Une chanson populaire

Série « As 17 leis do jogo » suivant les traces des différents champions du Brésil.

Pour qui n’est pas familier de l’ambiance d’un pays, d’une ville, il est parfois compliqué de comprendre pourquoi tel club a pris le pas en terme de popularité sur les autres. Surtout quand l’offre est variée et de qualité. Pourquoi Arsenal plutôt que les Spurs ou Chelsea ? Pourquoi los Cremas de l’America plutôt que los Cementeros de Cruz Azul ou los Pumas de l’UNAM ? C’est un peu mon cas avec São Paulo et Corinthians. On peut éventuellement chercher du côté de l’ancienneté, piste qui se révèle vite peu pertinente quand on cause d’institutions quasi toutes centenaires. Le palmarès peut-être ? Gagner des titres enfante son lot d’amoureux transis, il suffit de voir les hordes de quadras fans de l’OM, dispatchés un peu partout en France. Mais à la date qui nous intéresse, 1990, ils sont où les trophées pour le Timão ?

Le Corinthians a débuté superbement, dominant la scène paulista dans les années d’entre-deux-guerres, en compagnie du futur Palmeiras et du Club Athletico Paulistano, aujourd’hui disparu des radars. Les années 1950 sont également excellentes, avec de nombreuses victoires au tournoi Rio-São Paulo. Neco, Amilcar, O Rei das Viradas Teleco, Gilmar, Luizinho ou Cabecinha de Ouro Baltazar qui inspira des chansons à sa gloire. Des noms qui pétillent comme des bulles de Champagne dans le gosier de leurs contemporains, qui firent se lever les foules. De quoi alimenter les passions et la transmission. Mais après ?

Un désert de presque 35 ans. Rivelino, chevalier à la triste figure, a lutté seul face à ses moulins tandis que le Democratia Corinthiana brilla finalement plus par sa symbolique que par sa domination sur le pays de Gilberto Gil. Quelques breloques régionales çà et là quand les rivaux honnis se gavent nationalement, vivent des épopées continentales ou mondiales. Néanmoins, l’arche Alvinegro n’a jamais perdu son pouvoir de séduction ni n’a cessé de grossir ses rangs. Romantiques, déclassés ou masos, ouvrier métallurgiste comme Lula ou fils de bonne famille comme Senna, unis dans l’attente, les déceptions. Invasion barbare de 70 000 fans envahissant le Maracanã pour une demi-finale face au Fluzão de Rivelino en 1976. Et autant de larmes lors de l’inévitable défaite au tour suivant…

Baltazar et Ademir

Les derniers démocrates

Le départ de Sócrates pour le Fiorentina en 1984 et la défaite à la présidence du club d’Adilson Monteiro Alves, le sociologue et théoricien de la Democratia Corinthiana, marque la fin d’une époque. Les vieux briscards que sont Casagrande, Biro-Biro, Zenon et Wladimir sont rejoints par le jeune Dunga, le très onéreux Hugo de Léon et le gardien Carlos. Mais la mayonnaise ne prend pas, Corinthians est sorti par le surprenant Coritiba en 1985. Moqué pour son manque de résultat et par l’absence d’un stade propre, le Timão vagabond réduit drastiquement la voilure les saisons suivantes et ne recrute plus que localement. Des anonymes portant les noms de Giba, Guinei ou Tupãzinho qui partagent régulièrement la route pour aller voir leur famille respective dans la région. S’ils n’ont plus le désir de changer la société de leurs aînés, la solidarité dans le doute et la franche camaraderie règnent au sein du groupe. Des valeurs qui se marient si bien avec celles de ce perdant magnifique qu’est Corinthians.

