METTRE LE FOOT EN BOÎTE

Voici une série de trois articles qui raconte l’histoire torride entre le football et notre façon de le regarder (ou pas ?). Chaque partie retrace l’évolution du foot dans sa façon de filmer et de retransmettre. Le rêve de téléportation au stade, près du terrain, prend racine au cinéma. Puis, la télévision l’a revêtu de son plus beau costume pour vous faire cracher votre argent dans les abonnements. Mais un jour, via la réalité virtuelle s’il vous plaît, vous pourriez devenir le ballon ou bien lécher la sueur du cuir chevelu de David Ginola. Enfin, son hologramme…

EPISODE 1 : un problème de pellicule et un cheveu sur la soupe

De nos jours, les amateurs de football s’attendent à pouvoir regarder tous les matchs qu’ils souhaitent, que ce soit de manière légale ou non. Mais quand tout cela a-t-il commencé ? Quel a été le premier match de football où des caméras ont été installées sur le terrain ? Comment les techniques de tournage se sont-elles développées au fil des ans ? Et pourquoi ce n’était pas mieux avant ?

PREMIERS EMOIS

Robert Paul s’active sur le bord du terrain. Le froid du nord de l’Angleterre pique ses mains. Il doit faire vite ; les hurlements des supporters le stressent. Il enfile la pellicule dans le magazine. Il recharge sa caméra. Il s’inquiète sur le moment du match qu’il va capturer pour le public qui va pouvoir regarder les images plusieurs jours après. Il n’a que 60 secondes de magazine. Une minute pour en représenter 90 minutes.

Filmer le football est presque aussi vieux que le cinéma lui-même. Pour autant que l’on sache, le premier film réalisé sur le foot est une production d’une minute, aujourd’hui perdue, réalisée par Robert Paul à Newcastle en octobre 1896. Une simple description décrite cette bobine comme « Un match de football à Newcastle-on-Tyne », et nous ne savons même pas qui jouait contre qui. Mazette, où étais-tu Télé Z ?

C’est l’archétype des films de football pour la décennie suivante, c’est-à-dire tournés par un seul caméraman au bord du terrain à se geler les miches, et qui avait quatre aspects à filmer : les équipes entrant sur le terrain, les séquences dynamiques, l’enthousiasme de la foule (et les femmes à barbe) et les buts. Il était pratiquement impossible pour un seul caméraman de capturer tout ça, non seulement parce qu’il était placé au niveau du sol (car sans doute fainéant), mais aussi parce qu’il y avait une limite à la quantité de pellicule qu’il pouvait utiliser. 

À l’époque, les caméras 35 mm contenaient de 20 à 150 mètres de pellicules, et même en changeant de bobine, il n’y avait qu’une quantité limitée d’images qu’ils pouvaient tourner (Googlez 35 mm pour ceux qui sont nés après la disparition de l’émission Bigdil). Tourner des milliers de mètres de film dans une vaine tentative de tout capturer était extrêmement coûteux. Les premiers films de football sont ce qu’ils sont en raison des limites techniques et du bon sens économique. Ce fameux bon sens qui nous laisse seulement quelques raisins faméliques dans les paquets de cacahuètes-raisins.

Match de football filmé à Londres par Alexandre Promio vers septembre 1897. L’une des équipes peut être Woolwich Arsenal. No 699 dans le catalogue Lumière.

L’ÈRE DU FILM D’ACTUALITÉS-OLÉ-OLÉ

L’arrivée des films d’actualités, vers 1910, a changé la façon dont les films de football étaient réalisés et projetés. Le passage d’une diffusion itinérante dans les cirques et foires à celle dans les salles de cinéma entraîne une régularité de la production qui permet une plus grande exposition, mais aussi une concentration sur ceux susceptibles d’attirer le plus grand nombre de spectateurs. Les films durent généralement trois minutes. En effet, il était important de montrer autant de visages que possible pour que les gens viennent à la séance de cinéma dans l’espoir de se voir car les films étaient souvent projetés le lendemain du match.

Aussi, ces films deviennent fascinants d’un point de vue socio-historique avec le comportement de la foule, les types de terrains, les tenues vestimentaires, les wags, les affichages publicitaires (the usual suspects), et cet espace dominé par ces salauds d’hommes, etc. D’un point de vue ethno-nigo-footballistico-bueno, à cette époque, la loi sur le hors-jeu stipulait que trois défenseurs devaient se trouver entre l’attaquant principal et le but, et toutes les équipes jouaient plus ou moins dans une formation 2-3-5 – c’est-à-dire deux en défense et cinq en attaque. En gros, la future formation de City selon Guardiola.

