Navétanes, une passion sénégalaise

A la fin de l’année dernière, nous avions demandé à un ami, Yannick, de retour dans sa famille à Dakar, d’interviewer si c’était possible des connaissances sur les Navétanes. Ces tournois inter-quartiers qui font le bonheur des habitants de la Capitale et qui supplantent en prestige le championnat local. Dakar vivait alors l’effervescence des combats de làmb, la lutte sénégalaise… Nous vous partageons ces entretiens et remercions chaleureusement Yannick, Gogo et Mbaye pour le temps accordé !

Yannick : Pouvez-vous vous présenter ?

Mbaye : Je suis Mbaye. J’ai 17 ans et je joue gardien de but au Zénith de Dakar. Et je rêve du haut niveau…

Gogo : Je suis Mamadou Gogo Ndoye. Je suis né le sixième mois 1995, à Dakar. J’aime particulièrement les Navétanes, le championnat du Sénégal et ainsi de suite !

Yannick : Que veut dire les Navétanes ?

Gogo : Cela veut dire la saison de pluie en wolof. Et comme le tournoi se déroule à ce moment-là, on l’appelle Navétanes.

Yannick : Quels sont vos premiers souvenirs de Navétanes auxquels vous avez participés ? Ou vos premiers souvenirs de spectateur ?

Gogo : Mes premiers souvenirs datent de 2015, en cadet. C’était très chaud, là… On s’entraînait le matin de sept heures, parfois jusqu’à à une heure. On était plusieurs, tout le monde se battait pour gagner sa bosse. Je jouais pour l’équipe de ASC Rakadiou (association créée en 1972), du quartier de Grand-Yoff.

Mbaye : La première fois que j’ai regardé, c’etait en 2018. C’était Sud 3 contre Léona. Y avait une bonne ambiance.

Yannick : Gogo, vous étiez combien au début des détections ?

Gogo : On était nombreux ! Tous les jeunes étaient là mais la formation est difficile, c’est dur de rester jusqu’à la fin. Les entraîneurs font exprès de faire des entraînements compliqués pour ne garder que les durs, les meilleurs.

Yannick : Et ton premier match était contre qui ?

Gogo : C’était contre une équipe de la Cité Millionaire. Je jouais latéral droit. C’était chaud. Le public était au bord du terrain, au niveau de la ligne de touche. C’était un peu effrayant… mais c’est l’ambiance des Navétanes !

Yannick : Les Navétanes concernent d’autres sports ?

Gogo : Non, c’est uniquement du football.

Yannick : Quel est son fonctionnement ?

Gogo : En général, on a 16 équipes, départagées dans quatre poules, les deux premières sortent. Parfois, on qualifie les meilleurs troisième, ça dépend du nombre… Et on croise ça, quart de finale jusqu’à la finale. Que le meilleur gagne ! Ensuite le vainqueur du quartier va en Nationale, ça dépend des niveaux, jusqu’à parfois affronter des équipes de championnat.

Yannick : Jusqu’à affronter des équipes professionnelles de première division sénégalaise ?

Gogo : Oui mais va falloir faire ça, hein ! Parce que c’est dur. On dit tournoi en mode Coupe. Toutes les équipes qui ont remporté les Navétanes se retrouvent là-bas. Un seul match. Si tu perds, élimination directe…

Yannick : Comment se passe le recrutement dans les équipes ?

Gogo : Auparavant, c’était juste une histoire de quartier. Mais vu que ça a atteint un niveau très spécial, désormais, on prend des joueurs du championnat que l’on paie de 300 000 à 500 000 Francs CFA pour intégrer l’équipe. Dans l’objectif d’avoir une bonne équipe.

Yannick : Donc ce n’est plus tout à fait une histoire de quartier.

Gogo : C’est souvent les mêmes joueurs que tu retrouves aux Navétanes et en championnat. Sauf que si tu joues cinq matchs de championnat, tu ne peux plus jouer les Navétanes donc certains font semblant de se blesser ! Ça joue dur mais il y a plus d’ambiance que pendant le championnat.

Yannick : Quel a été le plus grand joueur à y participer ?

Gogo : Je dirais El-Hadji Diouf. Y’en a plein… Cheikhou Kouyaté (actuel joueur de Forest)…

Mbaye : Cheikhou Kouyaté est le plus grand joueur qui a représenté Grand-Yoff.

Yannick : Oui, j’ai vu les peintures sur le mur en venant…

Gogo : Y en a même que c’est les Navétanes qui les ont déclenchés…

Yannick : Qui par exemple ?

Gogo : Cheikhou Kouyaté est le meilleur exemple.

Yannick : Les noms des équipes ont-elles des significations particulières ?

Gogo : Des fois, oui. Ici, le nom de l’équipe du coin est ASC Dolé. Et dolé, ça veut dire la force. Ou alors, on a le ASC Rakadiou qui veut dire que tu fais ce que tu veux, que tu t’en fous de tout !

Yannick : Quel quartier ou équipe a la plus grosse ambiance ?

Mbaye : Je dirais AIC Grand-Yoff.

Gogo : HLM Grand-Yoff.

Yannick : Que se passe-t-il dans les tribunes de HLM Grand-Yoff ?

Gogo : Par rapport aux autres équipes, ils ont beaucoup d’argent. C’est le quartier des nobles donc ils recrutent de grands joueurs. Y a de l’ambiance, des fumigènes. Ils ont l’habitude d’aller en finale ! C’est chaud comme dans les stades de lutte parce que là-bas, tu vois du grand football.

Yannick : Touchez-vous une prime pour participer aux Navétanes ?

