De Zwarte Meteoor – Partie 2

Nous avions laissé Steve Mokone, déçu sportivement et culturellement troublé par son passage à Coventry. Mais l’histoire est loin d’être finie…

A l’été 1957, Mokone est soulagé de quitter la grisaille de Coventry mais sa courte expérience européenne le laisse clairement sur sa faim. Son futur biographe, Tom Egbers, lui prête un essai chez les champions d’Europe madrilène, opportunité étonnante que Egbers n’étaie pas réellement. Son avenir semble bouché, il envisage un retour au pays, avant que la proposition d’un modeste club néerlandais ne change durablement sa destinée…

Les douze travaux d’Heracles

L’Heracles Almelo vivote dans les divisions inférieures, après avoir été par deux fois champion du pays, mais la proximité entre l’afrikaans et le néerlandais permet à Mokone de se sentir immédiatement à son aise. Scorant un doublé dès ses débuts, il devient rapidement le chouchou des supporteurs. Ils sont fréquemment 20 000 à remplir les gradins, pas un mince exploit pour une ville de 35 000 habitants…

Rue d’Almelo

Tout n’est pas évidemment rose dans le quotidien de Mokone. Les cas ne manquent pas où le jeune Africain provoque les réprobations moralisatrices des plus strictes calvinistes du coin. Néanmoins, ses exploits sur le pré, son sourire constant, sa joie de vivre ravissent les foules. Ils sont d’ailleurs nombreux à venir le voir chanter aux cabarets le soir venu. De Zwarte Meteoor, le météore noir, premier joueur africain des Pays Bas, a conquis durablement le cœur d’Almelo…

L’arrivée de Kalamazoo s’est avérée judicieuse pour l’équipe au maillot rayé noir et blanc, qui remporte haut la main l’Eerstedivisie, le deuxième niveau national. Le duo que forme Steve avec Joop Schuman, auteur de 47 buts cette saison là, est un feu d’artifice. Almelo célèbre la remontée dans l’élite en transportant fièrement ses footeux en calèche dans les rues principales de la ville !

La bonne pioche Mokone convainc les dirigeants d’Heracles de signer à l’intersaison un autre Sud-africain, Darius Dhlomo. Des milliers de fans se pressent à l’aéroport pour venir accueillir Steve après des vacances bien méritées chez lui mais le second épisode n’aura pas la même saveur… Blessé à la cheville, Mokone ratera une bonne partie de la saison et on lui demande de mettre en retrait sa carrière de chanteur. Le promu obtient malgré tout une inespérée septième place mais Mokone, que l’on compare excessivement à Di Stefano du côté d’Almelo, voit désormais plus haut…

Mokone, en bas, à gauche. Debout, nous retrouvons un autre Sud-africain, Darius Dhlomo.

Tu me vois? Tu ne me vois plus…

Revigoré par son expérience néerlandaise, Mokone signe au Cardiff City en 1959. Il est dans le onze lors de la première journée et marque lors d’une grande victoire 3-2 contre Liverpool! Malheureusement, la mayonnaise ne prendra jamais entre Steve et l’Angleterre… Souffrant toujours de sa cheville depuis Almelo, Mokone disparaît complètement des radars, il ne jouera que trois matchs avec les Gallois, et entame une carrière de nomade du football, de journeyman comme on dit en boxe…

Sous le maillot de Cardiff

A l’instar de ces combattants appelés à la dernière minute pour remplir les cartes des réunions du noble art, Mokone est engagé pour des événements spéciaux. Sans que l’on puisse certifier la véracité des faits. Il semble porter les couleurs du PSV, en amical, face au Botafogo de Garrincha. On parle d’une confrontation face au Santos de Pele quelques années plus tard avec Valence. Des apparitions éclairs, fantasmées peut-être, qui contribuent à alimenter les rumeurs sur cette personnalité décidément insaisissable. A t-il réellement partagé les entraînements du Barça d’Evaristo ? Est-il devenu ouvrier dans une usine de chaussures à Marseille ?