Les actualités ne se limitaient pas à la Grande-Bretagne, bien sûr, et comme le jeu se répandait de plus en plus dans le monde, les reporters ont commencé à suivre les matchs dans les différents pays où le sport s’était implanté. Bref, le Royaume-Uni colonise le monde sur tous les bords.

Avant la création de la Coupe du monde en 1930, la principale compétition internationale de football était les Jeux olympiques. En 1924, le long métrage documentaire, Les Jeux Olympiques Paris 1924 (la préquelle de Paris 2024), consacre une bobine entière à la finale entre l’Uruguay et la Suisse, au cours de laquelle les Sud-américains font preuve d’une éblouissante habileté technique, facilement perceptible dans l’enregistrement filmé, même si le positionnement de la caméra limite notre compréhension du jeu (une équipe de quatre ou cinq personnes a été utilisée, disposée à divers endroits au bord du terrain, avec seulement quelques plans pris depuis les tribunes). L’Uruguay contre la Suisse, future finale de la coupe du monde 2024 ?

Le cinématographe des frères Lumière

PIRATE DES CELLULOÏDES 

Les droits de tournage de la finale de la Coupe de la F.A. (et d’autres grands événements sportifs) sont âprement disputés par les chaînes d’actualités. Topical Budget a payé 1 000 £ pour obtenir les droits exclusifs de filmer la finale de la Cup de 1923, la première à se dérouler au stade de Wembley. Cependant, les droits exclusifs ne garantissent pas une couverture exclusive, car les rivaux des journaux télévisés tentent de s’emparer d’images illicites en introduisant clandestinement des caméras sur le terrain, comme la Debrie Sept, une caméra miniature actionnée par un mécanisme d’horlogerie. 

Cette pratique est “ke sapelorio” piratage. Le caméraman de Pathé, Jack Cotter, se déguisa en supporter de West Ham pour accéder à la finale de 1923, sa caméra était cachée dans son manteau. La ruse a ensuite été révélée avec joie par Pathé dans son film du match, bien que les prises de vue aériennes du stade aient été délicieusement gâchées par la marque Topical, qui a pris la peine de faire écrire son nom en grosses lettres sur le toit du stade de Wembley. Et vlan.


Camera supericonoscope de Grundig

Si quelqu’un vous demandait quand le tout premier match de football a été diffusé en direct, quelle décennie choisiriez-vous ? Il est peu probable que vous ayez raison, étant donné que la bonne réponse est 1937. C’est le 16 septembre que la BBC a diffusé un match entre Arsenal et son équipe réserve, 10 ans presque exactement après que les Gunners ont participé à la première émission de radio en direct. Et Arsène Wenger n’était même pas né.

Étonnamment, cela n’a pas conduit à une surabondance de matchs de football en direct à la télévision, comme on aurait pu s’y attendre. Dans les premières années de l’explosion des téléviseurs, seuls les matches de la FA Cup  et les matches internationaux occasionnels étaient diffusés en direct et il a fallu attendre 1960 pour qu’un match de première division soit diffusé en direct pour la première fois.

Il s’agissait d’un vieux 0-0 tout pourri entre Blackpool et Bolton Wanderers, diffusé en direct de Bloomfield Road. Au fond, rien n’a changé. Il est intéressant de noter pour ceux du fond que ce n’est même pas le match complet qui a été diffusé. Le coup d’envoi est donné à 18 h 50, mais la diffusion ne commence qu’à 19 h 30, afin que les personnes qui assistent aux matchs de 15 heures puissent rentrer chez elles pour le regarder. Lazy bums.


L’une des trois caméras 3H originales juste après la conversion en 441 lignes

Lorsque l’on est passé de 220 lignes de résolution à 441, on a appelé cela la télévision « haute définition » (pour rappel, la vraie HD est 1920 sur 1080 pixels). Si vous pensiez que la mise au point (le réglage du flou, quoi) à distance sur les unités mobiles était en avance sur son temps, vous devriez savoir évidemment que ces premiers socles étaient également commandés électroniquement. Avec un interrupteur à pédale, le caméraman pouvait lever et abaisser le pied grâce à un petit moteur situé sous la colonne centrale. Il en faut peu pour rendre un homme heureux.

Les premières émissions TV montreront les tactiques sur le terrain mais sans les analyses foireuses de Vikash Rao Dhorasoo (tiens, voilà une balle perdue), ainsi que les tirs au but, les dribbles et les gardiens de but. Trois caméras seront utilisées, une dans les tribunes, pour donner une vue d’ensemble du terrain et deux autres près des buts, pour donner des gros plans du jeu et des joueurs. Aucun film ne sera utilisé, la transmission télé se faisant par ondes radio. Oui, relisez cette phrase car elle est compliquée.

