Almería autrefois, entre western et football

Aujourd’hui, l’UD Almería reçoit la Real Sociedad. Almería et le football, c’est une longue histoire tout sauf linéaire. En voici un extrait.

Après d’innombrables changements d’appellation témoignant de son passé tumultueux, le Club Atlético Almería, entité la plus populaire localement, finit par disparaître en 1960, ne laissant aux aficionados que de modestes équipes de quartier telles que l’UD Pavía ou le Club Hispania pour assouvir leur passion.

Initials BB

Il faut dire que dans les années 1960 le football n’est pas la priorité d’une province parmi les plus déshéritées d’Espagne, quand les legañosos[1] rêvent d’ailleurs et que les serres plastifiées, aberrations de l’agriculture intensive, ne vérolent pas encore les paysages à perte de vue. Grand promoteur du slogan « Spain is different », le ministre de l’Information et du Tourisme Manuel Fraga Iribarne fait prendre à l’Espagne le virage du tourisme de masse et les superbes plages d’Almería deviennent des lieux très prisés des vacanciers européens.

A cette même période, la lumière minérale du désert de Tabernas attire de plus en plus de cinéastes et sert de décors au tournage de plusieurs dizaines de films par an, d’atroces nanars pour l’essentiel et parfois, comme par miracle, une œuvre culte. Quand un accident d’avions de l’US Air Force provoque la libération de particules radioactives sur les côtes au nord d’Almería début 1966, Fraga Iribarne se met en scène et prouve l’absence de danger en se baignant sur la plage de Palomares, n’hésitant pas pour cela à révéler un physique navrant. Mais il y a plus navrant encore : cette séance d’ablutions du ministre de l’Information et du Tourisme de Franco n’a pas lieu dans la zone contaminée et ce que le public voit aux actualités n’est qu’un lamentable montage niant la réalité de la pollution radioactive. Pour les autorités, l’essentiel est ailleurs : l’image et l’attractivité d’Almería sont sauvegardées, la région demeure un eldorado touristique et culturel que Serge Gainsbourg magnifie en scandant « Almería » comme un cri de ralliement dans le westernien Initials B.B. inspiré de sa rupture avec Brigitte Bardot ici-même.

La mise en scène de Fraga Iribarne

Naissance et ascension de l’Agrupación Deportiva Almería

La démographie explose, l’essor économique est réel et le public réclame un club capable de représenter l’ensemble de la ville. Après de longues négociations, l’Agrupación Deportiva Almería naît en 1971, enfant de la fusion des équipes de quartier. Malgré l’exiguïté du Campo de la Falange (eh oui, Franco est encore au pouvoir), sa terre battue d’un autre âge, l’ADA gravit les échelons depuis les championnats régionaux jusqu’à la Tercera División. A partir de 1976, tout s’accélère : grâce à une ouverture du capital aux socios et des campagnes radiophoniques tapageuses, le président Antonio Franco Navarro parvient à financer un nouveau stade auquel il s’empresse de donner son nom. Dopée par ses nouvelles installations, l’AD Almería découvre l’ambition et connaît trois accessions successives jusqu’à la Liga à l’été 1979 malgré quelques embûches, dont une grossière tentative de corruption du Betis également en lice pour la montée.

Parmi les hommes clés des années 1970, les entraîneurs Abdallah Ben Barek, fils du chauffeur de Mohamed V devenu l’idole de Málaga au point d’être renommé Abdallah Málaga, Cayetano Ré, pichichi paraguayen du Barça en 1965, Vicente Dauder, Enrique Alés et José María Maguregui. Ce dernier est aux commandes de l’équipe qui obtient la montée puis le maintien avec un effectif homogène duquel émergent trois joueurs : l’enfant du pays Juan Rojas, le métronome argentin Ricardo Martínez, et  El Tanque Rolón, puissant goleador paraguayen n’ayant peur de rien ni de personne, pas même de Migueli dont il éclate l’arcade sourcilière d’un coup de coude lors de la réception du Barça.

