Nous sommes le 12 janvier 2008, le grand Manchester United de Sir Alex Ferguson reçoit Newcastle pour le compte de la 22e journée de Premier League. Le talent de CR7 n’est alors plus à prouver : désigné second du Ballon d’Or 2007 quelques semaines plus tôt, derrière le Brésilien Kaka, l’ailier portugais réalise une saison canon avec les Red Devils. Mais c’est bien ce match qui va le faire passer irrémédiablement dans la catégorie des buteurs de talent.
Avant la « goal machine »
Quand le natif de Madère débarque en Angleterre à 18 ans, il est très loin d’être considéré comme un joueur doué dans la finition. Il a seulement marqué 5 petits buts en 31 matchs pour le Sporting Portugal. CR7 est alors un pur ailier, évoluant principalement sur l’aile droite. Il provoque beaucoup, déborde, centre… mais laisse le soin aux véritables joueurs de surface de conclure les actions.
Mais Ronaldo ne peut se contenter de ce nombre de buts peu élevé. Il travaille beaucoup, prend davantage ses responsabilités, et est poussé par Alex Ferguson, qui n’hésite pas à parier avec lui sur le nombre de buts qu’il sera capable de marquer en une saison. Au terme de la saison 2006-2007, les statistiques de CR7 se sont nettement améliorées : 23 buts en 53 matchs toutes compétitions confondues, auxquels on peut ajouter 20 passes décisives. Le Portugais s’est même mêlé à la lutte pour le titre de meilleur buteur du championnat, finalement remportée par l’attaquant des Blues Didier Drogba. Ronaldo commence la saison 2007-2008 gonflé à bloc, et le 11 janvier 2008, la veille d’affronter le Newcastle FC, il totalise déjà 19 buts en championnat.
Le match
Pour terrasser Newcastle, Alex Ferguson dispose ses joueurs dans son habituel 4-4-2 : Van der Sar dans la cage, l’impressionnant duo Ferdinand- Vidic en charnière, O’Shea et Evra sur les côtés, Carrick et Anderson en milieux travailleurs, Ronaldo et Giggs pour animer les ailes, et pour finir, Rooney et Tevez sur le front de l’attaque. Les Mancuniens sont alors à la lutte avec Arsenal en tête du classement et une victoire leur permettrait de repasser devant l’équipe d’Arsène Wenger.
De son côté, l’équipe de Newcastle nous offre un doux parfum de nostalgie avec une flopée de joueurs qui sentent bon la Premier League des années 2000 : Shay Given comme dernier rempart, une ligne défensive composée de José Henrique, Claudio Caçapa, Steven Taylor et Stephen Carr, Nicky Butt et Alan Smith devant la défense, ainsi que le trio Duff – N’Zogbia – Milner (tout juste 22 ans à l’époque) pour alimenter Michael Owen, pour qui le Ballon d’Or 2001 semble déjà bien loin.
Une première mi-temps engagée mais brouillonne…
Le début de match est intense et parfois peu précis techniquement, les Mancuniens veulent rapidement ouvrir le score et ont tendance à se précipiter. Les Magpies, de leur côté, offrent un jeu limité : hargneux et regroupés derrière, ils se contentent de longs ballons qui n’inquiètent que très peu la solide défense des Red Devils. Seul James Milner parviendra à mettre en danger Van der Sar durant la première période, mais ses deux tentatives ne seront pas couronnées de succès. En pointe, Rooney est actif mais pèche dans la finition : il ne se crée pas moins de quatre occasions dans le premier quart d’heure mais aucune de ses tentatives ne termine dans les filets de Shay Given. Ronaldo, lui, est plus éloigné de la surface et tente de déstabiliser l’arrière-garde depuis son aile droite. L’ailier portugais monte en puissance au fil des minutes et aurait pu bénéficier d’un penalty, à la suite d’une terrible accélération peu avant la demi-heure de jeu, mais l’arbitre Rob Styles reste de marbre. Dix minutes plus tard, il déclenche une frappe croisée depuis la droite de la surface, mais le portier irlandais se détend parfaitement. CR7 devance ensuite Caçapa sur un corner de Giggs mais son coup de casque manque le cadre d’un petit mètre. Le danger se rapproche petit à petit dans la défense des Magpies.