Il existe néanmoins quelques sources sur un passage à Turin. Il rejoint le Torino en 1960 et, comme il était coutumier pour ses débuts, marque les esprits en inscrivant un quintuplé face à Vérone en amical ! Une performance enthousiasmante qui fera dire au journaliste sportif italien Beppo Branco que « si Pelé est la Rolls-Royce des footballeurs, Stanley Matthews, la Mercedes-Benz et Alfredo di Stefano, la Cadillac, Mokone en etait la Maserati. »

Pourtant ses exploits n’aboutiront jamais sur un match officiel. Et ce n’est pas une prestation magnifique face au Dynamo Kiev, qui aurait laissé la presse soviétique pantoise, qui changera les choses. Mokone demeure un mystère… L’Italie rechignait-elle à employer un Africain lors de son championnat ? Ou Mokone était-il simplement « un bidone » comme l’assure Gian Paolo Ormezzano, dont la seule présence au Torino ne devait qu’au béguin éprouvé par un dirigeant du Toro pour sa femme, Joyce Maaga, rencontrée quelques temps auparavant à Londres ?

Kalamazoo, ici ou là-bas…

Un Militant

Son séjour turinois terminé, Mokone parcourt le monde, de la Rhodesie à l’Australie, avant de déposer son baluchon aux États-unis. Son pays d’origine menaçant de lui retirer son passeport, Kalamazoo reprend ses études. Il obtient son doctorat en psychologie à l’Université de Rochester et s’implique corps et âme dans les mouvements anti-apartheid, pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam. L’accomplissement est total jusqu’à une sombre nuit de 1977…

Mokone, troisième en partant de la droite, lors d’une réunion politique en faveur d’un boycott des J.O 1968.

Trois agresseurs mystérieux l’attaquent dans un parking, il est ensuite brutalisé par la police sous l’accusation de fraude à la carte de crédit, charge abandonnée dès le lendemain. Mais ce n’est pas le pire… Un jour après sa libération, la police l’arrête à nouveau pour deux agressions graves. L’une concerne sa femme qui a été attaquée avec de l’hydroxyde de sodium, jeté au visage. Elle avait récemment divorcé et obtenu la garde de leur fille. La deuxième concerne son rôle dans l’agression à l’acide subie par l’avocate de Joyce Maaga…

Bien qu’ayant plaidé coupable lors de son procès, Mokone s’est toujours déclaré innocent lors de sa détention. Et nombreux étaient ceux qui soutenaient sa version. L’archevêque Desmond Tutu, qui avait eu Mokone comme étudiant en Afrique du Sud, lance en vain des appels à la clémence, tandis que Tom Egbers, journaliste néerlandais, enquête minutieusement sur l’affaire.

Pour l’auteur de The Black Meteor et de 12 Stolen Years, Mokone est victime d’une machination. Un homme aurait été contraint de témoigner à charge, tandis que des éléments préjudiciables sont soudainement apparus dans le dossier de Mokone lors de son second procès… Et dans un versant plus politique, Egbers découvre une correspondance troublante entre la CIA et le ministère de l’intérieur sud-africain au sujet de Mokone. Pour le journaliste, le gouvernement sud-africain aurait demandé à la CIA de mettre Kalamazoo, connu pour son militantisme anti-apartheid, au pas…

Mokone passera 12 ans en prison, dirigeant la bibliothèque pénitentiaire et son équipe de football. Il sortira en 1990, comme Nelson Mandela. Signe du destin… Il retourna à sa carrière de psychologue. A la chute de l’apartheid, il devient ambassadeur itinérant du tourisme d’Afrique du Sud à New York et fonde la Fondation Kalamazoo pour l’éducation par le sport.

Il ne commentera jamais son incarcération à sa sortie de prison. Par culpabilité ? Peur des représailles s’il démontait trop fortement les accusations adverses ? Difficile à dire, même si la possibilité d’un échange de bons procédés entre le pouvoir sud-africain et américain n’est pas à exclure…. Mokone sera par la suite célébré par la CAF pour son rôle de pionnier du foot africain dans le monde, verra un film narrant son histoire à l’affiche des cinémas néerlandais, une rue porter son nom à Almelo, proche du stade de ses anciens exploits. Vivant la fin de sa vie à Washington, De Zwarte Meteoor aimait à dire que sa vie fût, malgré tout, une belle aventure…

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14 réflexions sur « De Zwarte Meteoor – Partie 2 »

  1. 1977, c’est en plein dans les années Carter et l’après-Vietnam qu’on appelle aujourd’hui la « Malaise Era ». Vu que ce président était Démocrate et droit-de-l’hommiste convaincu, il est peu probable qu’il ait accédé à une requête du gouvernement sud-africain de mettre un opposant hors d’état de nuire. On peut à la rigueur imaginer une opération des « services » sud-africains, lesquels étaient loin d’être mauvais après des décennies de guerre de l’ombre contre Cubains, Allemands de l’Est, et Soviétiques venue épauler les pays frères de la région. Quant à une hypothèse genre action sans ordre de la CIA, on tombe dans le Tom Clancy… La vérité est sans doute à chercher dans la solution la plus simple et dans la part d’ombre qui aurait conduit Mokone à s’en prendre à sa femme puis à l’avocate de celle-ci.