Tous ceux qui connaissent un tant soit peu la télédiffusion du football anglais connaissent (c’est-à-dire 0,01% des lecteurs de cet article) la célèbre phrase prononcée un jour par John Motson : « Pour ceux d’entre vous qui regardent en noir et blanc, les Spurs ont une bande entièrement jaune. » Pour le football, le passage à la diffusion des matchs en couleur a eu lieu en 1969, lorsque la BBC a diffusé le match entre Liverpool et West Ham à Anfield dans le cadre de Match Of The Day et l’a fait en couleur. Le projet de passer du noir et blanc à la couleur avait été lancé en 1966, et le fait qu’il ait fallu trois ans pour y parvenir est intéressant en soi.


Dispositif de transmission d’une unité de caméra mobile

LA VRAIE NAISSANCE

C’est ainsi qu’à 18h30, le 22 août, jour de l’ouverture de la saison 1964-65, BBC2 diffuse la première édition de Match of the Day. Le programme fait exactement ce qui est écrit sur la boîte du film, consistant en un match, et un seul, joué plus tôt dans la journée : Liverpool, champion en titre, reçoit Arsenal. Le fait que MotD, comme on ne l’appelle pas encore, puisse être diffusé sur les ondes moins de deux heures après le coup de sifflet final est dû aux nouvelles technologies de vidéo et de montage.

Ce qui est moins impressionnant, c’est que personne n’a pu voir le programme : BBC2 n’est diffusée que depuis quatre mois et ne peut être captée que par un petit nombre de personnes triées sur le volet et équipées de nouveaux postes 625 lignes dans la région de Londres. Les téléspectateurs de Liverpool ont le choix entre The Travels of Jaimie McPheeters, un western sur BBC1, et Sugarfoot, un autre western sur ITV. Les chiffres d’audience généreusement arrondis de la BBC (ou la Beeb) : 20 000, soit moins de la moitié des 47 620 spectateurs du match à Anfield.

En fait, ce n’est que dans les années 1980 que la FA a décidé que le football pouvait être diffusé en direct plus régulièrement puisque le beautiful game était en difficulté financière. En effet, à cette époque, l’idée préconçue selon laquelle les retransmissions télévisées empêcheraient les gens d’assister aux matchs. Qu’ils étaient cons.

Suite du prochain épisode avec un focus sur les techniques de tournage du foot de nos jours et pourquoi le coup de pied de Van Bommel sur le malheureux torse de Xabi Alonso contribue au dérèglement climatique et ma calvitie.


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16 réflexions sur « METTRE LE FOOT EN BOÎTE »

  1. Curieux de lire les deux autres volets.

    Jamais été trop convaincu, mais les NL prêtent à un Pays-Bas Vs Belgique d’avoir été le premier match radio-diffusé de l’Histoire..?

    Les personnalités de bon nombre des premiers journalistes affectés aux télédiffusions valent parfois qu’on s’y penche, tiens, le pionnier du radio/télé-reportage footballistique à la belge (un type épouvantablement chauvin, d’ailleurs)? Au plus fort de sa carrière, il donna régulièrement des conférences anti-communistes, jouant de sa popularité pour véhiculer certaines valeurs politiques.. et ce n’était pas un cas isolé.

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  2. Ça s’annonce passionnant. Mais qui se cache derrière ce mystérieux pseudo ?
    J’attends avec impatience les années 50 et 60. C’est pauvre les archives audiovisuelles de ces années là même sur l’INA. Pas moyen de mettre la main sur la retransmission radio du Real-Reims de 56. Ça devait être sur Radio Luxembourg (donc pas l’INA) commenté par Jacques de Ryswick et peut-être aussi sur Europe n° 1 (son premier nom) station créée en 55 avec les commentaires de Fernand Choisel.
    J’ai bien peur d’en faire mon deuil.

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  3. Merci Oswald, outre le contenu, j’adore ta manière d’écrire.

    Sur le fond, il semble que le plus ancien film encore disponible date de 1898 lors d’un Blackburn-WBA et la première fiction « Harry the footballer » est réalisée en 1911.

