à Paris!

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  3. Très belle interview, bravo et merci.

    Impressionnant, aussi, le timing dans lequel tu es parvenu à proposer ceci (je vois que vous avez évoqué le tout frais Allemagne-Espagne), fortiche Cebolinha!

    Et je trouve sain que bonne part du public brésilien ne se résigne pas à une sous-représentativité de leurs joueurs locaux, peut-être une raison d’espérer pour la diversité que je souhaite au football mondial.

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    1. Il faut surtout remercier Modrobily qui l’a publié tôt ce matin alors que j’ai terminé l’article dans la nuit pour vous en Europe. Il a même pris le temps de faire quelques corrections.

      Je suis d’accord avec toi, et d’ailleurs je ne souscris par complètement aux propos de Nícholas, car je pense qu’il peut aussi être important d’avoir l’expérience de matchs à fort enjeu pour une compétition comme la Coupe du Monde. Quand je vois des joueurs qui ont disputé plusieurs finales de Libertadores, ils ont pour moi quelque chose que n’ont pas des joueurs comme Raphinha par exemple, qui n’a jamais été protagoniste d’un tel match.

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  4. « Évidemment que c’est du sport. Si Astaire vivait, il irait chercher une médaille d’or en break danse à Paris! »

    Il existe des championnats du monde et/ou des grandes compétitions de claquettes, de boogie-woogie, de lindy hop, de break dance, de rock acrobatique, de charleston, de danses de salon, etc..

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    1. Me fait penser pour l’instant au Brésil de la phase de poule 1990
      Ça passe , ça gagne mais pas de grandes envolées
      La suisse trop timorée , toujours le même schéma on attend derrière , très bien organisée deux lignes et 2 devant mais pas exceptionnel
      Neymar manque et pour l’instant Tiago Silva et Marquinhos tiennent la baraque derrière
      Casimero encore indispensable aujourd’hui

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