Gogo : Oui, pour les joueurs de championnat, si tu es attaquant et que tu marques un but. Si vous gagnez, une prime de 1000 francs qui sera partagée entre tous. Donc les amateurs peuvent également toucher quelque chose selon leurs performances.

Mbaye : Si tu arrives en demi-finale, 50 000 francs CFA.

Yannick : Y a-t-il des recruteurs européens ?

Gogo : Pour ma part, je n’en ai jamais vus. Uniquement du Sénégal. Une fois, un recruteur m’a proposé de jouer pour son club. Je crois que c’était Diaraf mais mon père n’a pas accepté. Diambars peut venir te voir. Ils ont des accords.

Yannick : Donc les clubs européens discutent uniquement avec les clubs de championnat ?

Gogo : Oui, si tu brilles aux Navétanes, que tu t’entraînes ensuite avec les clubs, tu peux rencontrer les recruteurs européens. Comme ce qui s’est passé avec Sadio Mané.

Yannick : Pourquoi les Navétanes sont actuellement interdits ?

Mbaye : Il y a beaucoup de bagarres. Les supporteurs jettent des pierres…

Gogo : De nos jours, il y a beaucoup de violence. Sur le terrain, dans le public, même dans le quartier après le match… Ça lance des pierres de partout. Quand les quartiers sont côte à côte, c’est le derby… Comme Paris et Marseille ! Les mouvements de foules… Des fois, ils brûlent le stade. Et ça affecte la vie des gens qui habitent là.

Yannick : Et depuis quand s’est arrêté ?

Mbaye : 2022 peut-être…

Gogo : Je pense que ça fait trois ans. Depuis le Covid, ça n’a pas repris. Il existe des tournois de quartier mais ce ne sont pas les Navétanes.

Yannick : Pouvez-vous à nouveau me citer des grands joueurs qui sont passés par ce tournoi ? Qui seraient devenus pros ?

Mbaye : Krepin Diatta mais qui ne jouait pas pour AIC Grand-Yoff. Formose Mendy…

Gogo : Tony Sylva qui a même entraîné une de tes connaissances !

Yannick : Bast ? Je sais que c’était un grand gardien. On m’a dit qu’il avait refusé un contrat en Belgique ?

Gogo : Tout à fait.

Yannick : Une dernière question, vous m’avez dit que les Navétanes se déroulaient durant sur le temps de l’hivernage, pendant la période des vacances mais, avec cet engouement, durent-ils plus longtemps ?

Gogo : Avant, c’était quand l’école se fermait jusqu’à la rentrée. Désormais, ça dépasse. A cause de l’ambiance, des matchs reportés. Et on joue le Navétanes en même temps que le championnat ! Ça fait de l’ombre au championnat et rapporte de l’argent. La dernière fois, ils ont joué la finale trois fois ! Pour retoucher l’argent des entrées !

Yannick : Et quel est le style de jeu ?

Gogo : Plus dense que le championnat. Tu peux presque voir un niveau européen car ils recrutent de très grands joueurs. Et d’autres qui balancent le ballon, qui font ce qu’ils peuvent !

Yannick : Et les marabouts dans tout ça ?

Gago : Ça, c’est un secret en Afrique, ça fait parti de notre vie ! Avant le match, on leurs donne des sous ou à manger. On te dit si tu portes ça, tu vas marquer beaucoup de buts… Une fois, j’ai vécu ça avec un papi à la campagne. On m’a donné un grigri. Tu connais le bediène ? La corne que portent à la main les lutteurs. Il voulait que je la porte autour du cou. Ou on te dit de lancer des pierres devant le but et tu vas marquer. Des fois, tu lances 27 pierres mais y a pas de but… Héhé… Ça marche pas tout le temps mais des fois ça marche…

Yannick : En tout cas, merci beaucoup à vous deux, Nio Far (on est ensemble) !

Yannick pour Pinte de Foot !

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12 réflexions sur « Navétanes, une passion sénégalaise »

  1. Super article, le genre qu’on ne voit pas dans la presse ou sur SF, ou alors aseptisé par un journaleux qui veut se mettre en avant en noyant le propos authentique dans son style à lui. Bien joué Yannick, on a hâte de te relire !

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  2. Quand ils parlent du désintérêt du public pour les équipes de championnat… C’est assez frappant la disparition des clubs d’Afrique de l’Ouest de la C1 continentale. Les gros clubs ghanéens, ivoiriens ou nigérians n’ont plus les moyens de rivaliser avec les mastodontes d’Afrique du Nord, du Sud et un peu de RDC. Le resserrement de l’élite est encore plus dure qu’en Europe.

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  3. Et autre élément intéressant, les clubs sénégalais de renom, Diaraf ou Jeanne d’Arc, n’ont jamais réellement brillé en C1. Puisque le pays n’a jamais connu de finaliste. Plutôt étrange car le foot sénégalais de club était plus en avance sur les autres avant les indépendances.
    Dans le palmarès de la Coupe
    d’Afrique-Occidentale française, qui regroupait les pays francophones, de 1947 à 1960, le Sénégal gagne 9 des 14 éditions. Dont 2 pour Jeanne d’Arc…

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    1. Je regrette d’avoir été aussi dilettante pendant mes années en fac d’histoire. J’aurais du prendre le sujet de la Coupe
      d’Afrique-Occidentale française en maîtrise. Bosser sur les pionniers du foot africain, ça m’aurait passionné. Tant pis…

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  4. Un monde inconnu pour moi . C’est fascinant . Cela dénote un foot d’une vitalité incroyable ! Notre vieux foot européen, que j’adore , est à la ramasse quand on voit ça ! Nos tournois de jeunes, et moins jeunes, es week-ends ou durant les ponts de mai/juin paraissent bien fades à côté de ça .
    Merci pour cet article découverte .

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