    J’avais écrit un petit texte sur Sofoot à propos de la quête du plus ancien film traitant du foot en Espagne. Ça m’avait fait penser au film « Le regard d’Ulysse » de Theo Angelópoulos, longue quête hivernale dans les Balkans au début des années 90, des pays sans repères après la chute du communisme, résignés ou prêts à exploser. Harvey Keitel y incarne un cinéaste grec à la recherche des bobines du premier film tourné par les frères Manákis au tout début du XXème siècle. Son périple prend fin dans Sarajevo assiégée quand il rencontre un vieux projectionniste détenteur des précieuses pellicules.

    L’acteur principal associé au film espagnol est un journaliste de la Corogne nommé Rubén Ventureira. En parallèle de sa profession, il prépare une thèse sur l’importance de l’audiovisuel dans le développement et la popularisation du football au XXème siècle. Au cours de ses recherches, il constate que plusieurs sources mentionnent l’existence d’un film réalisé le 12 août 1911, probablement le plus ancien sur le football espagnol, mais dont les images semblent définitivement perdues.

    Le compte-rendu de la rencontre et une photo publiée dans deux journaux de l’époque permettent d’identifier ce match : il s’agit d’une opposition entre le Club Deportivo Español (l’actuel Espanyol, qui n’obtient la particule Real qu’en 1912) et l’équipage du Duncan, un cuirassé de la flotte anglaise de Méditerranée ayant accosté dans le port de Barcelone. D’autres détails sont disponibles : victoire 1-0 de l’Español au Campo de las Habas avec trois britanniques au sein de l’équipe catalane, joueurs recrutés après un match face à une autre équipe anglaise l’année précédente.

    Ventureira sollicite alors de vieux supporters des Pericos, gardiens de l’histoire de ce monument qu’est l’Español devenu Espanyol. Bingo, ils se souviennent avoir reçu en 2018 un tweet d’un historien américain avec un lien vers une vidéo et pour seul commentaire « match de football à Barcelone ». En le visionnant, ils sont parvenus à le relier à la rencontre Español – Duncan sans savoir qu’il s’agit du plus ancien film de ce genre en Espagne. Sur les images tremblotantes, les équipes posent avant la rencontre, le maillot rayé de l’Español est reconnaissable, un arrêt de gardien, des ballons aériens… Trente-et-une secondes en tout et pour tout.

    Ventureira poursuit ses recherches et découvre ainsi qu’il s’agit d’une réalisation de la succursale barcelonaise de la Cinémathèque Gaumont. Ce type de film sert à nourrir les actualités projetées pour patienter avant la diffusion de l’œuvre principale des soirées dédiées au cinéma. Les bobines originales sont archivées en France et sont accessibles aux professionnels sur demande via le site de Pathé-Gaumont.

    Plus d’un siècle après sa réalisation, le premier témoignage filmé sur le foot espagnol est retrouvé. Et pour une fois l’Español précède le Barça puisque FC Barcelona – Gimnástica Española n’est que le second match immortalisé en 1912.

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  4. Merci Oswald, pour la science et l’humour. Un régal!
    Les finales de Cup sont géniales à mater. Une narration du match qui semble immuable. La passion dans le stade.
    Une chanson sur le pere de Mark Hateley, Tony. Avec des références à Match of the Day et de nombreux joueurs des années 60 et 70 cités!
    https://youtu.be/5DrvTTcP-Nc

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      1. Y avait pas déjà Pepe ? Alvaro devait être encore là. Sauf s’il n’a pas joué ce match of course.

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      2. Alvaro oui. Pepe non. Mais je suis pas certain d’avoir la compo du match dont parle Cebolinha.

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      3. Santos : Barbosinha, Hélvio, Sarno, Zito, Formiga, Urubatão, Alfredinho, Álvaro, Del Vecchio, Vasconcelos, Tite

        Palmeiras : Laércio, Belmiro, Waldir, Gérsio, Waldemar Fiúme, Dema, Renatinho, Humberto Tozzi, Ney, Ivan, Elzo

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    1. Premier aux Pays-Bas : un..derby des Plats Pays évidemment, logique car c’était l’événement sportif number one.

      Et ça se passe en 1953, droits de diffusion vendus pour quelque 500 florints, même pour l’époque c’état peanuts.

      10 ans plus tard par contre : 20 fois plus cher.

      53 n’est pas une année anecdotique, ça faisait quelque temps que certaines forces au sein du football NL oeuvraient à professionnaliser/monétiser leur football.. or en 53 il y eut un événement tragique, qui servit de levier à ladite professionnalisation (laquelle était très loin de faire l’unanimité).

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  5. J’ai lu.
    La finale de FA Cup 1923, celle dite du White Horse : faudra en parler plus à détail à l’occasion…

    Pas étonnant de retrouver Arsenal dans les innovateurs : c’est la patte Chapman.

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