Union Sportive Quevillaise, droit au but

Finaliste de la Coupe de France en 1927 et en 2012, demi-finaliste en 1942 et en 1968, l’Union Sportive Quevillaise (USQ) peut à bon droit revendiquer le titre de « meilleur club amateur français du XXe siècle ». Faisant le choix – au contraire de ses rivaux régionaux du FC Rouen et du Havre AC – de ne pas basculer dans le professionnalisme en 1932, le club de la banlieue rouennaise s’est en effet imposé comme une place forte de l’amateurisme : champion de France amateur en 1954, 1955, 1958 et 1967, l’USQ voit aussi un de ses membres (Daniel Horlaville) être sélectionné en équipe de France en 1969. Il faut rappeler que, dans les années 1950-1960, le football amateur est encore de grande qualité et largement médiatisé. Ce n’est finalement qu’en 2017 que le club normand opte pour le professionnalisme.

L’USQ naît le 22 octobre 1902, la même année que le Real Madrid. Ce n’est cependant qu’à partir des années 1920 qu’il prend véritablement son envol, sous la présidence d’Amable Lozai. Cofondateur du club, patron des chantiers navals Lozai, maire de Petit-Quevilly de 1925 à 1944, celui-ci fut surtout le président emblématique des Canaris de 1920 à 1959. Sous sa direction se structure un authentique club-entreprise. Inauguré en 1912, le terrain de la Porte de Diane est pourvu de tribunes et de vestiaires en 1921, devenant ainsi un véritable stade. Mais surtout, Lozai se lance dans « l’amateurisme marron » : sous couvert d’emplois dans son entreprise, de bons joueurs rejoignent Petit-Quevilly. Bien que dominé en championnat régional, l’USQ va alors vivre sa plus belle aventure lors de la Coupe de France 1926-1927.

Essentiellement formée de joueurs du cru, l’équipe normande compte aussi sur le renfort des Britanniques Walter Puddefoot (gardien de but) et Norman Deans (attaquant), et surtout sur le demi-centre Philippe Bonnardel. Né à Paris, Bonnardel est le capitaine et le véritable stratège des Jaunes et Noirs. Sélectionné plus de 20 fois en équipe de France – notamment lors des Jeux de 1924 –, vainqueur de la Coupe de France en 1921, 1922 et 1923, Bonnardel a quitté en 1925 le Red Star pour un emploi de complaisance chez Lozai. A l’instar de Puddefoot, chauffeur personnel du patron, Bonnardel est officiellement ingénieur. En réalité, c’est un joueur de football rémunéré.

L’équipe de Quevilly, avant la finale de la Coupe de France 1926-1927 contre Marseille.

Pratiquant un football fruste et direct, l’USQ va droit au but. « Quevilly est une équipe lourde, athlétique, d’un souffle inépuisable et d’un grand cœur », note Gabriel Hanot dans Le Miroir des sports du 26 avril 1927. « En football pur, le « onze » de Bonnardel n’a rien de transcendant ; mais en énergie il ne le cède à aucun club de France. » Pour leur entrée en lice, les Canaris sont affrontés au petit club nordiste de Bully-les-Mines. Celui-ci a créé la sensation lors du tour précédent, en éliminant sur son terrain (3-2) le grand Red Star Olympique de Paul Nicolas et Orestes Diaz. Bonnardel réussit donc à venger ses anciens coéquipiers, puisque Quevilly s’impose 1-0 le 5 décembre 1926 à Dieppe.

Le match suivant oppose à nouveau l’USQ à un club de la Ligue du Nord : l’Amiens AC. C’est alors une très forte équipe, considéré comme un des favoris de la compétition. S’appuyant sur le colosse Urbain Wallet en défense, le club de la Somme est en tête du championnat du Nord qu’il gagne finalement quelques mois plus tard. Il finit aussi, en mai 1927, à la deuxième place du championnat de France. Bref, c’est une des meilleures équipes de France que l’USQ accueille dans son stade le 9 janvier 1927. Devant près de 8 000 spectateurs, les Quevillais s’imposent 2-0. Si « toute l’équipe est à féliciter », note L’Auto du lendemain, « Bonnardel fut le pilier du « team » ». Le Parisien est en effet à l’origine des deux buts, à chaque fois décalant l’ailier Willig qui centre pour l’avant-centre Fagris ou pour l’intérieur Deans.

En huitièmes de finale, l’USQ croise la route de son grand rival : le FC Rouen. Alors en tête du championnat de Normandie, qu’il gagne finalement, le FC Rouen a atteint la finale de la Coupe de France en 1925. Dans son stade des Bruyères, il est pourtant vaincu sans coup férir par deux buts de Fagris. En quarts de finale, les Quevillais défient l’US Suisse (de la ligue de Paris) à Lille. Pourtant dominés, les Quevillais s’imposent 4-1 en prolongation grâce à… un quadruplé de Fagris !

La demi-finale envoie les Normands à Marseille où, devant 12 000 spectateurs, ils tiennent en échec (1-1) le Stade Raphaëlois du Hongrois (et futur international français) Joseph Kaucsar. Le but marqué par les Canaris est un modèle de leur style direct : « Bien servi, l’ailier droit des Canaris déplace de volée sur son compère de gauche ; ce dernier centre impeccablement, et Fagris, de très près, marque d’un superbe heading. » Malgré ce but, malgré la prolongation, il faut rejouer le match. C’est chose faite, trois semaines plus tard, au stade Buffalo de Montrouge. Le mauvais état de la pelouse et un vent violent ne permettent pas un spectacle de qualité. Dominés pendant près de 90 minutes, les Quevillais prennent l’avantage pendant la prolongation sur des Méridionaux épuisés. Leur puissance athlétique fait la différence et ils parviennent ainsi à s’imposer grâce à un but sur corner.