A la mi-temps le score nul et vierge semble bien payé pour les coéquipiers de Michael Owen, qui plient sans rompre. Il ne manque qu’un brin de réalisme aux Mancuniens et à Cristiano Ronaldo pour faire la différence…
… avant l’ouragan de la seconde période
Il ne faut qu’une poignée de secondes après la reprise pour comprendre la détermination des Mancuniens : Tevez et Rooney voient consécutivement leurs deux tentatives sauvées in extremis sur la ligne par Taylor. Le répit est de courte durée. Deux minutes plus tard, United bénéficie d’un coup franc généreux à la suite d’un accrochage sur Ronaldo, deux mètres devant la surface. Le reste n’est qu’évidence ; le Portugais se charge de la sentence et place astucieusement la balle sous le mur d’un Given surpris qui parvient à plonger et toucher le ballon sans pour autant l’arrêter. Le public ne le sait pas encore mais ce coup franc malin n’est que le début du feu d’artifice à venir. Il ne lui faut que patienter trois petites minutes pour voir Tevez doubler le score. Après un dégagement malheureux de Given dans son coéquipier Caçapa, Giggs récupère le cuir et le transmet à l’Apache pour une conclusion facile. L’occasion pour l’Argentin de célébrer d’une manière originale : il sort une tétine de son short pour la mettre dans sa bouche, clin d’œil à sa petite fille.
A l’heure de jeu les Mancuniens semblent lever un peu le pied et les débats s’équilibrent. N’Zogbia oblige même Van Der Sar à une première grosse intervention sur une frappe enveloppée à l’entrée de la surface. Rooney continue son festival de manqués et dévisse complètement sa tête sur un centre parfait de Ferdinand. Malheureux dans la finition, le jeune attaquant anglais brille par sa combativité et son intelligence ; sur une action rapide, il transmet à Tevez qui lance Ronaldo. L’ailier contrôle parfaitement et place sa frappe au ras du poteau. 3-0. La joie du Portugais est mesurée, ce n’est pour l’instant qu’un doublé parmi d’autres…
L’entrée du véloce Nani à la place de Giggs nous promet une fin de match encore animée, l’ailier portugais ayant à cœur de bien faire pour sa première saison en Angleterre. Il permute avec CR7 et se montre d’entrée disponible et précis techniquement, proche de réaliser une passe décisive pour Carrick, mais la frappe tendue de ce dernier est sauvée miraculeusement sur la ligne. Rooney continue son match étrange en piquant magnifiquement son ballon pour Rio Ferdinand qui se remémore sa jeunesse d’avant-centre en concluant d’une volée limpide. En visionnant le ralenti, on se dit que le défenseur anglais aurait sûrement pu servir Ronaldo en retrait, mais le triplé doit attendre encore un peu. Il ne met pas beaucoup de temps à arriver. Quelques instants plus tard, sur un ballon renvoyé mollement par la défense adverse, le futur Ballon d’Or envoie Caçapa au tapis d’une feinte de frappe pied droit, avant d’enchaîner par un tir pied gauche qui termine au fond, bien aidé par la déviation de José Henrique. La célébration est iconique, CR7 pose ses mains sur la tête, surpris, presque hagard, un sourire d’enfant aux anges peint sur son visage. L’équipe entière se rue alors sur lui, Ferdinand en tête, pour le féliciter, dans une attitude presque paternelle. Même Wayne Rooney, pourtant si maladroit face à Shay Given ce jour-là, ne peut cacher sa joie de voir son coéquipier inscrire son tout premier hat trick.
Le festival se conclut par une seconde réalisation de Carlos Tevez, qui marque un but plutôt contestable, son ballon n’ayant très certainement pas franchi totalement la ligne, mais l’absence de goal-line technology a pour le coup fait pencher la balance en faveur des Mancuniens.
6-0. Jeu, set et match pour Manchester United et Cristiano Ronaldo, qui peut repartir pour la première fois de sa carrière avec le ballon du match et qui conclut la soirée par un clin d’œil malicieux à la caméra. La transformation de Ronaldo en buteur clinique ne s’est bien évidemment pas faite du jour au lendemain. Au fur et à mesure des matchs et des saisons, le Portugais a su étoffer son jeu pour devenir l’assassin de gardiens que l’on connaît tous aujourd’hui. Ce premier triplé possède tout de même une force symbolique importante, il restera quoiqu’il arrive le premier d’une longue série, celui qui a permis, d’après la citation de ce même CR7, d’ouvrir la bouteille de ketchup. Pour la refermer quand ? Seul le temps nous le dira.
