Une belle histoire !

Vous savez que sur Pinte de foot, nous aimons vous raconter des histoires introuvables ailleurs. Quoi de mieux que de vous parler d’un des joueurs les plus captivant de la « planète foot ». Un nom légendaire dans le milieu très fermé et élitiste des « énarques » de la connaissance footballistique.  Nous sommes donc ravis de vous présenter en exclusivité pour ce premier avril 2024, une enquête approfondie sur ce footballeur mystérieux. Il s’agit du célèbre Brésilien Armando Filipe de Oliveira Machado, alias « Peixe« . Cet énigmatique buteur a arpenté les terrains européens pendant les années 1960, mais reste largement méconnu du grand public car son histoire n’a été préservée que dans les souvenirs de quelques initiés. Aujourd’hui encore, il fait figure de mythe moderne, évoquant une époque où le ballon rond gardait sa part de mystère et d’enchantement. Dans cet article, nous plongerons ensemble dans le parcours de ce joueur oublié, cherchant à comprendre comment ce joueur continue de tant passionner cette élite du ballon rond.

Comme l’on part à la chasse au Dahu, nous partions à l’aveugle, aucune trace de ce joueur ne figurant sur internet. Dans notre quête pour mettre à jour le passé de ce héros de l’ombre, nous avons placé nos espoirs entre les mains expertes de Michel Verano. Cet ancien attaché parlementaire de Gérard Larcher et François Fillon, aujourd’hui propriétaire d’une cave dans le Quercy est considéré comme le spécialiste incontesté des joueurs « dont on a tous oublié le nom. » Il a eu la gentillesse de nous recevoir dans sa cave pour répondre à nos questions : « Messieurs, votre requête concernant Peixe me rappelle de doux souvenirs ! Avant de commencer, permettez-moi de vous suggérer ce charmant Cahors ; après tout, parlons football, mais goûtons également aux saveurs locales ! » Tout en se servant son deuxième verre l’amateur de bon cru narra alors les premières foulées du Brésilien, depuis ses débuts au sein du mythique Rio Grande Football Club[1] en 1957, jusqu’à son départ précipité pour l’Europe en 1961. Tout en débouchant une deuxième bouteille, Michel Verano poursuivit son récit picaresque en mentionnant, entre autres, le transfert de Peixe vers un nouveau continent. La visite chez l’expansif Quercinois aura été fructueuse, en plus de la caisse de Saint Nicolas de Bourgueil dans les bras, des trois bouteilles de Cahors dans le nez nous repartons avec toutes les informations nécessaires pour mener à bien notre enquête.

En effet nous apprenons qu’un ancien coéquipier, Cebolinha, qui avait joué en Espagne, avait promis à Peixe un contrat avec un club des Asturies, Gijón, où l’attendait un jeune entraîneur. Cependant, à son arrivée dans les Asturies, Peixe réalisa que ce dernier était déjà parti vivre au Japon pour y travailler comme électricien chez Tohoku, à Sendai[2]. Éloigné de sa terre natale et de ses proches, le brésilien découvre que sans passeport valide il ne peut pas disputer de match officiel. Il s’entraîne donc avec la réserve où il se lie d’amitié avec un jeune défenseur andalou d’origine russe, Tomás Khidia lui aussi arrivé récemment dans le nord de l’Espagne. Les deux compères vont s’entraider mais, si l’Espagnol commence à enchaîner les matchs, son camarade sud-américain est condamné à ne jouer que des matchs d’exhibition. Sa bonne humeur habituelle le quitte, de plus le club ne le paye pas car son contrat dépend des primes de matchs. Déprimé et sans le sou il est près de retourner dans sa terre natale, mais deux jours avant son départ son meilleur ami va lui offrir une opportunité d’enfin jouer en Espagne.

Tomás présente Peixe à un expert local en matière d’identités falsifiées : Roberto Schanno, aussi appelé le « Delon ibérique ». Ce dernier orchestre un réseau clandestin composé principalement de seniors et peut fournir à Peixe un passeport grâce à un grand-père espagnol imaginaire, que ce dernier n’avait pourtant jamais connu. Après avoir acquis son fameux sésame, le Brésilien peut enfin reprendre sa carrière de footballeur professionnel. Il finit ainsi la saison, alternant entre la réserve et des bribes de match avec l’équipe première. Mais le nouveau coach argentin « Equi » Gonzalez ne veut pas de lui.  Une nouvelle fois c’est grâce à son camarade Khidia qu’il va s’extirper de ce mauvais pas. Celui-ci a été contacté par un agent italo-français, Luca, un Calabrais d’origine. Ce journaliste spécialiste des envolées lyriques est un grand connaisseur du foot européen. Il travaille pour le sulfureux « groupe 411VM ». Cette société spécialisée dans les soirées nocturnes du sud de la France fréquente tout le gratin de la jet-set des années 1960. Son grand patron de cette entreprise est un mafieux. « Vito Gualteri, une sorte de Don Corleone provençal. Cela me rappelle que j’ai un très bon côtes de Provence a vous faire goûter ! » selon Verano.

