Le destin contrarié d’El Pelado Viberti

Le parcours d’un joueur qui aurait pu être le Fernando Redondo du Real Madrid des années 1970.

Le 13 août 1971 débute le traditionnel Trofeo Costa del Sol à Málaga. Chaque été depuis 10 ans, le stade de la Rosaleda accueille de prestigieux invités venus peaufiner leur préparation et accessoirement arrondir leur fin de mois[1]. Pour cette édition, les organisateurs proposent un plateau remarquable : Valencia CF, champion d’Espagne sous l’autorité d’Alfredo Di Stéfano, Panathinaïkos, entraîné par Ferenc Puskás et finaliste de la Coupe d’Europe des clubs champions, l’Etoile rouge de Belgrade, demi-finaliste de cette même épreuve avec son artiste Dragan Džajić. L’hôte, le Club Deportivo Málaga, fait figure de petit Poucet malgré la présence de son maître à jouer Sebastián Viberti qu’un dessinateur averti a choisi pour illustrer l’affiche du tournoi.

El Pelado Viberti

Sebastián Viberti est un cinco venu de Huracán fin 1969. Athlétique, séduisant, charismatique, ces atouts flatteurs ne suffisent pas à provoquer l’enthousiasme quand il arrive en Espagne. Certes, Málaga, club de Segunda División, s’offre contre quatre millions de pesetas un international argentin[2] mais il ne correspond en rien au profil recherché par le nouvel entraîneur, le Hongrois Jenő Kálmár.

Viberti en 1962, à l’extrême gauche, avec San Lorenzo de Córdoba, sa ville natale. Il a 18 ans.

Si les Blanquiazules flirtent avec la zone de relégation, c’est parce qu’ils manquent cruellement de vitesse et de combativité. La vision de ce grand milieu de terrain n’incite pas à l’optimisme et beaucoup ne voient en lui qu’un de ces innombrables Sud-américains appâtés par les petits clubs espagnols, désespérément lents et dont la principale qualité est la modicité de leurs exigences salariales. Comme si cela ne suffisait pas, El Flaco Viberti se présente au premier rassemblement sans chaussures et évidemment, le magasinier du club n’a pas de pointure 46 disponible.

Très rapidement, Viberti se charge de lever les doutes le concernant. Pour ses débuts à la Rosaleda, Málaga écrase l’Espanyol 5-0, premier match d’une longue série d’invincibilité portant les Andalous en Liga. Depuis une position basse, il dirige le jeu avec une tranquille assurance, à son rythme. S’il est effectivement lent, on dirait aujourd’hui de lui, toutes proportions gardées, qu’il a le profil d’un box-to-box. D’ailleurs, plus tard, quand le jeune Fernando Redondo apparaît sur la scène footballistique, c’est à Viberti que des portraitistes le comparent.

Fito Vilanova et Pelado Viberti. La classe à Málaga.

S’ouvre alors le Quinquenio de oro malaguista, cinq saisons consécutives en Liga marquées par l’empreinte du maestro Viberti et de son ami Fito Vilanova, ex-Huracán lui aussi. En toute logique, El Pelado Viberti est l’objet de convoitises et fin juillet 1971, son transfert au Real Madrid est pratiquement acquis. Pourtant, deux semaines plus tard, il est toujours à Málaga pour disputer le Trofeo Costa del Sol.

La mort du président

Au centre du projet malaguista se trouve le président Antonio Rodríguez López, un Galicien issu d’un milieu modeste ayant débuté en tant que soudeur au début des années 1950. Son parcours professionnel le mène au Pays basque puis en France avant un retour en Espagne. Il se lance, on ne sait trop comment, dans la construction de résidences hôtelières sur la Costa del Sol et à Gibraltar, formidable paradis fiscal et accélérateur de fortune pour investisseurs sans scrupules, du moins jusqu’à ce que Franco ne siffle la fin des réjouissances en fermant la frontière terrestre en 1968[3].

Signature du contrat avec le président Rodríguez López.