Théo Carvalho pour Pinte2foot

Merci Théo pour cette 1ere contribution très sympa. Tu reviens quand tu veux pour nous proposer de nouveaux textes.
Pas un buteur à ses débuts, c’est certain. Mais annoncé tout de même comme un futur crack, ça ne faisait pas un pli avant les trois coups de l’Euro 2004.
Est-ce si commun, un pur ailier qui parvient à se muer en attaquant à ce point prolifique?
Et je ne me rappelle pas s’il avait ce jeu de tête à ses primes années..??
Toujours préféré sa période Mancunienne à la madrilène. Bien plus inventif. Merci Théo !
Alex, Ronaldo dans ses très jeunes années n’étaient pas considéré comme un crack, à la différence de dizaines d’autres joueurs du Sporting. Quaresma ou Hugo Viana avant lui ou Fabio Paim, connu des joueurs de FM, et gros flop qui a d’ailleurs tourné dans un porno récemment.
Ronaldo qui a subi toutes les moqueries possibles à son arrivée à Lisbonne a bossé comme un fou pour devenir un crack, qui va exploser bien plus que prévu par le staff du Sporting. Ce match amical contre United étant le début de sa légende.
D’ailleurs au-delà de tout ce que je dis plus bas, sa pugnacité et sa capacité de travail restent remarquables et admirables.
Ah, tv et médias belges je suis formel : c’était l’homme à suivre côté portugais pour 2004. Dès avant les trois coups, c’était unanime.
Et ça : ils ne l’ont pas sucé de leur pouce.
Et relis : je parle bien de « futur crack ».
Et l’autre « next big thing », comme disent les jeunes : c’était Modric. Et le nom de Sneijder revenait en boucle aussi vers 2003-2004, ils voyaient juste.
Je pourrais citer de gros fails belges (quoiqu’ ils faillirent pour xy raisons) parmi les pronostics de carrière établis par la presse belge, sans problème. Mais à l’échelle continentale et à l’époque, je ne me rappelle pas vraiment un joueur qu’ils aient promis à un grand avenir pour, au final.. Il a bien dû y en avoir l’un ou l’autre, mais je ne m’en rappelle alors vraiment pas.
Viana, Paim : jamais vu leurs noms filtrer au pays. Quaresma, ça oui, mais il était déjà moins estimé par la presse belge que Ronaldo en 2004, plus volontiers tenu pour un joueur divertissant mais dilettante (la culture-jeu du pays ne devait pas être étrangère à ce jugement). Ils avaient l’oeil.
Des dizaines de joueurs du Sporting étaient considérés comme des cracks??
Au sortir de l’euro 2004, la «next big thing», c’est Rooney (dont la rumeur était déjà forte). un 85 aussi
Exact. Et cas analogue à ce qu’en Belgique l’on avait prêté à Ronaldo avant ce tournoi.
Je ne suis plus guère le football, je ne sais pas si les journalistes tapent encore aussi juste aujourd’hui??
Ceci dit, je trouve que les joueurs susceptibles de sortir du lot ont l’air rare, c’est fort standardisé désormais.
Ailier devenu buteur prolifique, je pense à Gigi Riva.
Dans le même championnat : Henry
Avec de véritables qualités de placement, de jeu dos au but et d’opportunisme – en somme : pas vraiment les qualités premières d’un ailier, et voilà qui en fait un cas intéressant (le +1 est de moi, j’en mets jamais 😉 ).
Mais avait-il ab ovo ces qualités ou les développa-t-il en cours de carrière??
Je réagissais sur Riva!
Je me permets de te répondre Alex car ça m’avait marqué à l’époque : son jeu de tête (et surtout son exceptionnelle détente) était déjà présent lors de sa période mancunienne. Je ne saurais me prononcer pour sa période au sporting en revanche
Je l’ai dit souvent mais Ronaldo m’exaspère en sélection, surtout ces dernières années où il ne veut pas lâcher l’affaire et que la fédération a embauché Martinez pour accéder à son souhait de titularisation éternelle.
Mais avant cette fin de forceur, il y a déjà deux carrières pour Ronaldo. Et Théo montre un des moments charnières de cette transformation. Une où il était mon chouchou, un ailier virevoltant, parfois agaçant pour les adversaires (Ses fameuses simulations), qui jouait avec insouciance. En sélection il était « le petit jeune » et chacune de ses sélections étaient un moment de plaisir pour les amoureux de la seleção.