Il s’est mis en tête de créer un club « International » en France, s’inspirant des Nerazzuri de Herrera, club qu’il admire. Il rachète ainsi le club mythique de Sète et conseillé par son bras droit va recruter une équipe à moindre coût aux quatre coins de l’Europe. En plus de Peixe et Khidia, ils recrutent un milieu travailleur Tchécoslovaque, Václav Modro en provenance d’Ostrava et un meneur de jeu bolivo-argentin Gabriel Ajde formé au Strongest. Si le Brésilien crée rapidement des liens avec ses coéquipiers l’équipe qui démarre en troisième division a du mal à atteindre les objectifs fixés par l’extravagant président. Le vestiaire prend des allures de tour de Babel et ce manque de communication nuit aux résultats.

Rapidement exaspéré par cette situation, le bouillonnant président se met en quête d’un nouvel entraineur qui serait l’homme fort de son projet. Il ira finalement le trouver en RDA en saisissant une belle opportunité du côté de Zwickau. En effet celui qui est surnommée Wundertäter, le faiseur de miracle, a formé des joueurs tels que Jurgen Croy. Mais Gunther « Grammatik » Gnadenlos, plus connu sous le nom de triple G, est contraint de rapidement quitter son club de toujours, le Motor Zwickau, suite à des divergences avec le président du club, un membre influent du parti. Grâce à ses contacts Gualteri l’apprend et aide l’intransigeant entraineur à fuir son pays en 1966 et à rejoindre le sud de la France.

Son exigence sera un tournant dans la carrière de Peixe, en effet pour l’Est-Allemand la réussite des joueurs va passer par une maîtrise du français[3] et un travail acharné lors des entraînements. Il fait rapidement capitaine le perfectionniste morave, avec qui il partage un passé sous un régime communiste. Mais c’est Peixe qu’il va prendre sous son aile, lui apprenant lui-même le français et lui donnant un programme d’entraînement très spartiate. Sous ses ordres le club se redresse et monte même en deuxième division en 1964. Alors que le protagoniste principal de l’histoire pensait enfin connaitre la stabilité, en janvier 1965, tout s’effondre. Suite à une enquête sur ses activités, le patron de 411VM est contraint de fuir aux USA[4].

Cette fuite va signer la fin de l’aventure sétoise, le club met la clé sous la porte, les joueurs sont tous sans club et retournent dans leurs pays respectifs. Khidia retrouve l’Andalousie tandis que Modro rejoint les bords du Rhône où il se liera d’amitié avec Raymond Domenech. Le moustachu dira même de lui : « Je dois beaucoup à Václav, il aura été une source d’inspiration pour ma carrière de joueur, d’entraîneur mais aussi d’acteur[5] ! »  Ajde ira dans le Nord faisant les belles heures du LOSC où il deviendra une légende. De son côté Peixe se retrouve seul et presque à la rue. C’est par l’entremise de G.G.G qu’il va entrer en contact avec Alexandre Bota. Celui-ci est un truculent président d’un club liégeois. Considéré comme un des présidents les plus haut en couleur du foot belge, il s’est fait connaître notamment en brocardant le jeune Johan Cruyff quelques années plus tard lors d’un match amical avec cette citation célèbre en Belgique : « Oufti ! Même mon fusil est moins chargé que lui ! » Grand amoureux de l’Afrique et de la multiculturalité, il se constitue une équipe qui ne ressemble à aucune autre.

