Maghreb Foot : il était une fois Petchou

Mustapha Choukri alias « Petchou » (1947-1980) joueur marocain qui a évolué au Wydad et au Raja de Casablanca, les deux clubs phares de la Botola durant les trente dernières années Meilleur footballeur marocain, arabe et africain de sa génération.

Il a remporté avec les Rouge et Blanc deux titres de champion du Maroc en 1977 et 1978 et une Coupe du trône en 1978.
Un talent fou, un technicien hors-pair, le premier que j’ai vu centrer du talon. Une de ses spécialités était les passes et les frappes de l’extérieur du pied. Les spectateurs se déplaçaient pour réclamer ses « extérs » [1] à la précision chirurgicale. Dans un bon jour, il ridiculisait le défenseur chargé de le surveiller (petits ponts, crochets, etc.). La hantise de tout défenseur marocain au cours de cette décennie 1970 était d’être affecté au marquage de « Petchou ».
Rarement le football marocain aura produit un joueur aussi naturellement surdoué que « Petchou ».
À lui tout seul, il créait le spectacle, courses folles, ruades (il était aussi surnommé « Al Aoud », le « cheval » ou « l’étalon »), facilité déconcertante à orienter le jeu, il fit les beaux jours du Raja de Casablanca sous la férule du Père Jégo (un entraîneur légendaire) apôtre du beau jeu qui a toujours caractérisé la philosophie du Raja, avant de passer au Wydad.
Au cours d’un match amical entre le Brésil et une sélection de joueurs casablancais (WAC-RCA- TAS et RAC [2]) au début des années 1970 à Casablanca, il fit un petit pont au roi Pelé qui se retourna pour l’applaudir [source non vérifiée].
Le journaliste sportif Najib Salmi (L’Opinion), se souvient « d’un joueur complet et bourré de talent, qui n’avait même pas besoin de regarder le ballon pour le conduire. » Pour Saïd Ghandi, vétéran du Raja, c’était « un véritable artiste qui pouvait à lui seul changer la physionomie d’un match. Il était tellement imprévisible que même nous, ses coéquipiers, avions du mal à anticiper son jeu. »
L’anecdote court qu’à la fin d’un match, joué sur un terrain boueux, un seul joueur sur les vingt-deux acteurs regagna les vestiaires avec un maillot immaculé : « Petchou ». Sur le coup, feu Maâti Bouabid, alors président du Raja, lui lança, un sourire aux lèvres : « Tu sors d’un match ou d’un mariage ? »
Nonchalance ne veut pas dire légèreté. Par exemple, « lorsqu’il y avait un penalty à tirer, personne n’osait s’approcher du ballon. On savait tous qui allait s’en charger », se rappelle Saïd Ghandi. Le charisme du joueur n’échappa pas au public, qui en fit son chouchou. « C’était une véritable icône. Et même quand il partit au WAC, une bonne partie du public rajaoui continua à le suivre dans les stades », poursuit Saïd Ghandi.
Pour beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé, « Petchou » était un amoureux du football, qui jouait d’abord pour le plaisir. Et c’est certainement ce côté un peu bohème, un peu artiste qui l’empêcha d’accumuler les sélections en équipe nationale. Vu la rigueur quasi-militaire avec laquelle était gérée la sélection, il n’avait aucune chance d’y durer. Et ceci, même s’il a été brillant lors des quelques matchs qu’il a joués sous le maillot national. Une anecdote résume à merveille le peu de cas que faisait « Petchou » de la discipline : alors qu’il entre sur le terrain, à l’occasion d’un match officiel avec l’équipe nationale, il se serait tourné vers Hamid El Hazzaz (le grand gardien du MAS de Fès) pour lui demander, le plus naturellement du monde : « On joue contre qui ? »
Il a souvent été comparé, dans son jeu, à Cruyff : port altier, conduite de balle, élégance, vision et anticipation, art de la provocation…
L’histoire de ce génie n’a malheureusement pas été conservée : ni ses actions d’anthologie, ni ses buts dans le championnat national ne sont disponibles. Ce qui pose la question de la gestion des archives du patrimoine footballistique marocain à l’ère du numérique.
Et vous savez quoi ? Un joueur extraordinaire ne pouvait avoir qu’une fin extraordinaire.
En 1979, un club saoudien « Al Wehda » dont le siège est à La Mecque lui propose l’équivalent de 50 000 dollars par mois (une somme énorme à l’époque). « Les dirigeants du WAC ont même refusé de toucher un pourcentage du contrat, en signe de remerciement à ce grand joueur qui a tant donné à l’équipe », rapport un vieux wydadi. 
Six mois à peine après son transfert, c’est la tragédie, il meurt officiellement d’une pneumonie. Comment un sportif de haut niveau surnommé « Al Aoud » [l’étalon], tellement il courait sur le terrain pouvait-il mourir d’une vulgaire pneumonie !
Plusieurs rumeurs ont circulé :
1°/ Beau gosse et flambeur, Il aurait dragué une princesse saoudienne (connaissant la fougue de « Petchou« , cette hypothèse ne serait pas si farfelue !). Cette initiative a fortement déplu aux officiels wahhabites saoudiens (on parle là de 1980) qui décidèrent de le liquider pour s’éviter un mariage morganatique (poison dans un verre de thé ?).
2°/ Il aurait tellement ridiculisé un défenseur local que celui-ci, excédé, l’aurait mortellement blessé, le lendemain du match, dans la rue avec un sabre.
3°/ Il se serait noyé dans une piscine à la suite d’une beuverie dans l’hôtel (l’alcool est « officiellement interdit » en Arabie Saoudite).
4°/ Au cours d’une bagarre dans les vestiaires, il aurait reçu un coup à la tête qui se révélera fatal quelques jours plus tard.
« Petchou » est mort à 33 ans, le 22 janvier 1980.
Il faut noter qu’à l’époque, l’Arabie saoudite était un pays fermé et ultra-conservateur. Quasiment aucun joueur étranger n’évoluait dans le championnat national. « Petchou » et Beggar, un autre joueur talentueux du Raja, étaient des pionniers.
Ce qui a encore attisé les soupçons : son cercueil est revenu au Maroc avec interdiction de l’ouvrir. Sa famille réclame depuis 35 ans une autopsie que les autorités ont toujours refusée pour raisons religieuses (la vraie raison, c’est que cela risquait de démonter totalement la cause officielle du décès).
Le dictateur sanguinaire Hassan II et son ignoble rejeton, le roitelet fainéant et prédateur Mohamed VI ont toujours courbé l’échine devant l’argent et les manipulations des monarchies du Golfe.
Plus de 10 000 personnes ont marché avec le convoi funéraire jusqu’au cimetière.
Une rue à Casablanca, dans le quartier Maârif, juste derrière le complexe Mohamed V porte son nom pour l’éternité.
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[1] En Darija marocaine, un extérieur du pied est  appelé « Lhissa » c-à-d touchette, caresse, chatouille.