Sans capitaine au long cours depuis des lustres, Nelsinho Baptista, qui avait propulsé le modeste Novorizontino à la deuxième place du Paulista, est recruté au début du Brasileiro 1990. Nelsinho, homme de caractère, impose une rigueur tactique dans l’effort autrefois disparue, privilégie la vitesse sur les ailes et laisse une totale liberté de mouvement à celui qui semble le seul à avoir une qualité supérieure, Neto. Le Timão remporte justement sa première victoire face à Palmeiras sur un coup-franc de Neto, sa spécialité, et enchaîne une séquence de 11 matchs sans défaite, dont une victoire de prestige face au Flamengo de Zinho, Djalminha et Marcelinho Carioca. Avant de perdre irrémédiablement pied et finir sur une médiocre septième place, bien heureusement suffisante pour accéder à la phase finale. N’ayant pas d’attentes démesurées, les fans s’entichent de cette équipe, certes un peu dénuée de talent, mais diablement combative.

Neto, premier sur les prix

Le numéro 10 de Corinthians est revanchard. Jeune promesse à Guarani, le gaucher vient de se vautrer lamentablement à Palmeiras, non pas par manque d’aptitude mais en raison d’incessantes polémiques avec un autre sanguin, son coach Emerson Leão. L’échec du recrutement d’un certain Dida oblige la direction du Timão à se rabattre sur Neto le caractériel qui leurs avait fait subir un calvaire quelques temps auparavant lors du Paulista. Ils ne le regretteront pas. Irrévérencieux, prétentieux mais doté d’une frappe de balle phénoménale et d’une inébranlable confiance en lui, Neto sera le grain de folie permettant d’escalader les montagnes.

En quart de finale, Corinthians affronte l’Atlético Mineiro du magnifique gaucher Eder. Alors que son équipe est menée au score, Neto égalise de la tête et glisse sur les genoux sur plusieurs mètres, bras gauche dans le dos et poings droit levé. Vague clin d’œil à Tommy Smith, sans le gant ni le cran, qui deviendra sa marque de fabrique. 10 minutes plus tard, le nouveau chéri de Fiel offre la qualification sur penalty. Le festival est ouvert.

Au tour suivant, les joueurs de Bahia se font caillasser à leur arrivée au stade et ouvrent le score sur une frappe puissante de Wagner Basílio. Mais le Timão n’abdique pas. Neto place son ballon, envisage l’angle adéquat pour contourner le mur et délivre d’une frappe puissante au ras du sol l’estadio Pacaembu. La moitié du chemin… Au retour, un pai de santo baiano déclare avoir « lié » plusieurs joueurs de Corinthians et détenir sept poupées épinglées à leurs effigies mais il était écrit que le grand club paulista avait rendez-vous avec sa première finale nationale en 16 ans.

Neto dans ses oeuvres

Talismã da Fiel

« Il ne m’est jamais venu à l’esprit que j’allais marquer. » Tupãzinho n’était qu’un second couteau dans ce Corinthians mais c’est sa prestation que l’on garde en mémoire. Pour obtenir de ce premier titre brésilien si convoité, Corinthians devait vaincre São Paulo, dirigé par Telê Santana. Le Tricolor a sorti Santos et Grêmio et souhaite effacer la cruelle défaite de la saison précédente, au même stade de la compétition, face au Vasco de Bebeto et Bismarck. L’équipe de Telê n’a pas encore la maturité collective qui fera son succès deux ans plus tard mais la présence de Zetti, Cafu et Raí ou Leonardo lui assure la faveur des paris clandestins.

Au match aller, devant 85 000 supporters présents à Morumbi, Wilson Mano offre le premier frisson au Timáo, en déviant du genou, un coup franc tiré par Neto. Au retour, le dimanche 16 décembre, 100 858 personnes, majoritairement des fans des Corinthians, rejoignent à nouveau Morumbi, comme aux plus belles heures de l’Invasão corintiana de 1976. La pression tricolor est immense sur le gardien Ronaldo qui multiplie les mauvais choix et les signes d’agacement. Dans les vestiaires, Nelsinho est furieux. Il balance une armoire au sol et alpague son gardien. « Tu perds la tête à un moment où tu n’as pas la perdre. Nous devons rester forts mentalement et laisser São Paulo étouffé par le doute. » Le coup de gueule sera salutaire. Fabinho sert Tupãzinho dans la surface. Le numéro 9 dribble son défenseur et remet le ballon à son coéquipier qui centre puissamment vers le but. La suite est une histoire d’abnégation, une histoire corinthiana en quelque sorte, Tupãzinho tacle et offre le premier sacre national au club !