Une fois de plus, le match a mis en lumière le rôle de Philippe Bonnardel : « Le modeste « Phi-Phi » est l’un des très rares capitaines d’équipe qui comprenne son rôle. Il commande vraiment. Mille traits l’indiquent. Par exemple, lorsqu’il gagna le tirage au sort du camp, il ne tourna pas plusieurs fois sur lui-même pour chercher et il n’appela personne à la rescousse. Il choisit immédiatement le camp adossé au vent et au soleil. Pendant le match, Bonnardel indiqua à chacun de ses partenaires sa mission, la place à occuper, l’opération à tenter, la passe à exécuter. Les coups francs en faveur de Quevilly, il alla jusqu’à les botter lui-même, en dépit d’un shot que l’on appelle « avec un bas de laine vide », et au mépris du botté plus fort de l’arrière Demeilliez. Bonnardel a perdu, depuis  son entrée à Quevilly, la finesse de son jeu ; en revanche, il a considérablement gagné en autorité et en clairvoyance » (Le Miroir des sports, 26 avril 1927).

Le président de la République Gaston Doumergue salue les joueurs de l’USQ avant le début de la finale de Coupe de France, le 8 mai 1927.

La route de Colombes est donc ouverte, où l’USQ va retrouver le grand Olympique de Marseille qui l’avait sèchement battu (4-0) en huitième de finale de la Coupe de France 1925-1926. L’OM est alors à l’apogée puisqu’il vient d’être sacré champion du Sud-Est (pour la première fois, après sept ans de domination du FC Cette – le nom original du FC Sète) et qu’il va terminer troisième du championnat de France. Vainqueurs de la Coupe de France en 1924 et en 1926, les Olympiens espèrent remporter une troisième fois le plus prestigieux trophée du football hexagonal. Pour ce faire, ils peuvent compter sur leur ligne d’avants où brillent tout particulièrement Jules Devaquez, Jean Boyer et Edouard Crut, trois Franciliens débauchés à prix d’or.

Le dimanche 8 mai 1927, devant près de 25 000 spectateurs et en présence (pour la première fois) du président de la République, les Quevillais subissent la loi des Marseillais (0-3). Dans ce « choc entre l’élan spontané et la course réfléchie, entre l’impulsion et le jeu organisé, entre la bonne volonté pure et simple et la qualité », les Normands ne déméritent pourtant pas. Ils dominent même les Méridionaux pendant 20-30 minutes et sont près d’ouvrir la marque. Mais deux erreurs, de Bonnardel puis de Puddefoot, permettent aux Olympiens de rentrer aux vestiaires avec une avance de deux buts. En deuxième mi-temps, malgré les encouragements constants du public, les Normands sont écrasés et Bonnardel est submergé par les offensives marseillaises. Un dernier but en fin de partie, signé Devaquez, clôture la marque.

Littérature

– André Boëda, Union Sportive Quevillaise : un siècle de football (1902-2002), Editions Bertout, Luneray, 2002.

11 réflexions sur « Union Sportive Quevillaise, droit au but »

  1. Merci pour ce petit cours d’histoire !
    Je trouve quand même dommage que ce club ait renoncé à son identité…
    Si j’ai bien compris, il n’y a plus de lien aujourd’hui avec le FC Rouen. Alors pourquoi ne pas retrouver les couleurs jaunes et noires ? Pourquoi ne pas retrouver le nom de US Quevilly ?

    Nan parce que « Quevilly Rouen Métropole »… Qui est le marketeux qui a trouvé ce blaze tout claqué ? Comment tu veux créer de l’engouement, que les gens s’identifient à un club avec un nom pareil ?

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    1. Dans le rugby, l’idée d’unir Bayonne et Biarritz est présente chez certains. Afin de lutter économiquement face aux grosses villes de plus en plus présentes en Top 14. Pour le moment, il y a plus de résistance que d’adhésion mais je ne sais pas s’ils tiendront longtemps…

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  2. Puddefoot !? Heureusement que l’OM les a ramenés à la raison, comment imaginer un vainqueur de CdF avec un nom pareil ?
    Je viens de voir que Wikipédia écrit son nom Poodefoot, Walter Poodefoot.

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  3. Merci Bobby pour ce super sujet !
    Quevilly, c’est tout ce que j’aime dans le foot: l’insoupçonnable, l’art de la surprise, le côté David contre Goliath, les compétitions à élimination directe etc
    Club symbole, celui-ci indéboulonnable bien sûr, de l’une (si ce n’est LA) des plus belles compétition au monde: la Coupe de France.
    Franchement merci Bobby, un vrai coup de fraîcheur !

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    1. Pareil, profiter de la pluie normande pour découvrir les articles passés.

      J’aime bien des figures telles ce Puddefoot épinglé plus haut.. : partout quasi-inconnu au bataillon..surtout chez les Anglais, ben..?? C’est stimulant mais désespérant, ça donne envie de « ressusciter » ce type.

      Je lis tout au plus, chez les Anglais, que Quevilly transféra alors 6-7 Anglais, pour eux une première. Que les joueurs durent porter un haut de forme pour saluer Doumergue après-match?? Lu en diagonale entre deux averses.

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