[2] WAC : Wydad Athletic de Casablanca.

     RCA : Raja Club Athletic.
     TAS : Tihad Athletic Sport.
     RAC : Racing Athletic Club
Lindo pour Pinte de Foot
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26 réflexions sur « Maghreb Foot : il était une fois Petchou »

  1. Il ne va pas sans dire que
    lindo et moi, nous sommes comme chat et chien

    J’avais bien entendu parler de Mustapha Choukri

    Bel article, tout de même, sauf le dernier paragraphe, trop caricatural

    Et que dire de Père Jégo, non seulement entraineur, mais fondateur ET du Wydad ET du Raja ?

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      1. Ben c’est un peu à charge et je vois le côté hors de propos que tu évoques mais en même temps L’info n’en rajoute pas non plus ça fait 2 lignes, et parfois c’est bon de rappeler d’où viennent les responsabilités, même si c’est de manière un peu sèche (ce qu’on peut comprendre, je pense).

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  2. @ Sindelar,
    Farad était un avant-centre à l’ancienne, son nom est souvent associé à son pote du Chabab Mohammedia Acila qui était son pourvoyeur en passes décisives.

    Petchou n’était pas un buteur, mais un milieu offensif, créateur de talent.

    @ Verano, t’as raison, ces crétins sont partout à signaler et à censurer.

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  3. @Khidia,
    Il n’était pas dans la liste des retenus pour la CAN 1976, probablement pour cause de blessure, ou par mesure disciplinaire. La FRMF était dirigée par un Colonel de l’armée et le sélectionneur roumain Mardarescu était assez strict.

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    1. Mardarescu… Si on revient quelques décennies en arrière, y a quelques sélectionneurs étrangers intéressants. Et pour certains, ils ont fait leur vie au Maroc. On pense au Brésilien Jose Faria qui conduisit le Maroc en 86 ou le Français Guy Cluseau dont je ne sais pas grand-chose à part qu’il dirige le FAR Rabat dominant des années 60 et qu’il est celui qui qualifie le Maroc pour le Mexique 70. Avant de se faire remplacer par Vidinic. D’ailleurs pourquoi ce remplacement avant le mondial?
      Faria et Cluseau sont décédés à Rabat.