Après l’International de Sète, Peixe retrouve un autre effectif atypique formé par le riche industriel belge. Les quatre joueurs les plus marquants étant Mukta Dhaduk, celui que l’on surnomme « Dip » deviendra un entraîneur globe-trotter, héritant du surnom peu flatteur de « Lobanovski du pauvre » en hommage à son modèle ukrainien. Joseph Rwano, joueur qui avait tapé dans l’œil[6] d’Alexandre au Rwanda lors d’un de ces voyages, finira lui sa carrière de joueur en Bretagne du côté de Vannes où il reste une légende du club. Ahmed Hannachi, un Belgo-marocain connu pour son grand talent mais aussi ses ivresses et bagarre nocturnes dans les rues de Liège qui lui valurent le surnom de « Van Baston ». Ce dernier deviendra un très bon ami du Brésilien, le Russe en exil Yuri Alphabetov.

Pour la première fois de sa carrière, Peixe trouve un peu de stabilité dans cet effectif improbable. Et il marque de nombreux buts. Bien que, malheureusement, aucune preuve de ses exploits ne subsiste à ce jour, nous avons retrouvé un passionné qui suit assidûment depuis plus de 60 ans le club liégeois. Avec un peu de retard, le septuagénaire nous retrouve dans un café de la cité wallonne. « Bonjour, désolé j’attendais le technicien de la fibre », s’excuse-t-il avant de poursuivre : « Ah oui ce Brésilien c’était quelque chose, cette équipe de Liège elle avait du panache ! Aujourd’hui nos joueurs ne valent plus rien, je préfère encore suivre le Real Madrid, ça c’est une vraie équipe qui gagne. »

Mais comme souvent la carrière de Peixe va prendre un tournant dramatique. Lors d’un banal entraînement son ami et coéquipier Alphabetov lui tombe sur la jambe, fracturant le tibia, le péroné et arrachant les ligaments du genou. Aujourd’hui spécialiste mondial des fractures, le Vosgien Thierry Gooze se rappelle avoir été un des premiers à intervenir : « Je n’étais qu’en internat mais ouais il s’était bien pété la jambe le con, et pourtant j’en ai vu des pattes brisées, j’ai publié un recueil des pires blessures[7] vues dans ma carrière, je vous le conseille ! » Cet incident marquera la fin de la carrière du Brésilien, qui finit par arrêter sa carrière dans l’anonymat le plus complet.  

Son ami Yuri, rongé de remords, va lui proposer de l’héberger le temps de sa rééducation. Mais la naissance de son premier enfant rend vite difficile la cohabitation. Peixe est contraint de retourner chez lui à Rio. Nous avons été retrouver le fils de Alphabetov, âgé de 57 ans[8], dans son village de Charente-Maritime. Aujourd’hui journaliste à Sud-Ouest, Hugo annonce tout de suite la couleur : « Par contre cela se prononce You-Go s’il vous plaît, et non U-go. » Il enchaîne en expliquant que son père aura mis des années à digérer d’avoir brisé la carrière de son ami. « J’étais petit mais dans mes quelques souvenirs il était maussade, on peut remercier la dictature brésilienne. Même si chez nous aussi c’était la dictature capitaliste de Giscard, il a préféré venir en France. » En effet, de nombreux cousins de Peixe sont à l’ALN[9] et celui-ci devient une cible de la junte au pouvoir. Il revient en France où son ami l’accueille et l’amène vivre avec lui du côté Rochefort, club où le Russe termine sa carrière.

Le brésilien suit les traces de son père et ouvre une poissonnerie dans la cité rochefortaise. Les années suivantes, il renoue même avec ses anciens amis disséminés aux quatre coins de l’Europe. Avec Alphabetov ils vont même instaurer une réunion annuelle où ils retrouvent Khiadia, Ajde, Modro et les autres autour d’un verre entre amis. Et même si le Brésilien rentrera finir ses jours dans son Rio natal et que chacun finira par continuer son chemin de vie, tous ne garderont que de bons souvenirs de leur épopée commune. La meilleure façon de mettre un point final à cette histoire est de citer Alphabetov senior lorsqu’il expliquait, le sourire aux lèvres, à son petit « Yougo » ces rendez-vous entre copains : « Tu sais mon fils, on boit des bières et on parle de foot, une sorte de pinte de foot entre amis. Que rêver de mieux !»

P.S : Toute ressemblance avec des personnages réels n’est que fortuite (ou non).


[1] Fondé en 1900, il est le premier club de foot brésilien.

[2] Avant de devenir 27 ans plus tard le fondateur et premier président du club de Sendai, le Vegalta.

[3] Gnadenlos avait appris le français, pays qui l’avait toujours attiré. Il y séjourna quatre années durant la guerre, rendant plus grande sa maîtrise de la langue de Molière.