Quand Rodríguez López prend la présidence du CD Málaga en 1969, il n’a que 36 ans, roule en Ferrari et offre de somptueux cadeaux à ceux qui l’entourent[4]. Sa prodigalité est une bénédiction pour les Blanquiazules et c’est évidemment grâce à Rodríguez López qu’arrivent Viberti ou l’excellent gardien basque Deusto. Personne n’est dupe sur l’origine du patrimoine présidentiel mais puisqu’il fait rêver les aficionados

L’assassinat de Rodríguez López intervient le 31 juillet 1971, au moment même où le directeur sportif de Málaga se trouve à Madrid pour négocier la cession de Viberti au Real. Deux hommes de main le poignardent devant son domicile et s’il parvient à tuer l’un d’eux avec le revolver qui ne le quitte jamais, il succombe à ses blessures. Il est hautement probable qu’il s’agisse d’un règlement de comptes en lien avec une tentative d’extorsion ou une dette non remboursée mais l’enquête, bâclée, ne permet pas d’identifier les commanditaires, rien ne devant assombrir durablement la saison touristique. Une foule considérable se presse aux obsèques de Rodríguez López dont le cercueil est porté par des joueurs blanquiazules au premier rang desquels se trouve Sebastián Viberti.

L’issue du tournoi

La disparition brutale du président met fin aux tractations entre Málaga et le Real Madrid à propos de Viberti. Avec l’Argentin en tête d’affiche, le Trofeo Costa del Sol s’ouvre dans la tristesse, sentiment à peine atténué par la victoire des locaux contre le Pana de Puskás. Deux jours plus tard, pour la fête de l’Assomption, le CD Málaga s’impose contre l’Etoile rouge[5] et remporte le tournoi pour la seconde fois de l’histoire. 

Avec El Ratón Ayala de l’Atlético et l’ami Vilanova. 

L’opportunité de signer au Real Madrid ne se présente plus, alors Viberti prolonge l’expérience en Andalousie jusqu’en 1974 et est définitivement associé au Quinquenio de oro au cours duquel le CD Málaga obtient deux septièmes places, ses meilleurs classements avant le début des années 2010 sous l’appellation Málaga CF. En désaccord avec l’entraîneur Marcel Domingo, il se laisse séduire par les pesetas du Nàstic de Tarragona en Segunda División, son transfert pesant 20% du budget du club. Mal entouré, empêtré dans un football physique, il déçoit et ne parvient pas à empêcher la relégation des Catalans. Le joueur Viberti conclut son aventure espagnole sur cet échec.

Jeune coach, il revient à Málaga début 1978 pour sauver le club d’une relégation en Tercera División puis ramène les blanquiazules en Liga, un coup de maître sans prolongement puisqu’ils terminent derniers la saison suivante, point final à son histoire d’amour avec Málaga.

L’afición et les autorités locales ne l’oublient pas et un hommage lui est rendu en 2007. Il assiste à cette occasion à l’inauguration d’un rond-point portant son nom à proximité de la Rosaleda et entend le discours du maire de la ville, « Málaga et Viberti, Viberti et Málaga sont deux concepts et deux termes indissociables. » El Flaco meurt d’une crise cardiaque le 24 novembre 2012. Ce soir-là, Málaga reçoit Valencia. A l’annonce de sa mort, le public se lève pour scander son nom. Exactement comme il l’avait fait en novembre 1969 après ses débuts tonitruants dans ce même lieu.


[1] En 1967, le tournoi accueille le Santos de Pelé et une sélection argentine au sein de laquelle se trouvent Onega, Albrecht ou encore Doval.

[2] Il compte quelques sélections, notamment durant la Copa América de 1967.

[3] L’Espagne considère Gibraltar comme une colonie britannique et entend y mettre fin. Le référendum d’autodétermination organisé par les Britanniques est un plébiscite des Gibraltariens en faveur de leur rattachement à la Grande-Bretagne, ce qui conduit Franco à isoler le bout de terre, et ce jusqu’en 1985.

[4] Il offre par exemple une Matra à un médecin l’ayant guéri d’un ulcère.

[5] Victoire sur le fil 2-1 grâce à un doublé de Julián Roldán.

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21 réflexions sur « Le destin contrarié d’El Pelado Viberti »

  1. Alfredo di Stefano, Ferenc Puskas … C’est un appel à Fred Astaire ? ^^
    Sinon, pour le point 3 … Gibraltar est marocain
    En effet, la ville prend son nom de l’arabe Jabal Tarek (le mont de Tarek)
    Je plaisante

    Enfin, Redondo, diable, quel joueur …

    Merci pour la découverte de ce Viberti, Verano

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    1. Il y a en effet quelques photos traduisant bien l’époque. Celle sur laquelle Viberti et Villanova sont dans les rues de Málaga, c’est Zorro et Bernardo, porteur du costume de son maître eh eh

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  2. Lancer un récit en citant Redondo… forcément, ça fait facilement s’envoler l’article vers cette planète préservée, ou plutôt perdue… Disparue peut-être ? Celle peuplée de poètes que notre ami Verano fait sans cesse réapparaître !