Puis il a voulu se changer en buteur, il est devenu ballon d’or, Figo a quitté la sélection le laissant devenir patron et surtout il a fini par rejoindre le Real où il va devenir le Ronaldo actuel.
Et franchement à partir de là son apport en sélection va devenir très décevant. Oui il va avoir quelques gros matchs en barrages ou en poules mais globalement c’est très loin de que l’on attends d’un joueur qui se voit meilleur joueur de tous les temps.
Avant lui le seul autre joueur portugais qui vampirisait autant la sélection avait été Eusebio. Et ses performances en 66 n’ont jamais été reproduit par Ronaldo.
Alors oui j’ai été heureux pour lui en 2016, le voir pleurer comme un gamin m’avait fait oublié toutes ses années de frustration. Il n’avait pas fait un euro de patron (A la Platini 84) mais avait fait le boulot. En partant là où en 2018 ils auraient pu nous laisser sur une image positive.
Mais voilà cette prise d’otage de sa sélection gacheront définitivement son image dans mon esprit et ma mémoire. Alors oui statistiquement il est monstrueux mais quand je repenserais à ses grands matchs dans des grandes compétitions, cela ira très vite tant j’ai plus de mauvais souvenir que de bons avec lui.
Sinon Théo super article! Très intéressant de montrer ce point de changement!
J’insiste : j’ai écrit « futur crack ». C’est inattaquable et, oui : en Belgique il était évident pour la presse que ce Ronaldo irait plus loin que Quaresma, y a pas que le talent brut dans l’équation.
Ah, tu parlais de dizaines de cracks sur un temps plus long?? Vu comme ça, pourquoi pas..même si, des dizaines.. Un crack, c’est pas rien.
Et pourtant il y a tellement de joyaux dans cette sélection… Je comprends que sa présence puisse inhiber certains joueurs et que le « cas » CR7 dépasse largement les limites du terrain. « Vampiriser » c’est le mot que j’ai le plus entendu le concernant…. mais des mecs comme Bernado Silva, Bruno Fernandez ou même Danilo sont suffisamment forts et expérimentés pour s’affranchir de Ronaldo non? Peut-être faut-il pointer le manque de courage des sélectionneurs?
En 2004 Ronaldo avait déjà explosé, il signe à United un an avant, il joue en sélection donc c’était déjà un joueur avec une belle valeur.
Moi je te parle avant 16 ans, au centre du Sporting.
D’ailleurs Modric aussi n’était pas un crack très jeune. Il a même mis du temps à exploser.
Hugo Viana et Quaresma (les 2 ont 2ans de plus que CR) a 17 ans c’était les 2 joyaux. Personne n’aurait misé sur Ronaldo meilleur que Quaresma. Viana part pour beaucoup d’argent à Newcastle où il se part. Nani et Moutinho (un an de moins) auront finalement une belle carrière. Sur les jeunes nés entre 83 et 88 ils auront eu une bonne dizaine de futurs cracks, la moitié ayant eu une très belle carrière.
Le Sporting de Futre à Figo, en passant par des Cadete, Secretario, Miguel ou Simao ils ont sorti un sacré nombre de joueurs. Plusieurs fois ils étaient le club d’Europe avec le plus de joueurs pro dans une D1 nationale sorti du club.
Avant ils avaient eu Dani, le beau gosse, parti à L’Ajax pour une fortune qui tombera dans l’oubli.
En 83 ils avaient aussi Danny parti en Russie faire une belle carrière.
La transformation dans le jeu de CR7 s’accompagne aussi d’une transformation physique (le mec devient un athlète ++) et aussi d’une mise à niveau d’une équipe de MU moribonde (je me souviens d’une équipe qui se fait piteusement éliminée par Lille en LDC en 2006 – But d’Ascimovic au Stade de France) à la meilleure équipe d’Europe à peine 2 ans plus tard (Vainqueur LDC 2008 et finaliste 2009) .
Salut Miodrag, effectivement, la transformation physique de CR y est pour beaucoup dans son changement de jeu ; il prend de la masse musculaire de manière assez importante, que ce soit en haut du corps ou sur les cuisses (ischio-jambiers et quadriceps notamment). Cela modifiera son explosivité et le renforcera au fur er à mesure dans son rôle de pur finisseur, avec des statistiques hallucinantes.