De gauche à droite, accroupis : Rojas avec le fanion, Martínez, « El Tanque » Rolón avec le ballon.

La chute

En 1980, Maguregui part pour l’Espanyol et pour lui succéder, les dirigeants choisissent Arsenio Iglesias, que personne ne songe alors à appeler le « Sorcier d’Arteijo ». Comment imaginer qu’il puisse s’inscrire dans la légende du Deportivo La Coruña quelques années plus tard ? Son passage est un désastre et malgré les renforts onéreux de Tanco du Rayo et surtout de l’international Antonio Guzmán (présent en Argentine avec la Roja en 1978), Almería sombre en même temps que sa solidité défensive et son invincibilité à domicile, plongeant inéluctablement en Segunda División dès le printemps 1981. L’événement passe presque inaperçu, occulté par el Caso Almería, une retentissante affaire où la Guardia Civil d’Almería arrête, torture et assassine trois jeunes gens confondus avec des membres de l’ETA.

C’est déjà la fin pour l’AD Almería. La saison suivante est un calvaire sportif, administratif et financier dont l’issue est une seconde relégation consécutive, aggravée d’une descente administrative supplémentaire par les instances fédérales en raison d’un surendettement chronique. Après une douzaine d’années d’existence, les socios appelés à voter actent la dissolution de leur club et le football professionnel almeriense s’éteint à nouveau. Il faut attendre 1989 pour qu’un nouveau projet voie le jour sous le nom d’Almería Club de Fútbol, rebaptisé depuis en Unión Deportiva Almería, qu’Unai Emery guide en Liga en 2007, première des six saisons de l’UD au sein de l’élite.


[1] Surnom péjoratif donné aux personnes venant de la région d’Almería dont les yeux étaient irrités par les allergies provoquées par la sparte, une plante utilisée pour la passementerie notamment.

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19 réflexions sur « Almería autrefois, entre western et football »

  1. Cayetano Ré, j’avais déjà vu ce nom quelque part et je suis allé vérifier. Il a roulé sa bosse sur les bancs d’Espagne et d’Amérique du Sud pendant plus de vingt-cinq ans après sa carrière de joueur. C’est du Mundial 1986 que me vient le souvenir : il était le sélectionneur du Paraguay qu’il a mené jusqu’à un huitième perdu (0-3) face à l’Angleterre.

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    1. Ré a ete Pichichi avec le Barça en 65 et fait parti de la belle génération des Delfines de l’Espanyol par la suite.
      C’est un peu le successeur de son compatriote Eulogio Martinez qui brilla au Barça du temps de Suarez ou Kubala.

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    2. Cayetano Ré fait partie du Paraguay qualifié pour la CM 1958 où il se fait remarquer. Comme d’autres, l’intermédiaire tout puissant en Amsud Arturo Bogossian le fait venir à Elche, ville qui va devenir le paradis des Paraguayens. Puis c’est le Barça comme le rappelle Khia et l’Español où il est un des Cinco Delfines, petit avant centre d’une des plus belles lignes offensives de l’histoire des Pericos.

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  2. Merci. Le foot à Almeria est celui que je connais le moins en Andalousie.
    L’été, dans les années 90, était le festival des tournois dans la Communauté.
    On avait le Ciudad de Marbella où l’Atletico etait quasiment tout le temps présent. Jesus Gil étant le maire de Marbella.
    A Séville, quelques éditions rares.
    La Linea de la Concepcion avait également un tournoi de valeur. Avec une finale entre l’Atletico et le Flamengo en 92 par exemple.
    Et évidemment le Carranza de Cadiz et le Colombino de Huelva. Les tournois les plus importants avec le Teresa Herrera de La Corogne.
    J’adorais le trophée de Huelva, représentant une caravelle.
    https://recreativohuelva.com/trofeo-colombino/
    Celui du Carranza etait kitch au possible
    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Troph%C3%A9e_Ram%C3%B3n_de_Carranza
    Tout la sobriété andalouse dans ce trophée