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    1. Des parts d’ombre il en eut en effet : également accusé de viol par sa fille. Mais le fait est que l’enchaînement des ennuis qu’il traversa alors a de quoi interpeller.

      @Khiadia, je te cite : « correspondance troublante entre la CIA et le ministère de l’intérieur sud-africain au sujet de Mokone ».. ==> Je présume qu’il faut entendre par là un lien, un rapport..mais lequel?

      De ses années néerlandaises, de loin celles que je connaisse le moins mal : je garde l’idée d’une forte dimension « au jour le jour ».

      Que dit-on de son passage à l’OM?

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      1. Alex, j’imagine que ça concernait son militantisme et que les différentes services s’échangeaient des infos sur les éléments perturbateurs.

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      2. A Marseille, il est censé être prêté par le Barça mais ne joue aucun match. D’où la rumeur d’un travail dans une usine de fabrication de chaussures à Marseille.
        Mais les essais au Real, ses passages au Barça ou Marseille, je n’ai trouvé preuves tangibles. Et je connais Mokone depuis un moment.
        Je sais pas qu’elle est la valeur de ces infos. Suis quand étonné que des clubs comme le Barça ou le Real, qui ont toujours travaillé leur historiographie, n’en parlent pas vraiment. Parce que s’il est vraiment passé par ces clubq espagnols, il serait devenu le premier Africain de ces institutions. Et ça, le Barça et le Real l’auraient plus mis sur le devant de la scène par la suite, même si c’était de façon furtive.
        Enfin, y a la question de l’éventuel utilité de Mokone dans ces effectifs. On parle pas du FC Vesoul mais du Barça de Kubala ou du Real de Di Stefano…

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      3. Oui, c’est illisible comme parcours. J’ai peut-être idée d’un site espagnol voué au Real, qui..?? Sur Goyvaerts ils étaient plus forts que les Belges, lol.. ==> Je vais regarder ça.

        Sa fille? Je crois (ça date!) qu’elle a affirmé cela (viols et violences) après la mort de son père, bref : il ne fut pas en mesure de s’en défendre. Ca avait créé un bazar pas possible à Almelo, de tête ils ont (est-ce toujours le cas??) une tribune à son nom, ça fait désordre..et alors le biographe NL de Mokone, celui que tu cites donc..ben il n’en menait pas large, le pauvre..

        N’en reste pas moins que l’enchaînement de soucis..?? Agression dans un parking, brutalités policières………. Ca, ce ne put être de son fait. Et le tout mis ensemble forme un drôle de combo.

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    2. Oui, la possibilité d’une action de la part des services secrets sud-africains sur le sol américain paraît l’éventualité la plus crédible si on veut aller dans le sens de Mokone. On ne peut pas négliger que les États-unis ont longtemps soutenu le regime d’Apartheid. Par visée anti-communistes surtout. L’ANC était considéré comme une organisation terroriste aux USA et en Angleterre jusqu’aux années 80.

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      1. Voir sur cette période le film « Au nom de la liberté » (Catch a Fire), sorti en 2006.

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    3. Ce qui n’exclue pas une vengeance de la part de Mokone. Son biographe pensait qu’il ne s’était pas exprimé sur son passage en prison après sa sortie par peur d’expulsion des États-unis.

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  2. J’aime bien l’idée qu’on ne sache pas s’il s’agit d’une victime ou d’une ordure, s’il a plus souffert qu’il n’a fait souffrir ou l’inverse. Pourquoi faudrait il savoir, avoir un avis ? Son parcours lui appartient et ce que l’on en sait suffit à le rendre intéressant, pas besoin d’éprouver des sentiments exacerbés dans un sens ou dans l’autre. Merci pour la découverte, chef !

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    1. Merci Verano. Tu connaissais Gian Paolo Ormezzano, celui qui traite de bidone Mokone lors de son passage? Son terme exact était plutôt poubelle pour être precis. Il était redac chef à Tuttosport dans les 60′. Éditorialiste à la Stampa ou Guerin et très grand fan du Toro.

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      1. Oui, des avis souvent tranchés. Je crois que je le cite dans la série des Real Inter des 80es. Les journalistes sportifs italiens avaient le sens de la formule, Brera, Mura, Ormezzano, Porro, Carratelli (il est encore en vie, mémoire du Napoli depuis l’après-guerre). Certains papiers sont des pépites.

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