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      1. Vidinic, cet entraîneur qui avait été saboté par ses joueurs zaïrois en plein tournoi 74. Parce qu’il y avait une histoire de primes détournées/impayées donc, cela me semble désormais assez connu..mais aussi par jalouserie et mesquinerie!

        Nombre d’officiels zaïrois, excédés par l’engagement de cet Européen, avaient déjà entrepris de faire monter la température dans le vestiaire dès sa signature………….mais quand se profila le match face à la..Yougoslavie, alors là ce fut un déferlement de bêtise et de chauvinisme, pur prétexte pour casser un entraîneur étranger qui occupait un poste très convoité, en substance : « C’est un Yougoslave, il va vous trahir pour son pays bref, s’il vous dit de faire ceci : faites cela! Désobéissez-lui! Faites l’exact contraire de ce qu’il vous dira! »

        Ces propos me furent rapportés par deux Léopards de l’expédition 74 (il en restait 3 vivants à l’époque), le premier quartier où je m’installai à Kinshasa, dans la « Cité », étant précisément celui où Mobutu leur avait offert des maisons après la victoire en CAN72.

        La sorcellerie fit des dégâts aussi, bref : je m’égare.

        Et donc : je ne connaissais absolument pas ce Petchou, merci et bravo Lindo!

        La diatribe du dernier paragraphe? Suis pas marocain, ne connais que par bribes les turpitudes de la monarchie alaouite……..mais je peux comprendre que ça fasse du bien, pas moi qui te blâmerai!

        On peut refuser à une famille d’exhumer un corps pour autopsie? Pauvre famille..

        Tu m’as donné envie de chercher plus avant sur ce phénomène, ça éveillera peut-être des questions, merci!

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      2. Ilunga Mwepu et Victor Massamba, copains de certain Pierre je-sais-plus-comment (Lutete? Lulele?? Très connu à Kinshasa – qu’il me pardonne) qui improvisait des visites du stade Tata (Ali-Foreman) pour survivre.. et que je finis par ne plus jamais y voir, bref : possiblement mort lui aussi.

        C’était tout bête : je ne connaissais rien au foot congolais et très froidement je m’en contrefoutais, j’étais tombé sur ce Monsieur Pierre la première fois que j’avais été au stade Tata..pour passer mon permis moto!!! (obligé de passer par un moniteur, lequel se contentait de te mettre sur un scooter chinois et de te faire faire des tours et des tours..et des tours et des tours du stade Tata, pendant 3 jours, lol..et alors on pouvait avoir un permis, ouf)..qui évidemment connaissait « les trois survivants » (j’en profite car je viens de vérifier : c’est faux, il y en avait d’autres..et il est intéressant que ce soit faux!, vais y revenir) de 74.

        Et donc nous nous rencontrâmes plus tard, bûmes des Primus et de la Skol pendant 2 petites heures. Honte sur moi : je ne savais pas quoi leur demander, je ne connaissais désespérément rien à leur foot, ça partit dans tous les sens, très décousu.. Ni de leur faute ni de la mienne, mais j’étais totalement étranger à ce qu’ils me racontaient, un influenceur contemporain à la con m’aurait fait le même effet.. et donc j’avoue que ça ne m’intéressa guère – énorme regret rétrospectivement, mais j’avais d’autres chats à fouetter (essayer de m’en sortir à Kin’ par exemple) et, pour ce qui était du sport, je ne m’intéressais guère qu’à leur catch local dit « catch fétichiste » (j’en étais complètement fan) ou au combat Ali-Foreman.

        Le troisième larron/ »survivant »? Je ne sais plus…………mais le fait, donc, est qu’il y avait pas mal d’autres survivants de 74, à ceci près qu’ils vivaient et a priori vivent toujours (je l’apprends donc) en France, Allemagne.. Or ça, dans la pensée populaire/profonde bantou, quand tu es resté au mboka ( = « au bled ») : c’est comme s’ils étaient..morts! ; je ne chercherais pas plus loin pourquoi tous étaient unanimes pour dire qu’il n’en restait que trois (même la presse locale – mon souvenir en est catégorique car je la compulsai exhaustivement tous les jours pour la diplomatie belge, et il leur était çà et là rendu honneur, on les voyait tous trois réunis, sortes de « Poilus » locaux..).