    Celui du Herrera est beau également. Et lourd!
    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Troph%C3%A9e_Teresa-Herrera

    C’était ça nos étés. La plage, le foot chaque soir, avant de ressortir…
    Ces tournois nous permettaient de découvrir les équipes sud-américaines que l’on ne voyait jamais.
    Ils n’ont malheureusement plus le même prestige.

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  3. Ibarne, c’est le type en forme de cuberdon, au milieu sur la photo? Attention que les seins qui poussent vers la cinquantaine, ça arrive souvent chez les gais buveurs de vin.

    J’ai appris plein de trucs, là.. Jamais réalisé que c’était « Almeria » que disait Gainsbourg, et la petite histoire y-associée m’était inconnue.

    Almeria et cinéma je savais, un membre de ma famille à la vie aventureuse y fit plusieurs fois le figurant voire plus (il avait une grosse tête et une grosse moustache de Mexicain), par contre je croyais que les scènes de désert étaient jouées bien plus au Nord, entre Ebre et Pampelune.

    Sparte, radioactivité.. C’est Fukushima, en fait?

    Avec Khiadia je finirai par vous appeler les Dupont-Dupond de P2F, car ce lien hypertexte, eh eh.. Une première sur ce site? Le catalogue d’articles devient castard.

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      1. Il y a deux bases américaines en Andalousie. A Moron de la Frontera, dans la province de Seville. Qui sert de rampe de lancement à l’Air Force depuis les années 50.
        Et la base navale de Rota, qui est juste à côté de mon village familial. On voyait souvent des marins se balader dans le coin. Et pas mal de filles du coin sont parties vivre aux États-unis par la suite.

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    1. Oui, Fraga Iribarne est au centre, et à droite de la photo, l’ambassadeur US je crois. Drôle de parcours politique, Fraga, encore présent après la mort de Franco avec qui il avait su habilement garder une certaine distance.

      A propos de cette affaire, j’ai le souvenir d’avoir lu quelque part l’histoire d’un pauvre producteur de tomates, considéré comme simplet, qui ne parvenait plus à vendre sa modeste production sur les marchés après la pollution. Génie du marketing, il met un panneau devant son stand sur lequel est écrit « Tomatatomticos », et vend ses tomates plus cher qu’en temps normal.

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    2. En effet, il y a pas mal de westerns qui ont été tournés plus au nord, dans le désert des Bardenas exactement.
      Mais le gros contingent de film, c’était près d’Almeria.
      Il y a d’ailleurs un magnifique documentaire Netflix, sur une poignée de passionnés qui ont retapé le célèbre cimetière de Sad Hill, du « Le Bon, la Brute et le Truand ».

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    1. Pour moi c’est un adverbe, donc invariable.

      J’en veux pour hypothétique preuve (???) l’hasardée démonstration (??) ci-contre : « Je n’ai rien à donner sauf mon coeur » (premier truc qui me passe par la tête hein)

      « Rien » est adverbe, je présume donc que ce « tout » l’est aussi.

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      1. ..mais je m’abuse peut-être de mes trucs grammaticaux??

        « Prêt à » Vs « près de » par exemple, je procède de la même manière en remplaçant le terme dont je doute de l’orthographe (« près »? prêt »?) par son contraire, en l’espèce : « loin de ».. ==> donc c’est « près de » (et non pas « prêt de »).

        Par contre « loin à » ne marche pas.. ==> à orthographier donc « prêt à » (et non pas « près à »).

        Normalement (?), je crois qu’on ne peut pas se tromper comme ça.

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      2. Ouf, pas eu le temps de transpirer de confusion pour cette faute, merci les profs de français eh eh

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