Que ce soit Tupãzinho, le discret et travailleur attaquant, qui mette le but le plus important de l’histoire du club jusqu’alors, est assez symbolique. Dans les textes et témoignages, il était toujours question d’un supplément d’âme, de rejet des pronostics, de solidarité dans la défiance. Le titre le plus corinthien revient souvent. Tupãzinho rejoint ce jour là Basílio et sa réalisation en finale du Paulista 1977 tout en haut du Panthéon. Ne manque plus que celle de Paolo Guerrero face à Chelsea en 2012 pour former la trinité glorieuse. Pour Neto, cette année 1990 aura été celle de l’ascenseur émotionnel, entre le titre, l’absence au mondial italien et un transfert avorté à Naples. Il demeure une grande idole du Timão.

Corinthians ne fait plus parti des valeureux perdants, les titres se sont enchaînés, sont même devenus internationaux comme lors du Mondial des clubs 2000 à domicile. J’imagine que la transmission se fait désormais sur cette base, même si les plus vieux doivent se targuer d’avoir été présents pendant la longue sécheresse. Vieux réflexes d’affranchis que l’on retrouve un peu partout… Lutte, couleurs, communion impalpable. Une chanson qui accroche l’oreille plus que d’autres sans que l’on sache vraiment pourquoi. Mais est-ce vraiment important ?

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11 réflexions sur « Une chanson populaire »

      1. Je dirais qu’il possède un physique bobbyschannien.

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  1. Bravo chef, ton texte traduit magnifiquement la lose qui accompagne le Timão. Ce Brasileirão aurait été plus beau encore si le finaliste avait été Palmeiras, le grand rival.
    Palestra Itália, futur Palmeiras, et Corinthians sont des clubs « jumeaux », fondés au début des années 1910 par des Italiens (même si Corinthians est plus mixte dans ses origines, l’influence italienne est fondamentale). Les premiers cracks de Corinthians sont le stratège Amílcar Barbuy (dont on reparlera ici) et l’artilhero Neco, hommes clés du Sudamericano 1919 gagné par le Brésil avec Friedenreich, bien sûr.
    Au début des années 1930, le grand CA Paulistano de Friedenreich disparaît. Santos est en retrait, Portuguesa n’a pas de palmarès et São Paulo FC n’est qu’un club émergent. Alors se développe la rivalité entre Palestra et le Timão et dans ce duel de géants, c’est déjà Palmeiras qui prend le dessus, Corinthians étant saigné par le départ de ses meilleurs joueurs vers l’Italie. Le Timão revient au premier plan à la fin des années 1930 avec des joueurs comme Brandão et Teleco puis au début des années 1950 avec Baltazar (cf photo de Khia). Éclipsé successivement par Portuguesa, Santos, Palmeiras, le club aurait dû connaître la gloire dans les 70es avec Rivelino mais c’est à cette époque où il développe cette image de loser (la défaite en finale du paulistano 1974 contre Palmeiras est un drame). Jusqu’en 1990, donc…

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    1. Ce titre de 1990 est le premier champion brésilien qui m’ait marqué. Pas en tant que téléspectateur mais grâce aux lectures, sur Onze Mondial en particulier. Me souviens bien des articles sur Neto, des photos du duel avec Rai dont je découvrais le visage sans savoir qu’il était le frère de Socrates.

      Et pour dire vrai, parmi les 3 gros de São Paulo, c’est celui que j’aime le moins. Attention, histoire très intéressante mais il me manque un truc pour avoir plus d’attrait pour ce club.

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    2. C’est quoi deja l’histoire du surnom des  » porcs  » qu’a Palmeiras? Le refus de jouer pour un match de charité en l’honneur d’un joueur de Corinthians tout juste décédé, non?

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      1. Je ne me souvenais plus trop, je viens de checker : en 1969, Palmeiras est le seul club disputant le Paulistano à avoir refusé que Corinthians recrute pour remplacer des joueurs décédés dans un accident.

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