        Selon les standards mentaux de la RDC, même vivre en Afrique du Sud revenait d’évidence à être mort.. car le cas Pierre Ndaye Mulamba? Lui avait trouvé refuge à Johannesburg, où il mourut dans la misère (deux fois mort, donc).. mais je lis que son corps fut finalement rapatrié, et les honneurs lui-rendus dans l’enceinte même du Parlement.

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      3. Ilunga Mwepu, c’est assurément le Zaïrois qui se rendit le plus célèbre en 74, on peut même en affirmer qu’il est entré dans la légende : coup de pied au cul d’un arbitre +, si je ne m’abuse, shooter intempestivement dans le cuir sur ce fameux coup-franc accordé aux Brésiliens.. Si je ne dis pas de connerie (la flemme de vérifier) : c’était lui, les deux fois!

        Eh bien, quand je le rencontrai : je ne le savais même pas, lol.. Vous auriez dû créer ce site 12-15 ans plus tôt (c’était en 2008 a priori), me briefer et me pousser au cul, bien des journalistes auraient tchoulé pour pouvoir interviewer ce joueur.

        Toujours registre grand n’importe quoi : je m’étais juré de rencontrer Bonga-Bonga à mon départ pour Kinshasa………………mais c’est sur place que j’appris qu’en fait il vivait..en Belgique, de surcroît à, quoi?, 500 mètres du logement que je venais de quitter, lol..

        A Kinshasa j’ai taillé la conversation avec Nonda, très sympa et qui supervisait un building qu’il faisait construire dans les quartiers chics, tandis que mon épouse surtout (et moi un peu) perdions notre temps juste en face, dans un projet d’aménagement paysagiste d’une propriété coloniale laissée à l’abandon.

        Après ce fut la bouteille à encre registre footballeurs : bonne moitié des dossiers de footballeurs internationaux congolo-belges ou congolais de Belgique étaient soumis à mon aval juridique, des histoires de fous parfois avec leurs managers (plupart du temps tranquilles, sympas) mais surtout..sponsors (eux c’était l’horreur, ça puait toujours la corruption sous toutes ses formes)..

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      4. Le coup de pied dans le ballon, certain. Dans le cul, je crois aussi…
        Tu as vu des matchs de l’As Vita, Blima ou le Daring?

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      5. Vita et Daring oui, une dizaine de matchs aux stades au total. Dans l’absolu plutôt sympa (mieux vaut être accompagné si tu es blanc tout de même), mais complètement vérolé par les instrumentalisations religioso-politico-maffieuses quand j’y étais, ce n’est plus que manipulations à gogo..

        Mon rituel tous les dimanches matin par contre : aller voir des matchs de quartier, quartiers de Limete et de Matete principalement..et les matchs improvisés dans les rues de sable.

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    2. Je connaissais très bien le président de la
      FRMF de l’époque le colonel BELMEJDOUB. Homme extraordinaire, grand connaisseur du football marocain et grand passionné. Sa discipline et ses consignes aux joueurs (les sélectionneurs a l’époque étaient un peu sous la tutelle de la fédé) ont quand même permis au Maroc de revenir d’Éthiopie champion d’Afrique en 1976. Jai le souvenir d’une anecdote qu’il racontait souvent au sujet d’Abdelmajid Dolmy qui arrivait aux rassemblements et entraînements de l’équipe nationale en retard, endormi et sans crampons. Il y avant des supers talents dans cette équipe de 1976 (Faras, Hazzaz, Baba, Dolmy, GHARRAS entre autres) Heureusement qu’il y a mis un peu de sérieux.

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  4. Un paragraphe d’un vieil article du journal « Al Bayane » :

    « Mais au pays des pétrodollars, où il a retrouvé son vieil coéquipier du Raja, Abdellatif Beggar, avec lequel il a reformé un autre duo d’enfer au sein d’Al Wahda, Petchou ne savait pas qu’il va revenir au Maroc dans un cercueil, après son décès survenu le 22 janvier 1980 dans des circonstances troubles et dont le secret n’a jamais été élucidé, jusqu’à aujourd’hui. »

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  5. Je n’avais évidemment jamais entendu parler de ce « père Jego »..lequel semble mériter un article, non? C’est énorme, comme réalisations d’une vie!

    Merci d’ouvrir mes horizons, toujours bienvenu et apprécié.

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