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  3. Merci Verano.
    C’est tout à ton honneur de ne pas dire que l’édition 1967 du Ciudad de Malaga a été gagnée par l’Espanyol!
    Viberti, c’est peut-être le joueur le plus charismatique de Malaga.

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  4. Hello, merci et bravo, Verano.

    Question : par quel abracadabrantisme Viberti put-il jouer en Espagne, scène alors fermée aux étrangers?

    Intégrer la short-list de Bernabeu, c’était pas donné à tout le monde.

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    1. Ah ah, il suffit de prouver une ascendance espagnole pour avoir un passeport espagnol. Son nom évoque l’Italie mais il suffit qu’un de ses deux parents ou un grand parent soit Espagnol pour obtenir le précieux sésame. C’est pour ça que malgré la fermeture de la Liga aux étrangers en 1962, les Sud-américains continuent d’affluer en Espagne. Avec tous les abus que l’on peut imaginer dans des pays où les administrations sont totalement corrompues. Le Paraguay de Stroessner est le spécialiste des faux passeports avec des histoires invraisemblables en la matière (j’avais fait un post que je pourrai retravailler un peu pour en faire un article). Ça va loin, ces conneries, puisque le Valencian Oscar Valdez, Argentin, est sélectionné en équipe d’Espagne sur la foi d’un faux passeport. Le scandale éclate et il se retrouve devant les tribunaux, échappant de peu à une peine de prison ferme.

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      1. Oui, j’ai souvenir de ton commentaire.

        De mémoire, l’un des motifs à la réouverture aux joueurs étrangers avait précisément tenu au grand n’importe quoi que c’était devenu, non?

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      2. Oui plus grosse pression des clubs qui ne gagnent plus rien en Europe. Le Barça avait tenté un bras de fer contre les règles en recrutant le Brésilien Silva Batuta en 67. Samaranch, qui occupait un poste de secrétaire des sports ou un équivalent, n’a jamais flanché et Batuta est reparti au bout d’un an sans jouer. Les scandales des faux passeports éclatent en 73 je crois, l’année où rouvrent les frontières.

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      3. Hola Verano

        Une question/remarque sur ces cas , est-ce que c’est le fait qu’avant les grands parents on a pas de traces ? Parceque sinon 90% des Argentins blancs (vu que les Amérindiens ont pratiquement tous été massacrés) qui étaient là avant l’arrivée massive des Italiens (plus quelques britanniques , Allemands et Français entre autres) au début du 20ième siècle ont forcément des origines Espagnoles . Pour le coup Valdez ne peut avoir que des origines Hispaniques ….Par ailleurs je suppose que tu connais Daniel Brailowski international dans les années 80 qui jouera par la suite pour l’Israel….

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      4. Hello Hincha, il faut prouver ses ascendances espagnoles pour être assimilé Espagnol en vertu d’accords signés avec les pays d’Amsud et les Philippines. Et pour être considéré Espagnol en Liga, il ne faut pas avoir joué dans une autre sélection, même en Espoirs. Or, beaucoup n’ont pas de vrais papiers attestant de leurs origines ou mentent sur leur passé en sélection.
        Pour Brailowski, il me semble que ses sélections avec l’Albiceleste sont des matchs non officiels, d’où la possibilité de changer d’équipe nationale.

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  5. Verano82

    j’ai suivi ton conseil
    j’ai envoyé un texte à Cuadernos de fútbol et ça sort au prochain numéro !
    Il me demande plus….
    C’était une bonne idée !!!!

    MERCI !!!!!
    Et salut à tous !!!!!
    Pierre
    Pilo

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    1. Ola Pierre, je suis vraiment content que les pontes de Cuadernos reconnaissent la qualité de tes recherches.

      Bon, si tu as encore un peu de temps pour nous, n’hésite pas à nous proposer un texte, je pense que tu as perçu tout l’intérêt que nous portions à ton travail 😉

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