[4] Selon la rumeur il va vivre à New York où il changera de nom pour devenir Carmine Lupertazzi, un mafieux notoire.

[5] En plus d’avoir été champion national aux Fidji, au Cambodge ou au Lesotho, Modro est aussi un acteur de théâtre réputé.

[6] En effet alors que M. Bota assistait à un match, une frappe dévissée du Rwandais cassera les lunettes du Belge.

[7] Jambes pétées et genoux disloqués, aux éditions P2F.

[8] Même s’il nous avoue un sourire aux lèvres « aimer faire croire aux gens sur internet qu’[il n’a] que 22 ans. »

[9] L’Action de libération nationale (en portugais : Ação Libertadora Nacional) est un groupe armé révolutionnaire brésilien qui lutta contre la dictature à partir de la fin des années 1960. Oui, il y a un truc sérieux dans cet article.

13

35 réflexions sur « Une belle histoire ! »

  1. Magnifique!
    Comme quoi on en apprend tous les jours sur P2F… Ici je ne connaissais pas du tout ce joueur, quel parcours incroyable ! Ça ressemblerait presque à une fable, un conte de fée, une légende urbaine… et pourtant c’est bel et bien la réalité !

    5
    0
  2. Eh eh, incroyable cette histoire !
    Merci d’éclaircir un mystère : je pensais que Schanno était un producteur de jambon Serrano, c’est en fait un Melon ibérique.
    Jambes pétées et genoux disloqués, aux éditions P2F, qui se charge d’en faire un Lecture de foot ?
    PS : Ajde, belles heures du Losc…, tu vas avoir des ennuis 🙂

    1
    0
      1. Désolé Ajde mais j’étais d’humeur taquine, puis je me suis dit que si un lillois passait par là, il allait cliquer sur le nom de son club et donc se retrouver sur ton top RC Lens, que c’était une belle compensation.
        Pour Strongest c’est un peu par hasard, je me souviens vaguement de ton affection pour le Bolivar mais j’avais un doute!

        0
        0
    1. D’ailleurs pour précision, le Roberto de l’histoire a fini par se faire arrêter dans sa villa aragonaise où séjournait une trentaine de femmes d’âges murs qui lui vouaient un culte dans une sorte de secte sexuelle.
      Je l’ai découvert juste après la publication de l’histoire !

      0
      0
  3. Ce texte me fait penser au spectacle de François Morel, vu récemment, « Tous les marins sont des chanteurs: Vie et mort d’Yves-Marie le Guilvinec (1870-1900) poète et marin breton ».

    1
    0
  4. J’espère que personne n’est froissé par ce texte, il est vrai que la ressemblance entre les protagonistes et certains rédacteurs de notre site est troublante.
    Je suis par contre un peu déçu de ne pas le voir des maintenant plébiscité comme « meilleur texte de P2F, n’en déplaise à Bobby »

    0
    0
      1. Si tu avais été président de club dans les années 60, sur que tu aurais pour la multiculturalité pour faire chier l’etablishment en place 🙂

        0
        0
  5. Communiqué du groupe « 411VM »

    Nous démentons fortement, et avec la plus grande fermeté, ces graves accusations dont nous sommes encore une fois victimes.

    Liberté pour les ultras!
    ^^

    0
    0
      1. Beau boulot car le personnage de Carmine est incarné par le réel mafieux du film « Green book »!

        Je me régale encore ce matin ^^
        C’est l’article ultime du premier avril!

        1
        0
  6. Bon bah merci de nous avoir fait découvrir cette incroyable histoire !

    Et ensuite, bah c’est le meilleur article de P2F, n’en déplaise à Bobby :rofl:

    Et comme l’a dit le ruskov de cette histoire, qui m’avait l’air bien sympathique au demeurant, que rêver de mieux que d’une bonne pinte de foot ?

    Merci Rui, pour une nouvelle superbe année de pintes, de football et peut-être même de réunions !

    0
    0
      1. Coeur sur toi Gooze, bien sur que je me devais de faire une petite faute, j’avais enlevé le H avant mais c’était trop évident pour notre GGG!
        Je dois avouer que je me suis tapé des listes de mots en allemand pour en trouver un qui commence par un G et qui soit drôle (et adapté)!

        0
        0
      2. Bien trouvé, en tout cas ! Meilleur article de P2F à ce jour, de haute lutte devant la guerre des nouilles au Japon.

        1
        0

Laisser un commentaire